Quel avenir économique pour l'Etang de Berre après l'électrochoc LyondellBasell ?

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le 25 Oct 2011
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Quel avenir économique pour l'Etang de Berre après l'électrochoc LyondellBasell ?
Quel avenir économique pour l'Etang de Berre après l'électrochoc LyondellBasell ?

Quel avenir économique pour l'Etang de Berre après l'électrochoc LyondellBasell ?

« Mise sous cocon ». C’est aujourd’hui la perspective qui attend la raffinerie LyondellBasell : face à la grève déclenchée par l’intersyndicale et la menace d’un blocage complet du site pétrochimique de Berre, la direction a accepté de temporiser son projet de fermeture : au 31 décembre, la raffinerie sera bien arrêtée, mais maintenue prête à redémarrer pendant 2 ans. « Il y a 15 jours on nous promettait une fermeture rapide. Aujourd’hui la situation n’est plus irréversible », se félicite Rémi Patron, délégué CFE-CGC.

Et après ? C’est l’occasion pour les 370 salariés de la raffinerie (dont la fermeture impacterait les 1250 du site pétrochimique assurent-ils, un effet nié par LyondellBasell) et les responsables locaux de trouver une alternative. Pour ce site précis, mais aussi la zone industrialo-portuaire du pourtour de l’Etang, sur un dossier qui demande de savoir manier des échelles de temps différentes.

Soutien politique unanime

La première des échéances, c’est celle du temps médiatique, de la mobilisation syndicale et politique. L’intersyndicale, on l’a vu, a sur ce terrain remporté une première victoire. Et du côté des élus les soutiens vont croissant : alors que début octobre, le président du groupe PS au conseil général Mario Martinet reprochait aux « élus de droite de ce département » de ne « pas être mobilisés », s’appuyant sur l’abstention du groupe UMP au CG13 sur la motion de soutien votée en juin, c’est à l’unanimité que le conseil général a voté pendant la séance plénière du 14 octobre un texte de défense de l’industrie départementale.

Autre soutien de poids : Michel Vauzelle, président du conseil régional, qui a reçu mi-octobre une délégation de salariés. « Ce n’est pas en désindustrialisant Marseille et sa région que nous trouverons notre avenir », entame-t-il, précisant que la région « traite 32% du pétrole français, cela représente 3500 emplois directs. Quand on touche à ce secteur, on touche au coeur de notre activité économique ». Et en plus du Front de Gauche, très ancré sur l’Ouest du département et sur un de ses sujets de prédilection, l’intersyndicale a également reçu le 30 septembre la visite d’élus Europe Ecologie-Les Verts (EELV), qui avait clairement affirmé la veille son soutien dans un communiqué.

Même les écologistes, mais moins Besson

Moins évident a priori s’agissant de la défense d’un site pétrochimique… « Les syndicats ont été surpris de nous voir arriver, reconnaît Sophie Camard, qui président la commission Emploi, développement économique, innovation, enseignement supérieur et recherche au conseil régional, mais il faut bien distinguer les batailles écologistes sur des projets et l’héritage industriel. Une raffinerie en activité qui n’est pas aux normes, c’est un problème. Mais une raffinerie qui ferme brutalement et laisse tout en plan c’en est un autre ».

Surtout, « si on raisonne à l’instant t, étant donné la consommation française, une fermeture de raffinerie cela fait simplement davantage d’importation ». Une vision rejointe par Mario Martinet : « Est-ce qu’on va continuer à fermer et dépendre demain de produits tous raffinés ? On a un savoir-faire, des unités, pourquoi brader tout cela ? », peste-t-il, rappelant le projet pas encore abandonné de dépôt de produits raffinés Oil Tanking Mediaco.

En terme de soutien, le ministre de l’Industrie Eric Besson est lui moins clair, comme le montre la dépêche AFP du 1er octobre : « Le gouvernement mobilise l’ensemble de ses moyens », avait-il assuré en réponse à la visite sur place et aux critiques de François Hollande, « cependant interrogé par l’AFP, le ministère n’était pas en mesure d’indiquer quelles mesures il entendait prendre ou mettre en place pour assurer la pérennité du site ».

