Sous les tentes, la jungle des tests Covid

Enquête
le 27 Août 2021
15

Leur présence a explosé depuis l'entrée en vigueur du passe sanitaire. Tests bâclés, protocole non respecté, étudiants recrutés sans formation, la pratique des tests antigéniques dans des petits stands en pleine rue souffre de nombreuses dérives.

La présence de ces petits barnums a explosé depuis quelques semaines. (Photo LB)
La présence de ces petits barnums a explosé depuis quelques semaines. (Photo LB)

La présence de ces petits barnums a explosé depuis quelques semaines. (Photo LB)

L'enjeu

Apparue il y a seulement quelques mois, l'activité est peu encadrée, mais très lucrative.

Le contexte

Depuis l'entrée en application du passe sanitaire, les barnums pour se faire tester se sont multipliés, notamment à proximité des restaurants et des centres commerciaux.

D’abord jaunes, puis grises après un mauvais coup de Mistral, les tentes de tests antigéniques ont poussé par dizaines. Ces petits barnums ont fleuri dans les centres-villes et notamment à Marseille, regroupés dans les zones de grand passage. Particulièrement à proximité des lieux qui exigent le passe sanitaire : restaurants, bars, boîtes, mais aussi centres commerciaux. Dans certains cas, l’installation se résume à une table et une chaise, mais l’activité reste la même.

Le succès est réel : une queue se forme parfois devant les stands et les préleveurs en blouse bleue tentent de réduire le flot. Pour les flâneurs en quête d’une terrasse, les prélèvements sont faits à la va-vite. Les résultats de tests négatifs s’enchaînent. La pratique née au début de l’été a été dopée par la mise en place du passe sanitaire, mais elle ne se fait pas toujours dans les règles de l’art. L’ordre des pharmaciens, profession en pointe sur les tests antigéniques, est actuellement mobilisé contre ces dérives. “C’est une question de responsabilité sanitaire”, tonne Stéphane Pichon président de l’ordre en Paca-Corse.

Un business très lucratif

Une grande partie de ces tentes sont gérées par des sous-traitants. Ils proposent leurs services à des pharmacies ou des laboratoires pour “libérer” leur activité. Ces sociétés démarchent les praticiens autorisés à commander les tests et à les facturer via des mails aguicheurs, axés sur l’intérêt financier. Leur atout : proposer un équipement clé en main. Le prestataire, souvent enregistré sous le statut d’autoentreprise, met à disposition le personnel adéquat, et le matériel en contrepartie d’un pourcentage sur le remboursement des tests.

Un mail de démarchage de la part d’un sous-traitant envoyé à une pharmacie marseillaise.

Pour le moment, chaque test est remboursé 25 euros par la Sécurité sociale. Jonas* est gérant d’une entreprise qui sous-traite ces prestations. Non-issu du secteur médical, il a commencé à proposer ses services en avril dernier grâce à des proches, explique-t-il. Il a aujourd’hui un partenariat avec cinq pharmacies, soit 200 tests réalisés par jour au total, sous la supervision de professionnels. Une activité qui permet “des marges assez importantes” selon lui, mais “qui est éphémère“. En effet, à la mi-octobre, les tests ne seront plus remboursés par la Sécurité sociale et seront aux frais des patients : il faut donc s’attendre à une chute drastique de la demande.

Mi-octobre, les tests ne seront plus remboursés. La demande risque alors de chuter fortement.

Jonas indique prendre une commission de 40 % sur la facturation de ces tests, soit un chiffre d’affaires quotidien de 2000 euros. Les frais sont peu élevés en dehors du salaire des préleveurs : pas de loyer, un matériel sommaire. “On achète les tests entre 1,90 et 3,50 euros”, indique une pharmacienne, quand l’union de syndicats de pharmaciens d’officine préconise plutôt du matériel coûtant 5 et 8 euros l’unité. Pour tirer le maximum de bénéfice de leur affaire, certaines sociétés poussent les étudiants au rendement, souvent en faisant l’impasse sur le protocole sanitaire. “Ça me pose une question déontologique“, confie Antoine*, étudiant en kinésithérapie qui travaille dans une guitoune cet été. “Un jour j’ai fait 50 tests. Mon employeur m’a demandé d’en faire 150.”

