Procès d’un entraineur de gym accusé de harcèlement : “Il y a des mots qui restent toujours”

Actualité
le 1 Avr 2023
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Le responsable technique du pôle national de gymnastique féminine de Marseille comparaissait vendredi devant la justice suite aux plaintes pour harcèlement moral de cinq jeunes gymnastes. Le parquet a requis une peine de 15 mois de prison avec sursis et l'interdiction d'exercer.

Les jeunes filles parties civiles reprochent propos injurieux, brimades et humiliations à leur ancien entraîneur du pôle France, Vincent Pateau. (Photo C.By.)
Les jeunes filles parties civiles reprochent propos injurieux, brimades et humiliations à leur ancien entraîneur du pôle France, Vincent Pateau. (Photo C.By.)

Les jeunes filles parties civiles reprochent propos injurieux, brimades et humiliations à leur ancien entraîneur du pôle France, Vincent Pateau. (Photo C.By.)

“T’as déjà vu un éléphant faire un double [salto] tendu au sol ?” À la barre, Iness se tient bien droite. Cheveux retenus en un chignon bouclé et larges créoles dorées, la jeune femme de 21 ans égrène les faits qu’elle reproche à Vincent Pateau, 45 ans. En poste à Marseille depuis 2015, il était directeur technique du pôle France de gymnastique de 2017 à 2021. Comme trois autres jeunes femmes, toutes mineures au moment des faits, Iness, ancienne athlète de haut niveau, le poursuit pour harcèlement moral ayant entraîné une altération de la santé sur des mineures de 15 ans. Devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi, les jeunes sportives ont longuement listé les brimades, les propos injurieux ou dégradants qu’elles ont, disent-elles, subi.

Ce que décrit Iness relèverait pour tout un chacun d’une forme de torture. Alors que les athlètes sont pesées deux fois par semaine – devant toutes les autres jeunes filles – elle est pesée, elle, chaque jour. Les chiffres sont répertoriés en rouge sur un grand tableau blanc, au vu et au su de tous. Pratique d’un autre âge dont la fédération avait demandé la suppression, mais qui perdurait avec Vincent Pateau. “Regarde-toi, tu peux pas te balader comme ça en justaucorps ?” ou bien encore “je vois pas mon fils de 5 ans pour entraîner un cochon comme ça ?!”, aurait aussi lâché l’entraîneur à l’adolescente. Face au tribunal, il minimise et convient finalement avoir utilisé, à une reprise, l’expression “on dirait un petit cochon”.

Vomir avant la pesée

À l’époque, Iness a 15 ans, elle pèse 47,5 kg pour 1,55m. Ces brimades sont alors son quotidien. Elle dort après s’être enveloppée dans du cellophane. Cherche à se faire vomir avant les pesées. Court chaque jour avant l’entraînement. “Pour moi, c’était la norme.” Plusieurs années après, elle est toujours suivie pour des troubles alimentaires compulsifs. À la présidente, elle décrit ses crises d’angoisse. Et précise : “J’ai une mauvaise relation avec la nourriture, avec mon corps et avec moi en général.”

On n’avait pas le droit de pleurer, par rapport aux remarques qu’on nous faisait. On était envoyées aux vestiaires et il ne fallait pas en parler aux parents.

Alix, 15 ans

 

Juste avant elle, c’est Alix qui s’est présentée à la barre, partie civile, elle aussi. Entrée au pôle de Marseille à 11 ans, elle en a 15 aujourd’hui. Sa voix se noue par instants lorsqu’elle décrit une ambiance “très froide” : “On n’avait pas le droit de pleurer, par rapport aux remarques qu’on nous faisait. On était envoyées aux vestiaires et il ne fallait pas en parler aux parents.” Elle évoque les mots très durs entendus régulièrement : “chialeuse”, “tu es faible”, “boulet”. La punition du vestiaire, au bout d’un moment, Alix y a droit tous les jours.

Montées de corde, mains à vif

Elle souligne aussi le fait que, à plusieurs reprises, les gymnastes étaient appelées à cacher leurs blessures pendant l’entrainement ou à l’approche d’une compétition. Ce que viendra infirmer un kiné du pôle, à la barre. L’adolescente indique aussi qu’elles écopaient d’une double dose de montée à la corde si elles se plaignaient que leurs mains, à force de passages aux barres asymétriques, étaient à vif – on parle alors de “steaks”. La jeune fille persévère. “Mon rêve, c’était les JO”, souffle-t-elle dans sa chemise blanche brodée. Au fil des mois, celle qui deviendra la vice-championne de France espoir en juin 2022, voit son stress monter en flèche à mesure que sa confiance en elle s’étiole : “Quand j’allais à l’entrainement, je vomissais d’angoisse.”

