Depuis 25 ans, Pakito Bolino pousse son Dernier cri

Portrait
le 5 Jan 2019
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La Friche accueille jusqu'à la fin mars Mondo DC, une exposition rétrospective d'un quart de siècle d'édition du Dernier cri. Rencontre avec son co-fondateur, Pakito Bolino, sérigraphe en série d'oeuvres cul, crues et mal-polies.

Depuis 25 ans, Pakito Bolino pousse son Dernier cri
Depuis 25 ans, Pakito Bolino pousse son Dernier cri

Depuis 25 ans, Pakito Bolino pousse son Dernier cri

“20 minutes pour 25 ans, tu es sûr d’avoir tout vu ?” Pakito Bolino ricane. La réplique était écrite d’avance. Mauvaise idée de lui proposer l’interview dans la foulée de la visite de son exposition monstre après l’avoir croisé à l’entrée. Non, il n’est pas possible de tout voir en 40 minutes (la durée exacte de ma visite). Certains dessins à eux seuls méritent allègrement cette durée de contemplation. Le tout explose en forme et couleurs. Lithographies, sculptures, films et collages rendent hommage au slogan de l’expo Mondo DC : “vomir des yeux. 25 ans d’infection graphique”. Amateurs de bon goût, de beaux-arts et d’harmonie, mieux vaut vous tenir à l’écart.

Mondo DC offre un bouquet de fleurs putrides au parfum vénéneux. Une palette de couleurs façon Fukushima. C’est terriblement beau et insupportable. On se perd dans un dédale de zones dont certaines interdites aux moins de 18 ans. Il faut se pencher sur les vitrines pour lire les noms d’auteurs sur de tout petits cartels. “C’est voulu, sourit Pakito, œil bleu et poil blanc. Au Dernier cri, tout repose sur le collectif. L’idée de l’expo est de montrer du dessin. Mettre des cartels aurait tout foutu en l’air. Il faut faire un effort pour relier les dessins exposés aux livre parus. Mais y en a marre aussi de tout prémâcher. Aux gens de faire des efforts.” 

Voir le reportage d’Arte :

L’exposition présente certains des 391 livres conçus et façonnés dans l’atelier de la Friche où Pakito travaille depuis 25 ans. Impossible d’en dénombrer les auteurs (une centaine ?), du Ghana au Mexique en passant par l’Indonésie et le Japon. Il ressort de l’ensemble une impression contradictoire de prolifération cancéreuse et d’unité esthétique. “Le procédé sérigraphique y est pour beaucoup. La couleur c’est moi. Je choisis en fonction de leur travail. Il y a une forme de sublimation. Il y a aussi la même esthétique punk.” Tout effort définitoire finit en tuyau de poële mal embouché. “Art brut, viscéral et populaire. Pop-art expressionniste, undergraphisme…” Peu importe. “Ce qui compte, ce sont les livres, ce pourquoi on détruit les arbres d’Amazonie.”

Au-delà des livres pourtant, le Dernier cri offre une dynamique unique. “C’est ce qu’il faut retenir. Pakito rassemble, rencontre et accueille des gens très différents, analyse Fredox, président du Dernier Cri et artiste colleur. Il est le contraire d’un éditeur qui cherche à se faire un tableau de chasse. Il permet de se découvrir un cousin japonais qui fait un travail similaire”.

Esthétique métal et divinités indonésiennes

En 25 ans, Pakito a construit une esthétique commune et un réseau solide de micro-éditeurs et d’artistes “Selon les pays, la seule limite est peut-être celle du religieux et du droit à produire de l’image, explique-t-il. Mais nous avons des dessinateurs du monde entier. Le dernier en date est un artiste indonésien qui mélange l’esthétique métal et les divinités indonésiennes. L’art populaire est partout”.

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Il cite en exemple les artistes ghanéens qui redessinent en poster les affiches de films.Le collectionneur Pascal Saumade me les a fait connaître et j’ai pu commander un dessin à l’un d’entre eux”. Internet accélère les contacts par rapport au temps des colis et des timbres en frise mais son propre rythme de travail limite ses déplacements.

