À Montredon, le petit coin de paradis où des cabanons de la Ville tombent en ruine

Reportage
le 22 Août 2023
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Construit dans les années 50, le petit quartier du Mauvais Pas (8e) se retrouve aujourd'hui dans une situation complexe. Une quinzaine d'habitations, dont certaines en ruines, y appartiennent à la Ville de Marseille. Les descendants des fondateurs du quartier en revendiquent pourtant les murs, sans en être officiellement propriétaires.

Au chemin du Mauvais pas, les habitants regardent les maisons, propriétés de la Ville, se dégrader. (Photo : Violette Artaud)
Au chemin du Mauvais pas, les habitants regardent les maisons, propriétés de la Ville, se dégrader. (Photo : Violette Artaud)

Au chemin du Mauvais pas, les habitants regardent les maisons, propriétés de la Ville, se dégrader. (Photo : Violette Artaud)

Seuls les curieux connaissent le coin. Le chemin du Mauvais pas n’a pas d’accès direct à la mer. Mais sur les hauteurs de cette petite crique coincée entre la plage de Bonne brise, plus connue sous le nom de chez Dédé, et celle de la Verrerie, une petite centaine de cabanoniers vit paisiblement. Vue mer, minuscules ruelles dans lesquelles des enfants jouent en maillot de bain, scooters posés contre les murs et voisins qui s’interpellent, l’endroit a comme un air d’Italie. C’est précisément de la péninsule que viennent certaines familles qui habitent le lieu. “Mes grands-parents sont arrivés ici en 1950 pour travailler. C’était le sous-prolétariat, ils étaient employés à l’usine Legré-Mante, juste à côté”, raconte Philippe, entouré de minots du quartier. Quant aux maisons, dit-on, elles ont été construites par les habitants eux-mêmes, “de bric et de broc”. Tous étaient immigrés, Italiens ou pieds-noirs.

Quartier du Mauvais pas, dans le 8e arrondissement de Marseille. (Photo : Violette Artaud)

“Le terrain appartenait à la Marine, qui a l’a laissé aux rapatriés d’Algérie”, explique encore Patrick Lopez, dont les parents sont arrivés d’Oran en 1957. “À chaque fois qu’un pied-noir arrivait ici, il était accueilli et on l’aidait à construire sa maison, même si on n’était pas tous maçons”, ajoute un autre voisin. Dans la mémoire des anciens du quartier, l’endroit était alors idyllique, un havre de paix après le déracinement, où “tout le monde se connait et prend soin des autres”, dans une ambiance de petit village. L’histoire du lieu-dit que l’on nomme à l’époque “Sous la rose” est posée. Avec le temps, certains ont fait de ces petits cabanons de véritables villas. D’autres, faute de moyens ou de volonté, ont laissé les constructions dépérir. Il y a une vingtaine d’années, la mairie rachète le terrain à l’État et tente de régulariser une situation alambiquée. Sous la rose devient alors le Mauvais pas. Un quartier du bord de mer atypique, dont les problématiques oscillent entre habitat indigne et flambée de l’immobilier.

“Risque d’effondrement”

Tous les riverains rencontrés ont la même phrase en bouche : “Les murs nous appartenaient, mais pas le terrain”. La réalité administrative semble un peu plus complexe. “L’historique est compliqué, concède Éric Méry, conseiller municipal délégué au patrimoine municipal et à l’urbanisme. Il s’agit de gens qui se sont installés et ont construit sans droit ni titre. Quelques-uns ont été régularisés en rachetant à la Ville.” À ce jour, la Ville dispose toujours d’un petit quart des maisonnettes du chemin du Mauvais pas. Cet été, ses services ont pris quatre arrêtés pour interdire l’occupation de plusieurs de ces logements. “Il fallait que l’on se prononce, c’était une question de sécurité”, assume l’élu.

“Risque imminent d’effondrement et de chute de matériaux sur les personnes”, “éclatement de maçonnerie avec risque imminent de blessures pour les personnes”, “effondrement partiel du balcon sur rue”… Les termes des documents en question n’ont rien de rassurant. Anne-Marie Jativa, robe rose fluo et pince qui brille dans les cheveux a la soixantaine et n’a jamais quitté le Mauvais pas. Elle pointe du doigt les fissures dans les murs qui s’émiettent des maisons alentours. “Ça fait 100 ans que c’est comme ça, exagère-t-elle à peine. Moi, je suis née ici. Il y a 20 ans, quand la Ville est venue, j’ai pu acheter et entretenir. Mais d’autres ont laissé à l’abandon, parce qu’ils s’en foutaient ou parce qu’ils étaient au RSA…”. Anne-Marie sait de quoi elle parle, son petit frère, qui occupait l’un des quatre logements visés par les arrêtés municipaux, doit aujourd’hui faire face à un imbroglio.

