Sans lieu adéquat pour pratiquer leur culte, les musulmans d’Encagnane se débrouillent

Actualité
le 4 Jan 2020
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Dans un sous-sol miteux, isolé dans une chambre, devant un écran d’ordinateur, ou à des kilomètres de chez soi. Tels sont aujourd’hui les conditions de prière des musulmans d’Encagnane. Privés de lieux de culte, les fidèles sont contraints de trouver de nouveaux moyens d’exercer leur foi.

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L'entrée de la salle de prière René-Guedon. Photo Emilio Guzman.

L'entrée de la salle de prière René-Guedon. Photo Emilio Guzman.

“Maintenant tout le monde prie à la maison”, résume une femme voilée rencontrée dans le quartier aixois d’Encagnane. Pourtant, derrière elle, on peut encore lire l’écriteau “mosquée du Calendal”, au rez-de-chaussée d’un bâtiment délabré. Mais, cela fait plus de deux ans que cette salle de prière a été fermée : d’abord par la préfecture puis par le bailleur social. Les musulmans du quartier se retrouvent ainsi privés de leur principale “mosquée”, dans une ville où les salles de prières se font rares.

Entassés dans un sous-sol

Il ne reste qu’un autre lieu inadapté pour prier dans le quartier. Une petite salle appelée”mosquée René-Guénon”, dans les sous-sols de la résidence des Facultés, le bâtiment le plus dégradé du quartier. Le local ne permet pas d’accueillir tous ceux qui s’y présentent. “La salle ne fait que 100 mètres carrés et il y a au moins 500 personnes qui viennent pour le prêche du vendredi. En se serrant on peut faire rentrer 120-150 personnes maximum”, raconte Jamel Belhedi, ancien imam.

“C’est encore plus difficile depuis la fermeture de la salle du Calendal“, complète Abdelali Kallab, l’imam actuel. En plus d’être trop petite, la salle René-Guénon présente des problèmes de sécurité. “Elle est toujours inondée, explique monsieur Belhedi, et “les assureurs ne veulent plus l’assurer.” Le problème d’infiltration n’est pas sans danger puisque la fuite d’eau est proche du tableau électrique.

Caché chez soi

La fermeture de la salle de prière du Calendal a entraîné une individualisation de la pratique religieuse des habitants. Alors que dans la tradition religieuse, la prière du vendredi est collective. En conséquence, “beaucoup sont contraints de faire leur prière classique chez eux. d’autres sont désespérés et n’essaient même pas de venir”, explique Abdelali Kallab.

Parce qu’elles ne peuvent pas partager le même espace que les hommes, les femmes sont les premières privées de lieu de culte. Dans l’étroitesse du sous-sol des Facultés, il n’y a pas d’espace pour les accueillir. Nadia, une jeune étudiante musulmane, explique qu’en tant que femme “la question des lieux de culte ne [la] concerne pas”. Elle n’a pas d’autre choix que de prier chez elle. Les musulmanes d’Encagnane ne peuvent pas choisir de fréquenter ou non un lieu de culte à proximité.

En live sur Facebook

Les salles de prières étant rares et bondées, certains imams prennent la décision de retransmettre leur prêche en live sur Facebook. C’est le cas de Jamel Belhedi, l’ancien imam de la salle René-Guénon, qui officie désormais à la mosquée des Cèdres à Marseille. Il explique avoir fait ce choix dans un souci de transparence, mais aussi pour permettre aux personnes qui ne peuvent pas accéder à une salle, de bénéficier de la prière collective. Dans un même principe, depuis la mosquée René-Guénon c’est un enregistrement audio qui est transmis. La situation est telle que Jamel Belhedi explique qu’aujourd’hui, “la majorité des imams le font”.

Cette méthode numérique de compensation ne comble pas le manque de lieux de culte. “Le live Facebook ne remplace pas la pratique cultuelle de partage dans un lieu de culte”, déplore Oussama, le président de l’association des étudiants musulmans d’Aix-en-Provence (AEMA).

Sur les routes

Certains habitants du quartier ont aussi tenté de se rendre dans d’autres salles de la ville. Mais elles sont très peu nombreuses. Celle du Jas de Bouffan, la plus spacieuse, est déjà pleine à craquer. Certaines familles sont alors prêtes à faire des kilomètres. Salima, une mère de deux jeunes enfants explique qu’elle va tous les samedis à Marseille pour que ses enfants puissent suivre des cours d’arabe et de Coran, auparavant dispensés directement dans leur quartier. “Beaucoup de fidèles ont abandonné et partent ailleurs, à Vitrolles ou à Marseille”, constate Jamel Belhedi.

Certains musulmans du quartier témoignent d’une sentiment d’injustice. “Quand quelqu’un fait quelque chose de mal, il faut le sanctionner. Mais pourquoi sanctionner tout le monde ?”, s’interroge Amel, une habitante, en faisant référence aux soupçons de salafisme envers le précédent imam de la salle du Calendal, à l’origine de la fermeture. “On ne doit pas punir toute la communauté pour un imam”, dit Jamel Belhedi. Madji, un jeune père arrivé depuis peu à Encagnane exprime son incompréhension : “Il y a bien de belles églises, de belles synagogues. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de belle mosquée…”

La principale revendication des musulmans du quartier est un droit au respect et à la liberté de culte. “Les fidèles vivent une injustice, le droit au culte est un droit des citoyens”, s’indigne Abdelali Kallab, l’imam actuel de la salle René-Guénon. Pour lui, le fait de refuser de manière catégorique l’implantation d’une mosquée à Aix-en-Provence est une “atteinte à la laïcité” (lire par ailleurs notre article à ce sujet). “C’est l’équivalent de dire on ne veut pas de musulmans à Aix”, s’empresse-t-il d’ajouter. Les marges de manœuvre d’une municipalité ne sont cependant pas illimitées, en vertu du même principe de laïcité : il n’est pas possible de financer directement un lieu de culte, même si toute location de salle municipale n’est pas interdite.

Jamel Belhedi, l’imam de la mosquée des Cèdres, demande avant tout des salles de prière de proximité. “Aix-en-Provence est une ville cosmopolite, il faut que les musulmans puissent se réunir. On veut que la communauté musulmane d’Aix-en-Provence soit respectée, soit considérée. Pas envoyée prier dans des sous-sols”, conclut-il.

Lucile Rousseau-Garcians

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Commentaires

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  1. Marie-Claire DELAIRE Marie-Claire DELAIRE

    Prier dans la rue, c’était de la provocation… Au Moyen-Age, c’étaient les communautés qui , par leurs dîmes, participaient à la construction des cathédrales. Et une mosquée, destinée à prier et non à éblouir les populations, ne sont tout de même pas aussi coûteuses en temps, argent et vies humaines…Évidemment, une mosquée peut toujours être offerte par un pays étranger, mais l’imam…
    Que des gens soient opposés à la construction de mosquée, où que ce soit, c’est compréhensible dans le contexte actuel. L’imam de la mosquée des Tuilleurs devrait dire sa certitude que les imams doivent être formé en france et atre français

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  2. Marie-Claire DELAIRE Marie-Claire DELAIRE

    Correction : L’imam de la mosquée des Tilleuls devrait dire sa conviction que les imams doivent être français et formés en France.

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