Heureusement son travail se dissémine. Pakito a vu disparaître pas moins de dix expositions de sérigraphies de par le monde. “Celle du Brésil a brûlé. En Australie, j’ai plus eu de nouvelles pendant trois ans avant que le mec me rappelle en me disant qu’il a enfin trouvé un lieu. Ce sont souvent des réseaux alternatifs…”

La dispersion fait partie du jeu. Et la tension entre le nous et le je est au centre de cette histoire. S’il poursuit cette tâche stakhanoviste c’est parce qu’il est soutenu par un réseau actif et tout aussi têtu. Le Dernier cri est Pakito. Mais pas que lui.

La ruche des images folles

L’atelier du Dernier Cri est une ruche. Des femmes, des hommes s’affairent autour des grilles de la machine à sérigraphier ou d’écrans où défilent des images folles. L’histoire du Dernier cri tient en ça : l’obstination d’un homme et la force du collectif.

Derrière la machine suit, cahin-caha. “C’est un bilan comptable linéaire, rigole Korine Gibaudan, administratrice, trésorière et coordinatrice des expositions. Aujourd’hui, l’asso génère 180 000 euros de chiffre d’affaires dont 115 000 partent en encre, papier…” Les subventions tombent au compte-gouttes. La Ville depuis 2003, les autres institutions rarement, par à-coups. Korine s’arrache les cheveux dans la gestion des stocks avec 2 à 3 livres par mois, 2 à 4 affiches en sérigraphie. “On en en vend dix et 280 nous restent sur les bras. On met dix ans à les écouler”.

Alors Korine Gibaudan pousse sa pierre, tente d’infléchir la lancée : demander une aide au Centre national du livre, obtenir une aide au fonctionnement, embaucher un stagiaire dans la recherche de partenariat. “Il n’arrête pas de transmettre. Fait des workshops dans des squats comme des musées. Il prend des stagiaires toute l’année. Mais il faut aussi structurer mon secteur. Il m’écoute un peu”.

“Le travail, le travail, le travail”

En vrai, Pakito ne s’arrête jamais. “Le travail, le travail, le travail. Quand je rentre chez moi, je dessine”. Depuis des mois, ce chez-soi est transformé en studio de tournage avec écran vert dans le salon et décor dans le garage. Le nouveau projet filmique dure depuis cet été. Il n’aura pas de fin puisque sa bande son évolue à chaque concert où il est projeté. Pakito est aussi musicien. Son dessin est punk-noise comme les sons qu’il produit. L’histoire a commencé comme ça, entre BD et pochettes de disque.

Né à Aigues-Mortes en 1964, Pakito y apprend le beau en copiant les BDs de son enfance. “Pour moi, le beau, c’est ça. Ce n’est pas Michel-Ange, les images d’église. On oublie que le beau a été au service de ça pendant des siècles. Mais je préfère ces images à celles des nouveaux temples que sont les FRAC, les FIAC. Depuis quand on doit chuchoter dans une expo ? Au nom de quel culte ?” C’est aux Beaux-Arts d’Angoulême, section BD qu’il poursuit l’aventure avant d’apprendre la sérigraphie à l’atelier APAAR à Paris et de créer le Dernier Cri en 1993, dans un atelier de Ris-Orangis avec sa compagne d’alors, Caroline Sury.

Pas que Pakito

Non, le Dernier Cri, ce n’est pas que Pakito. Pendant plus de 15 ans, ils font tout ensemble même si leur plume et leur style ne se mélangent pas. Caroline Sury a son coin dans l’expo. Un lieu à part, “plus doux, dit-elle, moins masculin dans le rapport au sexe peut-être”. Mais tout aussi cru avec ces drôles de dame impudiques produites au Dernier cri et ses images découpées réalisées depuis.

https://www.facebook.com/ludovic.ameline/videos/10156051441297616/

Entre eux, le torchon brûle encore. L’affaire est publique puisque Caroline Sury en a fait deux livres dans la veine autobiographique qu’elle poursuit. L’un en 2000, Bébé 2000 (l’Association 2000) raconte la naissance de leur fils Oskar, conçu dans le dos du père. Le deuxième Cou tordu (l’Association 2010) fait le récit de leur rupture. Caroline Sury a quitté l’aventure dont elle continue de revendiquer sa part de parentalité. Il y a 3 ans, elle a dessiné son portrait en très grand sur un mur de la Friche qui fait face à l’atelier. “J’ai fait ça parce que Pakito a tendance à oublier que j’ai cofondé les éditions avec lui. Sans moi, tout ça n’aurait pas eu lieu”, insiste-t-elle. “Comment je pourrais oublier ? Je vois sa gueule tous les jours”, réplique-t-il.