Des accusations de fraude
Le partenariat entre prestataires et pharmaciens tourne parfois au vinaigre. Sarah Heller, responsable de la pharmacie Chave dans le 5e arrondissement, a soupçonné une fraude de son prestataire. “On a arrêté de faire des tests dans des tentes délocalisées. La société avec laquelle on travaille a exercé sans nous, ce n’est pas normal.” La pharmacienne s’est sentie dupée lorsqu’elle a appris que la société sous-traitante partenaire a utilisé son numéro de carte de professionnelle de santé (CPS) sans son accord. “Avec ce numéro, c’est mon diplôme que j’engage. Les tests doivent être faits sous la supervision de la pharmacie afin de veiller au respect du protocole.“, reprend la pharmacienne. Le numéro fonctionne comme un sésame : sans lui, impossible d’être payé. L’usage du code CPS du pharmacien sans son accord constitue une usurpation d’identité pénalement répréhensible. De nombreux signalements concernant des abus des sociétés sous-traitantes ont été reçus par l’union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), notamment pour des faits similaires. Selon son porte-parole, le procureur de la République a été saisi de plaintes par plusieurs pharmaciens.

Ubérisation

Au-delà de la question médicale, se pose celle du cadre de légal de l’embauche. Les sous-traitants ont mis en place des structures ubérisées, appuyées sur le statut précaire des préleveurs, qui doivent être à leur compte. Patrick Raimond, président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO), dénonce ces sociétés qui “exploitent” les étudiants : “Ils sont contraints de prendre le statut de micro-entrepreneurs les excluant de facto de la convention collective de la pharmacie. Ces étudiants deviennent corvéables à souhait et ne sont pas correctement protégés”. En cas d’accident ou de dommage au patient lors du prélèvement, ils ne sont pas assurés. Une situation estimée “dangereuse” par le président de l’USPO.

Les préleveurs sont des étudiants avec le statut de micro-entreprise. Ils ne connaissent pas toujours leur employeur.

Les saisonniers recrutés ne savent pas toujours qui les emploie. “Je reçois ma paie par l’agence d’intérim, mais je ne connais pas le nom de mon employeur”, glisse Marie*. Comme la jeune femme, Matthieu* fait des tests seul dans sa tente quelques rues plus loin. C’est un proche qui lui a conseillé ce poste. “Ça fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille, confirme-t-il. C’est ma sœur, infirmière qui m’en a parlé”. Souriant, courtois, le grand brun fait des tests tous les jours de 11 heures à 14 heures sur le Vieux-Port auprès des passants souhaitant s’installer en terrasse. “Il faut juste scanner le QR code, juste là“, leur indique-t-il. Ce lien redirige les patients vers le site SI-DEP de la Sécurité sociale, qui récolte tous les résultats. Une fois qu’ils ont rentré les informations, Matthieu* effectue le test. Pour les étrangers, il est facturé 25 euros. Ceux qui n’ont pas de smartphone devront passer leur chemin.

Inès, étudiante en manipulation radio, reçoit la localisation de son lieu de travail le matin par SMS. Il change tous les jours. C’est son “patron” qui passe en coup de vent lui apporter la tente, les tests et le matériel nécessaire au prélèvement. Sur place, elle réalise les tests seule. Elle rentre les coordonnées des clients sur un carton pré rempli et l’envoie en photo par texto à son employeur, dont elle ne connait que le prénom.

Capture d’écran d’une conversation Whatsapp où les offres d’emploi sont diffusées par les sous-traitants.

Le recrutement se passe par WhatsApp et sur Messenger. Pour travailler, ils n’ont besoin que d’une carte étudiante certifiant leur appartenance au secteur médical et de leur Rib. Deux photos, un clic, et l’affaire est conclue. Les offres pullulent. Certains sont payés à l’heure (entre 15 et 30 euros, suivant les postes), d’autres sont payés à la journée (à partir de 230 euros) ou à la soirée (150 euros minimum). D’autres, comme Inès, sont payés au test. Pour 35 tests facturés, elle recevra 110 euros. Si elle en fait 90, elle en recevra 170.