Ce qui se passe au gymnase reste au gymnase

L’entraîneur aux gymnastes

La présidente Julie Delorme, qui mène les débats avec beaucoup de minutie, passe en revue les faits reprochés : secret imposé – “Ce qui se passe au gymnase reste au gymnase”, aurait intimé Vincent Pateau aux petites sportives -, peur de représailles, propos injurieux, grossiers, insultes, attitudes dégradantes et humiliantes, absence de prise en charge des douleurs physiques et des blessures… Ce climat délétère, Vincent Pateau veut bien reconnaitre, du bout des lèvres, qu’il a pu exister. Mais il n’est pas de son fait, assure-t-il. Soit il est le résultat de pratiques préexistantes, soit il est amplifié par la compétition qui se joue entre les jeunes femmes – “ce qui se passe dans le vestiaire on n’en est pas maitre”, assure le directeur technique qui a entrainé quelque 250 gymnastes depuis le début de sa carrière. Il exerce toujours à Marseille, après qu’une suspension prise par arrêté préfectoral a été annulée par le tribunal administratif. Vincent Pateau n’en démord pas, ses méthodes d’entraînement restent bonnes et les cris ou les mises l’écart éventuelles ne sont pas à lire comme des brimades. “Dans certains contextes ça peut être booster”, affirme-t-il.

“Chiennes” et “putes”

Pourtant, d’autres témoignages, lus par la présidente viennent étayer les propos des parties civiles. Les phrases énoncées sont cruelles. “Dégage, je veux plus voir ta sale gueule.” Ou “Faut que vous soyez des chiennes à l’entrainement.” Et aussi cette injonction rapportée par une jeune fille : “Il nous a dit : « Je veux voir des putes sur l’agrès. Car les autres sont moches mais elles sont fortes. » Nous on était belles mais il voulait qu’on soit fortes.”  Fortes, elles le sont pourtant. Car il en faut du courage pour venir ainsi dérouler, dans la solennité d’un tribunal, les humiliations encaissées.

À la barre, dans son polo bleu marine un peu étroit pour sa généreuse carrure de rugbyman, Vincent Pateau se montre mal à l’aise quand la présidente pointe qu’il s’agit là d’un vocabulaire à caractère “sexuel” faisant référence “au corps-objet”. Lorsqu’il ne nie pas les assertions rapportées, le quadragénaire en fait “les erreurs d’un jeune entraîneur”. Il reconnaît la souffrance des plaignantes. “Il y a eu un mal-être, mais je ne peux pas prendre 100 % de ce mal-être”, expose-t-il. Puis ajoute : “Depuis j’ai changé de façon de faire.” La présidente fait remarquer que si les choses ont changé c’est bien qu’il devait bien y avoir un problème. Pour son comportement “inadapté”, Vincent Pateau a écopé d’un blâme de la part de la commission disciplinaire de la fédération française de gymnastique (FFG) en mai 2021, lors d’une procédure en appel.

“Passionné, enthousiaste”

Cité par la défense, Éric Besson, responsable du pôle de Meaux, décrit Vincent Pateau comme “passionné, enthousiaste, avec un sens éthique à la hauteur de la mission qui lui est confiée”. À la barre se succèdent deux collègues du prévenu qui assurent n’avoir jamais vu Vincent Pateau se montrer injurieux ou humiliant avec les sportives. Un peu moins tranchée, Véronique Legras-Snoek, directrice du haut niveau au sein de la FFG voit en lui un bon technicien mais appuie : “Le haut niveau ça ne peut pas être autre chose que de la bienveillance.”

L’un des enjeux de ce procès, c’est de décrypter l’étrange relation qui lie un coach à l’athlète qu’il ambitionne de porter au plus haut niveau. Un lien fort où s’entremêlent la recherche du dépassement dans la performance, l’intimité du fait d’un exercice quotidien, l’exigence dans le geste répété maintes fois, l’attente du champion en devenir et de son entourage… Un dialogue complexe, pas codifié, entre entraineur et entraîné, qui comporte parfois une part d’emprise. Dans les faits que décrivent ces jeunes femmes, la mainmise paraît prégnante. La maman d’Alix relate d’ailleurs une réunion de rentrée durant laquelle Vincent Pateau aurait prévenu : “Quand vos filles sont au pôle, elles ne vous appartiennent plus.”

“Les petites ne sont pas préparées à ça, j’en suis désolé.”

