[Repas de familles] “Au Fémina, notre couscous de paysans kabyles parle à tout le monde”

Série
le 6 Août 2022
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De l'apéro au café. Avec cette série d'été, Marsactu s'attache à cinq dynasties familiales qui font manger et boire Marseille. Le plat de résistance, le couscous à la graine d'orge de la famille Kachetel, est copieux. Un monument centenaire qui appartient autant à la cuisine kabyle qu'au patrimoine marseillais.

Restaurant Le Fémina, rue du Musée : Mustapha Kachetel, le petit-fils du fondateur. (Photo Emilio Guzman)
Restaurant Le Fémina, rue du Musée : Mustapha Kachetel, le petit-fils du fondateur. (Photo Emilio Guzman)

Restaurant Le Fémina, rue du Musée : Mustapha Kachetel, le petit-fils du fondateur. (Photo Emilio Guzman)

Aux murs du restaurant Le Fémina, l’histoire familiale se lit à livre ouvert. Il y a bien quelques photos avec des élus locaux, des célébrités, deux ou trois rappeurs. Mais les clichés les plus intéressants sont ceux accrochés au plus près des cuisines. De simples portraits, parfois austères comme il était alors d’usage, qui racontent la généalogie des Kachetel. Debout face au mur de pierres, Mustapha Kachetel, représentant de la 4e génération, fait les présentations. Il y a là, Arezki et Hamon, ses arrière-grand-père et arrière-grand-oncle, le grand-père Mohand, puis Mohand fils et Smina, les parents de Mustapha. Également ses deux grands-mères chéries Dabia et Wardia.

Sous l’éternel chapeau de paille qu’il arbore pendant le service, Mustapha les pointe un à un. Tous ont joué leur rôle, explique-t-il, dans la destinée de ce restaurant presque caché, rue du Musée, quasiment à l’angle avec la Canebière. Depuis un siècle et un an, la famille Kachetel sert ici un couscous généreux et fort en caractère – conseil d’amie : arriver le ventre léger avant, prévoir un petit roupillon après.

Orge, smen et légumineuses

Jamais lassé de présenter le grand-œuvre familial, Mustapha Kachetel en décrit l’essence : un couscous à la graine non pas de blé, mais d’orge, plus légère, roulée avec une pointe de smen, le beurre rance maison et une sauce riche en légumineuses. “C’est la recette de mon arrière-arrière-grand-mère que j’ai essayé de garder la plus fidèle possible au gré des transmissions”, indique-t-il.

Dans les cuisines du Fémina. (Photo Emilio Guzman)

Au fond du resto à la déco bigarrée, façon tente berbère, les marmites glougloutent dans la cuisine ouverte. Mustapha touille doucement le mélange. En Kabylie, dont la famille Kachetel est originaire, “les hivers sont rudes”, rappelle Mustapha. La spécialité maison, descendant tout droit de ces terres montagneuses “où les paysans ont besoin de forces”, puise là sa singularité. Car dans sa sauce, en lieu et place du traditionnel trio courgette-navet-carotte, ce sont les lentilles, haricots cornille, pommes de terre et pois chiches qui prédominent.

Figure de Noailles

Cette recette, Smina, la maman de Mustapha décédée cette année, en a longtemps été la gardienne. L’héritage familial se perpétue depuis le village de Bouzguen, dans la wilaya de Tizi Ouzou. “À la fin du XIXe ou au début du XXe siècle, je ne sais pas exactement, mon arrière-grand-père Arezki et son frère Hamon ont quitté la Kabylie pour gagner leur vie. Arezki était un peu un aventurier !”, retrace Mustapha. Les deux frères qui, dans leur village font commerce de lapins et de poules, travaillent un temps sur le port autonome de Marseille avant d’ouvrir leur restaurant, Chez Kachetel, le 26 juillet 1921.

“Quand je faisais mes devoirs sur une table, sur celle d’à côté, Jean-Claude Izzo corrigeait mes copies. Je pense qu’il a écrit pas mal de ses bouquins ici!

Mustapha Kachetel

Depuis, si quelques travaux ont été entrepris au gré des années dans l’établissement, les fondamentaux n’ont pas bougé. Le père de Mustapha, Mohand, en a tenu les rênes pendant des décennies. Aujourd’hui encore le retraité de 78 ans est une des figures de Noailles. Le matin, on le voit régulièrement prendre le frais à l’angle de la Canebière et de la rue d’Aubagne.

