LA PLAINE

Billet de blog
le 2 Mar 2024
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Nous sommes à cheval sur trois arrondissements de Marseille : le premier, le cinquième et le sixième. L’ancienne place Saint-Michel, devenue place Jean-Jaurès en 1919, est désignée par toutes et tous ceux qui vivent à Marseille par son « vrai nom » : la Plaine. De quel espace s’agit-il ?

La Plaine et le Plan

La Plaine ne désigne pas un espace entre des montagnes, mais un espace « plan », un espace plat. D’autres sites de la région portent ce nom. La ville est, d’abord, à Marseille, un « campus Martius », un champ de Mars. De fait, elle est, comme tous les champs de Mars, à commencer par celui de Paris avec sa tour Eiffel, un espace dévolu, dans l’Antiquité, à l’époque romaine, un espace consacré au dieu de la guerre, qui servait de domaine d’exercice et d’entraînement. Puis, au Moyen Âge, c’est à Saint-Michel que le lieu est consacré, comme l’atteste un document du onzième siècle (l’église qui porte ce nom n’est pas loin), mais le quartier ne deviendra le quartier Saint-Michel qu’au treizième siècle, jusqu’au début du dix-huitième. C’est après que l’on parlera du Plan Saint-Michel, pour devenir la Plaine, nom sous lequel elle est encore désignée de nos jours. C’est ainsi sa forme plane qui sert à désigner le lieu, comme d’autres lieux de la région (Plan de Cuques, Plan d’Orgon, etc.). Elle figure depuis le début jusqu’à nos jours un « plan », un espace plat, sans constructions, laissé vide.

 

Le lieu du marché

C’est pourquoi, comme souvent les places dans l’espace de la ville, la Plaine est, au début, un marché, et elle continue à l’être. La Plaine est, ainsi, une sorte d’agora, un lieu dévolu aux marchands et aux échanges – raison pour laquelle, parmi d’autres, il demeure vide. Lieu du marché, de la rencontre, des échanges, de la parole, la Plaine figure la dimension essentielle de l’identité de Marseille. On peut dire qu’elle est associée au Vieux-Port pour incarner dans des sites ce qui caractérise la ville. Lieu du marché, la Plaine incarne l’une des activités emblématiques de la ville, l’activité qui figure son rôle dans l’histoire notre pays. Mais, en même temps, ce rôle de marché fait de la Plaine un des sites majeurs de l’économie politique urbaine de Marseille.

 

Une place : un espace vide dans l’espace urbain

Situé entre les espaces construits et au milieu du réseau des rues, la Plaine est un trou dans la ville, une interruption dans le continuum de l’espace urbain. Cet espace vide figure, par l’inverse, l’importance du tissu urbain de Marseille. C’est justement parce que nous sommes devant un trou, devant cette véritable béance, que l’on prend conscience du maillage très fort du réseau des rues et des habitations de la ville. Dans le même temps, cet espace vide peut aussi se comparer à celui du Vieux Port, car la Plaine et le Vieux-Port sont des béances ouvertes dans l’espace urbain. Il ne s’agit pas seulement de lieux dévolus à l’échange et au commerce : ces ouvertures dans la continuité du réseau urbain permettent de mieux prendre la mesure de son tissu.

 

Un lieu à la limite de la ville

Même si Marseille s’est étendue au-delà de la Plaine, ce lieu se situe à la limite de la ville, il en fut une frontière. Nous sommes sur la ligne qui, partant du Panier, relie l’Hôtel de ville, la gare Saint-Charles, la Préfecture et le Cours Puget pour se terminer à Saint-Victor et retrouver le Vieux-Port. Il s’agit du centre historique de Marseille – ou plutôt de la partie la plus serrée du centre de la ville. La Plaine se situe, en ce sens, à la bordure du centre ; c’est pourquoi elle se situe à la limite de l’urbanité – à sa limite géographique, mais aussi à sa limite architecturale. Au-delà, on quitte le centre pour rejoindre les faubourgs. C’est cette situation à la limite qui donne à la Plaine son rôle historique de contact : comme tous les marchés, elle est le lieu où s’ouvrent les relations entre la ville et l’extérieur.

 

La Plaine est un carrefour

C’est pour cela, et, de nouveau, comme la plupart des places de villes, la Plaine est un carrefour, un espace où des voies se croisent et, ainsi, où se nouent des rencontres. Carrefour de rues, carrefour de chemins et de parcours, la plaine est un des lieux de Marseille où, comme dans l’histoire de la ville, habiter, c’est échanger, rencontrer. C’est aussi parce que ce lieu est un lieu de rencontres qu’il s’est toujours agi d’un lieu de rassemblements politiques, mais aussi un lieu d’ouverture de la ville à la migrante, à l’étranger, à la liberté de venir vivre dans la ville. On n’est pas exclu, à la Plaine, on y est accueilli.

 

À la Plaine, les enfants retrouvent leur place dans la rue

C’est la première image qui frappe à la Plaine : les enfants y sont chez eux. Il faut faire attention en traversant la place, car on risque toujours de se prendre une « balle perdue » sur la tête. Mais, c’est important, cette place est, avant tout, la propriété des enfants. C’est ce qui donne à la Plaine la musique des cris et des rires qui expriment la vie urbaine, qui manifestent la jeunesse marseillaise. La véritable culture de Marseille est une culture qui ne saurait vieillir. Pour vieillir et pour rencontrer les habitants enfermés dans l’aigreur qui fait vieillir, il y a d’autres quartiers pour cela, dans l’espace de la ville.

 

Une culture nouvelle s’invente à la Plaine

Pour cette raison, au-delà de la place et de celles et ceux qui y habitent ou s’y promènent, la Plaine est le lieu d’une culture nouvelle, et, même, d’une esthétique renouvelée. Dans les cafés qui la bordent, sur les trottoirs qui la parcourent, on peut rencontrer de nouvelles façons de s’habiller, de parler, de chanter, même. Toute cette culture nouvelle qui s’imagine ici, grâce à laquelle l’esthétique, à Marseille, ne vieillit pas, articule le plaisir, le politique et l’esthétique dans le seul souci d’engager un temps qui échappe à celui de l’ordre établi de la ville. La Plaine est un trou dans l’espace de la ville, mais elle est aussi, de cette manière, un trou dans le temps de l’histoire et dans le temps du quotidien. À la plaine, la rencontre et la parole nous libèrent de la menace du confinement.

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