“Des papiers, on n’en a pas”

Joint par Marsactu, ce dernier explique avoir délaissé l’appartement après son mariage pour s’établir à la Valentine (11e). Lorsque la mairie lui a proposé d’acheter, il n’est, raconte-t-il, pas allé au bout des démarches. “Parce que j’étais loin et que je n’ai pas réussi à me mettre d’accord avec les voisins du dessous, avec qui nous sommes en copropriété.” À l’époque, les services de la mairie demandent “12 ou 13 000 euros” pour cet appartement avec vue mer. “Aujourd’hui, ça doit être dix fois plus. Et puis, ils demandent des papiers, mais nous, des papiers, on n’en a pas”, poursuit Jean-Claude, qui est revenu dans son quartier d’enfance après son divorce.

Actuellement logé aux frais de la mairie dans un appart’hôtel en raison du danger que représente son logement, il se trouve dans une impasse administrative. “J’ai rendez-vous avec la mairie pour voir ce que l’on peut faire”, conclut-il, bien décidé à récupérer son bien, alors que celui-ci s’effondre partiellement. Un peu plus loin, c’est une autre maisonnette qui pose problème. Celle-ci appartient – historiquement en tout cas – à trois frères qui n’arrivent pas à se mettre d’accord pour le racheter en totalité.

“En 2003, quand le terrain a été cédé, il y a eu une période active des services de l’ancienne majorité pour régulariser un maximum de personnes, on ne peut pas dire le contraire. Aujourd’hui, il ne reste que les dossiers les plus compliqués”, abonde le conseiller à l’urbanisme. Conflits familiaux, manque de moyens, départ sans retour, problématiques juridiques… Depuis quelques années les fissures grandissent dans les murs du patrimoine municipal chemin du Mauvais pas, et les arrêtés d’interdiction d’habiter se multiplient.

De 211 euros le mètre carré à 350 euros la nuit

Dans leur maison impeccable, montée sur un étage, les Lopez sont bien loin de cette période de négociation avec la Ville. Comme Anne-Marie, expliquent-ils à l’heure de l’apéro, ils ont régularisé leur situation il y a vingt ans. “90 mètres carrés de terrain, vue mer. On a payé 19 000 euros”, glisse fièrement Patrick. Désormais, les prix ne sont plus vraiment les mêmes. “Elle, elle a vendu sa merde 500 000 euros !”, tacle, amer, ce petit-fils de rapatriés d’Algérie à l’adresse de sa fille, qui habitait jusqu’à récemment à proximité de la maison parentale. Cette dernière n’est pas la seule des descendants des riverains historiques du Mauvais pas à avoir fait le choix de revendre, s’éloigner de sa famille, et quitter ce petit bout de paradis, entre mer et colline.

Dans le quartier, les belles voitures et les gens “d’ailleurs” font à présent partie du décor. Par ici “des Belges”, par là “des Suisses”. On trouve même, sur Airbnb, des locations saisonnières à 350 euros la nuit, dans une villa ” sur deux étages rénovée par un architecte connu, avec vue panoramique sur la mer, sauna et hammam…”.

Capture d’écran du site de location Airbnb.

Quel est l’avenir pour le chemin du Mauvais pas ? La mairie centrale doit rencontrer la mairie de secteur en septembre, pour évoquer le sujet. Les différentes possibilités seront alors détaillées. Vendre le patrimoine municipal au privé, avec obligation de travaux, démolir, construire des équipements publics à la place… Pour le moment, rien n’est arrêté.

“Mais le projet sera passé au tamis de la concertation avec les habitants”, promet-on à la mairie des 6e et 8e arrondissements. En attendant, Anne-Marie regarde le soleil qui se reflète dans la mer, du bout de la ruelle. C’est là que sa mère repose. “C’est bizarre, mais parfois, je lui parle, je lui dis “maman, de là-haut, est-ce qu’on voit toujours ça ?” En tout cas moi, pour rien au monde, je ne partirai d’ici”.

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Commentaires

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  1. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    L’avenir de ce coin de paradis ?
    c’est l’enfer !
    Fric , barbelés etc…etc…

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  2. Moaàa Moaàa

    Encore la marque des pattes sales de l’ancienne majorité qui a laissé pourrir et mourir cette si belle ville.
    Pour les autres, sans droit, ni titre, il Est plus que temps de plier bagages, des décennies gratis et ça va pleurnicher

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  3. mehdi mehdi

    Super article! Merci.

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  4. AlabArque AlabArque

    Oui, merci ! Décidément, il faut que je me secoue un peu pour aller jusqu’au Mauvais Pas, puisque j’ai la chance d’habiter à côté … j’y connais des toubibs (aujourd’hui retraités) installés là depuis plus de 35 ans, et je voudrais voir La Cabane de Georgina, résidence-atelier du peintre-plasticien Jérémy Chabaud, qui accueille des ‘collègues’ = pas trop de sous, mais on partage. Le quartier de mon adolescence a changé, bien sûr, mais pas tant que ça 😉

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