Mustapha, lui, a vu le jour en 1972, en Algérie comme ses huit sœurs. “Notre maman voulait que nous naissions là-bas”. Mais c’est ici qu’il grandit, entre les tables en bois, la vaisselle en terre cuite et les odeurs de cuisine : “Petit j’étais là, ado j’étais là. Quand je faisais mes devoirs sur une table, sur celle d’à côté, Jean-Claude Izzo corrigeait mes copies. Je pense qu’il a écrit pas mal de ses bouquins ici !

L’équipe du restaurant Le Fémina, rue du Musée, au côté de Mustapha Kachetel, le petit-fils du fondateur. (Photo Emilio Guzman)

Que Mustapha reprenne l’affaire familiale tenait de la logique. Pourtant, assure-t-il, lui voulait faire médecine. “Ça s’est fait presque naturellement, sans que je ne m’en rende vraiment compte, à vrai dire. Mon père est tombé malade, il a fallu l’aider. Je me suis retrouvé aux fourneaux et à gérer la salle”, rembobine le restaurateur. Difficile, avec son sourire radieux, sa tchatche truculente et son impeccable mémoire des clients, de l’imaginer voguer dans d’autres eaux. À la fin des années 80, Mustapha ajoute sa patte personnelle au restaurant. En l’honneur “des femmes qui ont travaillé ici, à commencer par ma maman”, Chez Kachetel devient Le Fémina.

“Noailles c’est le ventre de Marseille et Marseille c’est le cœur du monde. Donc ici c’est le ventre du monde avec les Africains, les Magrébins, les Asiatiques, les Italiens, les Espagnols…”

Mustapha Kachetel

Son ADN, mi-kabyle mi-marseillais reste inchangé. Mustapha, en prolongeant son histoire, continue d’écrire la mythologie de Noailles. “Je suis très attaché à mes racines kabyles, mais sans jamais oublier que j’ai grandi ici, assume-t-il. Noailles c’est le ventre de Marseille et Marseille c’est le cœur du monde. Donc ici c’est le ventre du monde avec les Africains, les Magrébins, les Asiatiques, les Italiens, les Espagnols…”

Du couscous à l’Unesco

Même si ses tarifs ne sont pas donnés (compter 23,90 euros pour un couscous agneau), le patron s’enorgueillit de voir toutes les catégories sociales voisiner à sa table : “Le couscous est un plat de partage par excellence. On peut le faire pour trois fois rien, ou trois fois beaucoup ! Ça peut être un plat de pauvre ou un plat de riche. Tout un chacun peut se retrouver dans ce plat et moi je suis fier que notre couscous de paysans kabyles parle à tout le monde.”

En décembre 2020, le plat est officiellement entré au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Voilà qui régale le représentant de la 4e génération des Kachetel, tout content d’apporter sa louche de graine quotidienne à l’édifice. Mais sa grande fierté, c’est lorsque les clients lui glissent à l’oreille que son couscous est le meilleur de la ville. Il feint la modestie, mais en dedans, ça se voit, il jubile. “Il paraît qu’on fait partie du patrimoine de Marseille, tant mieux !, lâche-t-il dans un sourire éclatant. C’est la reconnaissance de beaucoup de travail, entrepris avant moi. Ce savoir ne m’appartiendra jamais, j’essaie de le transmettre.”  Mustapha a deux filles. Il le souligne d’un air qui veut dire “qui sait ?”, avant d’asséner une certitude : “Tant que je serai là, Kachetel restera Kachetel.”

Le Fémina : 1 Rue du Musée, 13001 Marseille. 04 91 54 03 56

Le 3 septembre, Le Fémina participe au festival KoussKouss et servira dans la rue du Musée, non stop de 11 h 30 à minuit, un couscous à la semoule d’orge relevé d’harissa à l’huile d’olive de Kabylie.

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    ça me donne faim

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  2. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    AZUL Fellawen ,j’apprécie particuliérement votre couscous à l’orge accompagné d’un morceau de méchoui bien fondant , pimenté avec du felfel maison, arrosé d’un vin de là-bas et pour finir un thé à la menthe agrementé avec une corne de gazelle !

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