Vincent Pateau

Figure menue et voix bien ferme, Coline fait face avec beaucoup de maturité au tribunal. À 17 ans, l’adolescente souffre d’un retard de croissance. Elle avait 14 ans, lorsqu’elle qu’elle arrive au pôle en 2019. Il y avait, décrit-elle, “un phénomène d’emprise”, “une atmosphère de terreur”. Elle prolonge : “C’est dur, il y a des mots qui restent dans la tête, toujours.” Les remarques blessantes répétées à son endroit ont conduit “à un manque de confiance et à une perte d’estime de soi”, attestés par une expertise psychologique versée au dossier et qu’elle ressent aujourd’hui encore. Coline a changé de club, depuis. Elle pleure soudain en disant qu’elle y a “retrouvé le goût de la gym”. Pour Vincent Pateau ces réactions traduisent surtout l’inadaptation des jeunes femmes à la dureté d’un entrainement intensif et finalement à l’âpreté du haut niveau : “Les petites ne sont pas préparées à ça, j’en suis désolé.” Il l’affirme, il n’a jamais eu intention de nuire. À l’issue des – très longs – débats, il assure avoir “ressenti” ce que ces jeunes ont vécu. Et espère que ce procès ouvrira la voie à leur reconstruction.

La mécanique du harceleur

Il n’empêche, pose Anne-Laure Rousset, avocate des cinq plaignantes (dont quatre sont parties civiles) au moment de conclure, “ses propos ont entraîné une dégradation de leur état de santé mentale et physique (…) et des conditions de vie qui perdurent aujourd’hui.” Elle demande sa condamnation. Tout comme Mathieu Riberolles qui représente la fédération française de gymnastique, également partie civile. Il revient, lui, sur la mécanique du harceleur “qui s’en prend à celui qui pense qu’il est le plus faible”. Il certifie que “pour la fédération, l’atteinte à l’intégrité de ses licenciés par des personnes censées les protéger n’est pas acceptable.”

À travers ce dossier, “un morceau d’omerta s’est levé”, souligne à son tour la procureure, Véronique Fabron. “Ce sont les méthodes d’entrainement de gymnastes de haut niveau qui font leur entrée au prétoire. Les pratiques ne peuvent s’affranchir de la loi”, dit-elle, se félicitant de la fin d’un tabou. “Malheur à celle qui ne donne pas les résultats qu’on attend !”, pique le ministère public. Elle rappelle que le maximum encouru est deux ans d’emprisonnement ferme et 30 000 euros d’amende. Et requiert une peine 15 mois d’emprisonnement sous le régime du sursis simple, assortie d’une interdiction d’exercer l’activité professionnelle.

Jérôme Girard-Veyrat, conseil de l’entraîneur,  pointe, lui, “témoignages erronés”, “choses sorties du contexte” et “ressentiments liés aux résultats”. Sur le sujet du harcèlement dans le sport, indique l’avocat, “la jurisprudence est en construction”. Il ne voudrait pas, plaide-t-il, que ce soit Vincent Pateau qui soit le premier à en pâtir. Il demande la relaxe. La décision a été mise au délibéré au 4 mai à 14h.

Un deuxième procès à venir
Dans une affaire similaire, un ex entraîneur du pôle marseillais, Pierre Ettel est également poursuivi pour harcèlement moral par une jeune fille. Faute de temps, ce dossier n’a pas pu être audiencé ce vendredi après-midi. L’audience a été reportée au 7 novembre à 14h.
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Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    Bravo aux jeunes femmes et filles pour leurs témoignages et leur courage, face à des adultes utilisant toutes les ficelles des pervers manipulateurs.

    Cela pose aussi en fond la question de la toxicité du sport de haut niveau.

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    Il s’est cru à la Légion !
    Ce n’est sans doute pas le seul à se comporter de la sorte mais il est excusable c’est pour la gloire du sport et de la France surtout avec le JO de Paris !!

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  3. Richard Mouren Richard Mouren

    Mais quand donc sera-t’il imposé un âge minimum pour ces entraînements inhumains. Ce n’est plus du sport c’est du spectacle dont la préparation blesse ces (très) jeunes filles dans leur corps et leur mental (sans compter les perturbations dans leur vie scolaire). Tous ces sports de haut niveau devraient être interdits aux adolescents. Sous prétexte de “booster” ces jeunes filles, monsieur Pateau s’est pris pour le sergent instructeur Hartman de Full Metal Jacket, nous avons tous nos modèles de vie. Heureusement que son avocat ne semble pas très fulgurant, il ne devrait couper à une condamnation.

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  4. vékiya vékiya

    on a aussi nos stars du judo marseillais dans médiapart…

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