D’autant plus qu’une phrase du ministère avait eu un effet terrible sur les salariés : « le gouvernement veillera à ce que LyondellBasell respecte ses obligations de reclassement, que les salariés concernés par la fermeture de la raffinerie touchent une prime de licenciement suffisamment importante ». Après l’annonce de la mise sous cocon, un communiqué est venu tenté de rattraper le coup, le ministre expliquant avoir  « œuvré pour rapprocher les parties et renouer le dialogue social » et surtout avoir « demandé au groupe LyondellBasell de présenter dans les meilleurs délais un programme clair d’investissements permettant d’assurer la pérennité de l’activité ».

Un repreneur et un hydrocraqueur

A court terme, la priorité c’est maintenant la recherche d’un repreneur, menée puis arrêtée par le groupe américain, et sans qui il n’est même pas question de parler d’avenir. « Tout est possible à partir du moment où LDB ne bloque pas. Aujourd’hui, ils ont une position un peu bâtarde de dire qu’ils n’iront pas chercher d’acheteur mais que si un dossier se présente ils l’examinerons. Nous on n’a pas les capacités de faire cela, par contre les services de l’Etat oui », commente Rémi Patron.

L’Agence française pour les investissements internationaux (AFII) a été mobilisée sur le dossier, sans succès. « Personne n’est venu sur place, ils n’ont pas reçu de lettre de mission et cela les dépasse un peu », affirme Mario Martinet. Un des exemples qui montre que le plan d’action Besson de juin 2011 pour le raffinage, dont c’était l’une des mesures, « n’est pas à la hauteur des enjeux ».

Mais le site est-il viable ? Elu dans le canton de Berre, il assure que « ce n’est pas un problème de rentabilité mais de rentabilité pour les actionnaires ». Pour contrer les « pertes » avancées par LDB pour justifier sa décision, les salariés s’appuient sur l’audit du cabinet McKinsey réalisé dans le cadre du droit d’alerte, concluant que «sur les cinq années à venir, le site est profitable dans son ensemble, en intégrant la raffinerie». Autrement dit la viabilité ne peut se mesurer que si l’on prend en compte l’intégration entre la raffinerie et la dizaine d’unités de productions situées en aval. Problème : LDB ne met en vente que la raffinerie.

Plus de gazole, moins de pollution

Le port pétrolier de Lavera

C’est là qu’entre en piste une échelle de temps plus longue, celle qui peut correspondre à un acheteur décidé à s’implanter dans la zone, et à laquelle tient l’essentiel de l’espoir des syndicats. « Depuis une quarantaine d’années le raffinage est orienté vers l’essence alors que le marché est aujourd’hui orienté gazole. On exporte donc 6 millions de tonnes d’essence pour importer 20 millions de tonnes de gazole », explique Fabien Astier (CGT).

Sa conclusion, qui est aussi celle de Michel Vauzelle et Sophie Camard à la Région : il faut « inciter à investir dans un hydrocraqueur », qui en plus de réduire la pollution permet de produire davantage de gazole. Le coût est chiffré « entre 350 et 450 millions d’euros. Ce n’est pas mirobolant, cela représente 2 mois de charges de brut, il serait amorti sur 3 ou 4 ans », assure le syndicaliste. Avec l’idée de « mutualiser » cet investissement, par exemple via un groupement d’intérêt économique, entre les raffineries de la zone (Esso, Total) qui n’en disposent pas non plus.

Reste à les convaincre. « Aujourd’hui seul Ineos Lavera s’engage dans ce processus » de modernisation, signe d’une volonté de « s’installer dans la durée », note Sophie Camard, en réalisant de nouveaux investissements sur l’hydrocraqueur dont elle est équipée depuis 1972 et sur le site en général. Pour Michel Vauzelle, son rôle se limite là à l’interpellation (il va notamment saisir l’Union française des industries pétrolières) : « L’Etat seul a la capacité de convoquer à une table ces grandes entreprises. Si j’appelle le PDG d’Unilever (multinationale qui souhaite ferme le site de Fralib, ndlr), il va me demander qui je suis… » Reste que « si malheureusement le plan social s’appliquait les salariés bénéficieraient du fond de formation Iris de la Région qui on l’espère pourrait contribuer à limiter la casse sociale », glisse Sophie Camard.

La voie de la reconversion

Mais à plus long terme, avec l’après-pétrole qui se profile et les exigences de plus en plus draconniennes sur des secteurs comme la chimie, va-t-on se contenter de constater la casse fermeture après fermeture, avec le risque d’un effondrement économique du département ? « L’hydrocraqueur permet déjà d’avoir une vision sereine pour 10 ans », rappelle Fabien Astier. « La pétro-chimie me paraît indispensable dans les 20 ans à venir : ça fait partie de votre quotidien, le tableau de bord de votre véhicule, votre ordinateur », complète Mario Martinet.