Afficher en plein écran

Des conditions pas toujours rigoureuses

Dans ce contexte, les préleveurs peuvent avoir tendance à faire des entorses à la procédure. Les tests sont faits à la va-vite et ils ne respectent pas toujours le temps d’attente réglementaire d’un quart d’heure pour que la réaction chimique se fasse. À tel point qu’on peut dans certains cas remettre en question la fiabilité des résultats. “J’ai l’impression que mon travail, c’est de délivrer des passes sanitaires”, déplore l’un d’eux. “Si le test est de mauvaise qualité et pas effectué correctement, les patients qui sont positifs au Covid-19 vont en boîte ou dans un rooftop, et ils contaminent tout le monde !”, s’agace Patrick Raimond, président de l’Union de syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).

J’ai l’impression que mon travail, c’est de délivrer des passes sanitaires.

Un étudiant

Inès n’a pour sa part reçu aucune formation l’initiant au prélèvement de tests antigéniques. Pourtant, elle a elle-même déjà formé une de ses amies à la pratique. Pour être valides, les tests doivent être vérifiés par un praticien de santé assermenté. Seules six professions du corps médical peuvent superviser les tests : un médecin, une sage-femme, un pharmacien, un dentiste, un kinésithérapeute ou un infirmier. Ce sont eux qui font l’interprétation du résultat. Or, comme c’est le cas pour Inès, certains stands ne sont pas encadrés par des professionnels. Dans ce cas, la pratique est illégale. “Les étudiants qui seront pris à exercer dans ce cadre seront suspendus de leurs études, et peuvent avoir l’interdiction de les terminer”, met en garde le président de l’ordre des pharmaciens Paca-Corse. De son côté, l’agence régionale de santé (ARS) effectue des inspections pour lutter contre ces pratiques abusives. Pour s’installer, les entreprises doivent se déclarer en mairie et auprès de l’ARS qui valide ou non les autorisations. Malgré nos sollicitations, elle n’a pas souhaité communiquer davantage de données à ce sujet.

Difficile de ne pas voir que dans de nombreux cas, les dérives constatées profitent au sous-traitant, comme au pharmacien, si celui-ci accepte d’être peu regardant. “Les officines qui sortent du cadre réglementaire le font délibérément. Elles ont été prévenues”, martèle le président de l’ordre des pharmaciens. Pas sûr que tous entendent ces mises en garde, alors qu’il ne reste que quelques semaines pour remplir les caisses.

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Alceste. Alceste.

    Là où il y a des sous à prendre les vautours sont de sortie.Les petits malins abonnés à l’argent facile sont de sortie accompagnés de pharmaciens qui aujourd’hui font le point, suite logique à une dérive epicière.Pharmacien, rappelle toi le serment de Galien que tu as prêté et plus particulièrement sur le désintéressement.

    Signaler
    • jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

      les vautours ne mangent pas des humains, les humains si.
      Le profit est tellement inscrit dans les gènes de cette société que l’ubérisation est de mise et encore nous ne savons pas tout des profits en cours.

      Signaler
  2. Alceste. Alceste.

    Là où il y a des sous à prendre les vautours sont de sortie.les petits malins abonnés à l’argent facile accompagnés de pharmaciens qui font le plein, suite à une dérive d’epiciers.Pharmacien, rappelle toi le serment de Galien que tu as prêté et plus particulièrement sur le désintéressement.

    Signaler
    • BRASILIA8 BRASILIA8

      Pourquoi s’en prendre aux pharmaciens ? le statut d’auto entrepreneur a été créé par Sarkozy et depuis il est utilisé aussi bien pour livrer des pizzas , conduire des voitures et toutes sortes de boulots mal payés et sans protections sociales alors pourquoi pas des tests !

      Signaler
    • Richard Mouren Richard Mouren

      Brasiliab. On s’en prend aux pharmaciens (ou à d’autres professionnels de santé pas trop regardants) parce que cette magouille n’est possible qu’en utilisant le numéro de sa Carte Professionnelle de Santé, sésame obligé pour obtenir remboursement du test. L’article l’explique très bien

      Signaler
  3. MarsKaa MarsKaa

    Merci pour cette enquête et cet article.
    C’est une information essentielle.

    Signaler
  4. Manipulite Manipulite

    Les sanctions sont précisément annoncées contre…les étudiants. Ces pauvres diables qui veulent gagner un peu de sous. Mais les pharmaciens qui ont trouvé là un bon filon en sous traitant à des margoulins jouent maintenant aux vertus outragées. Quelle bande d’hypocrites ! D’ailleurs ce ne sont plus des pharmaciens mais des franchises de boîtes internationales avec la morale et les méthodes qui vont avec.