Entre eux, tout reste à vif, cru, non réglé même s’ils déjeunent encore en famille. Leur fils a 19 ans. Après un bac S – “avec mention très bien” soulignent les deux parents – il a décidé d’intégrer les Beaux-Arts de Biarritz. Contre l’avis de sa mère qui aurait préféré une filière plus porteuse “genre botaniste” et avec l’assentiment de son père plutôt content qu’il intègre une “petite école à taille humaine”.

L’air du temps qui pue

Outre cette fêlure personnelle, Pakito souffre aussi de l’air du temps qui pue parfois. En septembre 2015, il se trouve au centre d’un scandale politique nourri par l’extrême-droite locale alors que Marion Maréchal-Le Pen brigue la région. Le Dernier Cri expose deux artistes habitués de la maison, Stu Mead et Reinhard Scheibner, dont les œuvres mettent volontiers en scène dans leurs dessins de jeunes adolescents non chastes, du caca, des chiens…

L’exposition est interdite au moins de 18 ans mais la région soutient financièrement la Friche qui l’accueille. La mèche est allumée. Elle brûle de longs mois. Pakito est au cœur du maelström. “Les gens m’appelaient sur mon portable pour me dire qu’ils espéraient que je n’avais pas d’enfants, explique-t-il. Le pire, ce sont ceux que tu as édités et qui te disent que ”là, t’aurais pas dû”. Sans comprendre que demain, ce sont eux qui seront les pédo-noirs-juifs qu’on jettera dans la fosse aux lions”. 

Martine, pourquoi on lui voit la culotte

Lecteur ado de Métal Hurlant, Hara-Kiri ou Charlie mensuel, il constate aujourd’hui un espace de liberté qui s’amenuise, menacé par un retour de l’ordre moral, hystérisé par les réseaux sociaux. “Je fais pas de l’art avec des points rouges. Ce que j’édite, cela remue des choses réelles pour pousser à réfléchir. Ceux qui y voient de la pédo-pornographie, qu’ils relisent la série des Martine en se demandant pourquoi on lui voit toujours la culotte.” 

Ce ne sont pas ces vents mauvais qui vont bâillonner le Dernier cri. Tant pis si la fin des contrats aidés limite à un “moi-même au smic” le nombre de salariés. En 2018, l’association a touché 18 000 euros pour la grande expo et Vendetta n°6, le salon international du multiple et de la micro-édition. Rien du département et “plus rien de la région”.

Il garde un souvenir amer d’une rencontre avec un conseiller livre de la direction régionale de l’action culturelle, l’antenne locale du ministère de la culture. “Il ne connaissait pas le Dernier cri et m’a recommandé de vendre mes livres sur Amazon. La Drac. Amazon. Tu le crois ?”

Mondo Dernier cri. Exposition rétrospective du 15 décembre au 31 mars 2019 à la Friche de la Belle-de-Mai, 41, rue Jobin.

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Commentaires

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  1. titi titi

    Très bon article ! Pakito est dans un monde presque à part, c’est un révélateur. Même si aujourd’hui une “petite cours” ce crée autour de lui, on peut le croiser au marché de la belle de mai, le regard rêveur. Caroline à prit un autre chemin, pas si éloigné ; elle à un atelier rue Saint Savournin. ET QUE VIVE LE DERNIER CRIS !

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  2. kukulkan kukulkan

    Perso j’admire le travail qui est fait et regrette le désengagement des institutions. Mais je comprend aussi la polémique de 2015, j’avais vu les images et ça pose question sur la limite aux possibilités de représentations de la pédo-pornographie, même fictionnelle.. Je pense d’ailleurs que l’argumentation à ce propos de Pakito concernant les gens qu’il a édité et qui le lui ont reproché témoigne bien de la complexité de la chose.
    Reprocherait-on a Charlie Hebdo de ne pas montrer de pédo-pornographie fictive, au titre de la liberté d’expression? Quel intérêt à cela? Montrer que l’on ne peut pas s’attaquer aux enfants? Que la pédophilie est un tabou? Oui, et alors? …

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