Rassurer les salariés

« Nous faisons partie des rares politiques à dire depuis longtemps qu’il faut anticiper la reconversion », commente Sophie Camard. De fait, lorsqu’on lui parle de reconversion, Mario Martinet a en un peu de mal : « on nous parle de chimie verte, d’accord mais à quel horizon ? », répond-il, s’inquiétant « pour les salariés et leur savoir-faire entre temps ». C’est toute la difficulté du dossier pour son homologue du conseil régional : « il faut qu’on arrive à avoir un discours qui articule court et long terme, qui rassure ».

« Les syndicats ne sont pas hostiles à la discussion et je pense qu’ils sont les premiers à savoir que cela ne peut pas durer 40 ans. Et ce n’est pas parce qu’on travaille dans la pétrochimie qu’on aime la pollution et qu’on déteste la nature, mais on tient avant tout à son emploi », lance cette fille de salarié de Total. Si j’y étais employée, j’estimerais que ce n’est pas à moi de le dire mais au politique. Sauf que depuis des années personne ne veut prendre la responsabilité de l’annoncer à la place de l’employeur ».

Elle observe cependant une prise de conscience importante récemment. « C’est dommage, car cela tombe au moment où l’on commence à travailler concrètement, où ce n’est pas qu’une lubie d’écolo mais où des industriels, des chercheurs travaillent dessus. Lyondell est un électrochoc de plus mais on ne peut pas exclure un scénario domino » où l’Etang de Berre n’aurait pas le temps de se retourner. ôté syndicats (CFDT, CFE-CGC et même CGT « qui même si elle est très positionnée sur la défense de l’existant n’est pas si bloquée qu’on le croit ») comme patronat (Union des industries chimiques, notamment).

« Pas d’écologie sans industrie »

L'Etang de Berre vu du ciel. Photo : PhilipC – Creative Commons

Et pour que les choses soient bien claires, à ceux l’accuseraient de vouloir un Etang de Berre sans usines (ou qui en rêvent), elle lâche une phrase rarement affirmée aussi clairement par ses camarades : « je ne vois pas l’écologie sans industrie ». En insistant notamment sur l’ »aspect qualitatif. Les seules solutions qu’on propose ici (logistique, tourisme) sont génératrices d’emploi peu qualifiés, précaires, saisonniers. L’industrie et la recherche permettent de garder des savoir-faire, d’avoir une haute valeur ajoutée ». En écho, Michel Vauzelle se refuse à voir la région se limiter à « faire de la lavande, du tourisme et des terrains à construire ».

Chez Mario Martinet, la sortie du président de la chambre de commerce et d’industrie Jacques Pfister sur un « salon nautique permanent » sur l’Etang est également mal passée : « C’est un doux rêve. On ne peut pas dire la pétro-chimie ferme mais ce n’est pas grave on va faire une marina. Même si en tant que délégué à la réhabilitation de l’Etang de Berre, je pense qu’il deviendra le poumon bleu de ce département, avec des fonctions de loisirs. Mais il ne faut pas se leurrer cela ne comblera pas le trou, cela n’apportera pas la même capacité d’emploi. C’est un élément de diversification mais pas suffisant. » Approbation de Sophie Camard : « on est là davantage sur de l’économie de proximité (artisanat, pêche…), il faut restituer les enjeux par rapport aux millions d’emplois industriels ».

Chimie verte, micro-algues, éoliennes marines…


Berre-l’Étang, France

Alors on fait quoi ? Pour le site pétrochimique « des interventions directes en matière économique nous sont interdites par la France et l’Europe », a rappelé Michel Vauzelle, mais « nous aurions le droit de financer des études pour repérer les techniques de production plus durables qui pourraient être introduites sur le site. Nous avons un savoir-faire sur le sujet avec le Prides Novachim« . Sophie Camard cite également « la réflexion en cours entre la CGT, EELV et la Région pour lancer une filière de démantèlement et recyclage des bateaux ». Curieux attelage, mais qui s’appuie sur une conjoncture favorable (réglementations plus strictes, hausse du prix de l’acier), et une vision « d’écologie industrielle : on s’appuie sur les savoir-faire de la chimie, présente sur place, et cela approvisionnerait Arcelor Mittal en matières premières ».

Mais plus généralement elle défend « l’idée de passer d’un pôle pétrole à un pôle carburants et énergies nouvelles ». Et cite en exemple Biocar sur le Grand port maritime de Marseille, les éoliennes flottantes Vertiwind au large de Fos, le tout nouveau pôle micro-algues Greenstars, le projet de captage, stockage et valorisation du C02 Vasco… Ces deux derniers étant pour elle étroitement liés, les algues ayant besoin de CO2 pour se développer. L’idéal : le CO2 capté à Arcelor Mittal irait faire du carburant dans les salins du Midi pour le projet Salinalgues.

Chacun dans son coin

Vasco ayant au minimum le potentiel de faire avancer la coopération dans la zone, « puisqu’il peut intéresser tous les industriels ». Car aujourd’hui, elle est bien la seule à « faire le lien » entre tous ces projets, glisse-t-elle. « Aujourd’hui il n’existe pas de structure qui mette autour de la table tous les acteurs de la zone. Tout a été fait par l’Etat et les industriels font chacun leurs affaires dans leur coin. Le Grand port maritime de Marseille n’est pas encore un chef de file et je ne suis pas sûre que ce soit son rôle. L’idée de mutualisation d’un hydrocraqueur irait déjà dans ce sens ».

Ce problème et son incidence sur l’inertie des investissements, Rémi Patron en est conscient : « On a perdu 10 ou 15 ans autour de l’Etang de Berre, pendant lesquels la pétro-chimie se regardait le nombril. Depuis les années 70/80, l’Etat n’est plus là. Aujourd’hui l’outil industriel est un peu dépassé ». Et à ceux qui pourraient encore penser que tout cela est une « lubie d’écolo », Sophie Camard  a une réponse simple : « C’est le seul discours de rechange aujourd’hui si l’on ne veut pas avoir un désert demain ».

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Commentaires

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  1. Marqueur Marqueur

    Vous parlez du site de Berre et vous mettez la photo de la raffinerie qui a le plus d’avenir celle d’Inéos.
    Une raffinerie sous cocon ne redémarre JAMAIS.
    Total a fermé la raffinerie des Flandres à Mardyck malgrés les bloquages syndicaux

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  2. LENN LENN

    JE PEUX VOUS GARANTIR QUE C EST BIEN LA PHOTO DU SITE PETROCHIMIQUE DE BERRE L ETANG LYONDELLBASELL POUR PREUVE SA PROXIMITE A L ETANG SACHANT QUE INEOS N EST PAS COLLE A L ETANG
    AUSSI IL EXISTE BIEN DES UNITES QUI SONT REGULIEREMENT MISE SOUS COCON ET REDEMARRER POUR DES MARCHES DIT “SPOT” NOTAMENT EN ANGLETERRE
    TOUT CELA POUR REPONDRE AU COMMENTAIRE TOUJOURS NEGATIF ET PESSIMISTE DU “MARQUEUR noir” QUI A CHAQUE COMMUNIQUE SUR L AVENIR DE LA RAFFINERIE DE BERRE SE REGALE A CE FAIRE REMARQUER
    MOI PERSONNEL DE LA RAFFINERIE LYONDELLBASELL ET AUSSI AU NOM DE TOUT LE PERSONNEL DU SITE LBI DISONS PRENDRE EN MAIN NOTRE AVENIR ET PAR LA MEME OCCASION CELLE DU RAFFINAGE EN FRANCE QUE NOUS LACHERONS RIEN
    J INSISTE QUE TOUTES LES ACTIONS JUSQU A AUJOURD HUI ONT ETE PAYANTES NULLE PERSONNE ET SURTOUT PAS LE MARQUEUR noir PEUVENT LE NIER
    PRENDS CA DANS LES DENTS MARQUEUR noir

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  3. Marius Marius

    La position des Verts est intelligente : dans l’urgence sauvons les emplois, c’est la priorité. Et pour l’avenir, accélérons le mouvement vers les sources alternatives d’énergie, créatrices d’emplois nouveaux.

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  4. Marius Marius

    Une des possibilités d’avenir pour un Etang de Berre qui serait enfin dépollué, et alimenté en eau de mer à l’est par la réouverture du tunnel du Rove, ce serait l’aquaculture non polluante.

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  5. icci icci

    En tous cas excellent article que je relis avec plaisir!

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  6. mirteille mirteille

    15 Janvier 2015 : que devient Lyondellbassell ? Fermé ? Repris ?

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