    Signaler
    • BRASILIA8 BRASILIA8

      ce ne sont pas les pharmaciens qui sous traitent ils sont démarchés par des margoulins qui touchent 2000€ par jour
      en admettant que tous les pharmaciens refusent , l’Etat ne leur a pas demandé leur avis, qui fera les tests comme d’habitude l’Etat a pratiqué le “Yaka fokon” et à autres de se débrouiller il en va de même pour le contrôle du pass n’importe quel QR code peut servir à plusieurs personnes

      Signaler
    • vékiya vékiya

      BRASILIA8 c’est bien le pharmacien qui soustraite à des margoulins

      Signaler
  5. BRASILIA8 BRASILIA8

    à R MOUREN ce que l’article explique c’est que la pharmacienne s’est faite arnaquée
    ” La pharmacienne s’est sentie dupée lorsqu’elle a appris que la société sous-traitante partenaire a utilisé son numéro de carte de professionnelle de santé (CPS) sans son accord. “Avec ce numéro, c’est mon diplôme que j’engage. Les tests doivent être faits sous la supervision de la pharmacie afin de veiller au respect du protocole.“, reprend la pharmacienne.
    le vrai problème c’est que à force de déléguer sous traiter n’importe qui peut faire n’importe quoi et en attendant des gens qui sont peut être porteur du virus se promène avec “pass” en bonne et du forme
    et l’ARS réfléchi !!!

    Signaler
  6. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    On voit là à quel point des vautours savent se servir de la Sécurité sociale, cette bonne fille qui paie sans regarder (pour l’instant) tous les tests de tout le monde, quand bien même la même personne se ferait tester tous les jours. Comme pour n’importe quel test médical, le test antigénique n’est fiable que s’il est pratiqué correctement : parmi ceux qui sont pratiqués à la chaîne dans ces stands, combien y a-t-il de faux négatifs ? Comment a-t-on pu laisser s’installer ces “prestataires” peu regardant dont le seul objet social est de faire du fric en pillant la Sécu ?

    Signaler
    • jean-marie MEMIN jean-marie MEMIN

      Les vautours sont des rapaces sympas .
      Comme la SS va être exsangue prochainement…la dette de la Sécu…bla bli, bla bli…va falloir passer tous aux assurances privées…et ce n’est pas conspirationniste ou complotiste (au choix…!) et je remet le son ;
      QUAND TOUT SERA PRIVÉ NOUS SERONS PRIVÉS DE TOUT…!

      Signaler
  7. Manipulite Manipulite

    @brasilab ces margoulins travaillent en sous traitants des pharmaciens et doivent être sous leur contrôle et responsabilité. Les pharmaciens sont payés pour ça.
    Malgré vos efforts vous n’allez pas pouvoir innocenter les pharmaciens en mettant la responsabilité sur le dos de l’Etat.

    Signaler
    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Il faudrait peut-être un peu nuancer : “les” pharmaciens n’ont pas tous sous-traité les tests à des prestataires, et je suis très bien placé pour le savoir. Il faut se garder d’exécuter toute une profession parce que certains de ses membres ont commis des dérives.

      Signaler
  8. barbapapa barbapapa

    Dans l’absolu, permettre de tester sans rendez-vous est une bonne chose, rappelez-vous les débuts du covid où il fallait vite tester pour circonscrire l’épidémie. Mais permettre, aujourd’hui que l’on peut facilement se faire vacciner, des tests gratuits à qui mieux mieux, c’est de la gabegie d’argent public.
    En outre, pour chaque test effectué, le pharmacien titulaire se doit d’être à toute proximité, et vérifier la bonne exécution des tests. De toute évidence, pour beaucoup de barnums, ils n’y sont pas et les tests sont faits à l’arrache (à mon avis, ils n’ont pas intérêt à trouver des positifs, ça doit être synonyme de tracasseries administratives). Et c’est l’ARS qui se doit de le vérifier.
    Il suffirait que l’ARS décide d’allumer quelques pharmaciens vénaux et peu scrupuleux + un coup de com. et c’en est fini du barnum des barnums.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire