L’ex-Chrysalide à nouveau condamnée pour licenciement abusif de salariés harcelés

Actualité
le 12 Mar 2021
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Il y a cinq ans, une affaire de harcèlement moral et sexuel avait ébranlé la Chrysalide, structure marseillaise de prise en charge des personnes handicapées, devenue depuis l’UNAPEI Alpes-Provence. Sur les trois salariés qui ont porté plainte aux prud’hommes, deux ont eu gain de cause.

Le siège de la Chrysalide Marseille, à Montolivet en 2016. (Photo : Nina Hubinet)
Le siège de la Chrysalide Marseille, à Montolivet en 2016. (Photo : Nina Hubinet)

Le siège de la Chrysalide Marseille, à Montolivet en 2016. (Photo : Nina Hubinet)

Les anciens cadres de la Chrysalide n’aiment pas vraiment se remémorer cette période. Mais ces dernières semaines, un motif de satisfaction est venu estomper les souvenirs douloureux qu’ils et elles gardent de la tempête qu’ils ont traversée entre 2015 et 2016 au sein de cette importante structure du médico-social.

Le 29 janvier dernier, la cour d’appel d’Aix-en-Provence est venue donner raison à l’un d’eux qui dénonçait le comportement de sa hiérarchie. Et contredire ainsi la décision du conseil des prud’hommes de Marseille qui, en août 2017 avait débouté cet ancien directeur du pôle “travail adapté” de la Chrysalide de l’ensemble de ses demandes. Il demandait alors que son licenciement pour inaptitude soit requalifié en rupture de contrat aux torts de l’employeur, au motif qu’il aurait été victime de harcèlement moral de la part de l’ancien directeur général de la Chrysalide, Marc V..

La cour d’appel vient pour sa part de déclarer que le plaignant “a été victime de harcèlement moral”, que “le harcèlement moral dont [il] a été victime est à l’origine de son inaptitude à son poste”, et que son licenciement pour inaptitude est donc “nul de plein droit”. Elle condamne par conséquent l’UNAPEI Alpes-Provence, (le nouveau nom de la Chrysalide après sa fusion avec des organismes similaires) à lui verser près de 180 000 euros d’indemnités, au prorata du salaire moyen de l’ancien directeur de pôle, qui, après 37 ans d’ancienneté, avoisinait les 5000 euros brut.

“C’est quand même une belle reconnaissance“, se félicite une ancienne directrice* d’un des établissements de cette association qui emploie aujourd’hui plus de 1400 personnes.

Selon des témoignages, le directeur de pôle était surnommé en public  “le petit gros”, “le nain” ou “grincheux” par son supérieur.

Dans le jugement de la cour d’appel, l’avocat du plaignant cite les récits de certains de ses anciens collaborateurs pour caractériser le harcèlement. Ils témoignent des remarques humiliantes de l’ancien directeur général de la Chrysalide envers son client : il est désigné en public comme “le petit gros”, “le nain” ou “grincheux” par Marc V., aux dires de ces témoins. Les brimades liées à sa morphologie ou à sa supposée incompétence sont également récurrentes d’après eux. À l’inverse, l’avocat de la Chrysalide assure que “des liens d’amitié datant de 30 années existaient” entre Marc V. et le plaignant qui, de leur point de vue, “bénéficiait d’un traitement de faveur” de la part du directeur général.

Seconde victoire des salariés

Si c’est la première fois dans cette affaire que la justice reconnait noir sur blanc le harcèlement moral comme une réalité, l’ex-Chrysalide avait déjà été condamnée suite à la plainte d’une autre employée. L’ancienne contrôleuse de gestion de l’association avait eu gain de cause en février 2017, son licenciement pour inaptitude ayant été requalifié, en première instance, en rupture de contrat “sans cause réelle et sérieuse” aux torts exclusifs de l’employeur.

Elle aussi affirmait avoir été victime de harcèlement moral – et également sexuel – de la part de l’ancien directeur général. La Chrysalide avait à l’époque contesté la décision, mais la cour d’appel d’Aix avait confirmé le jugement des prud’hommes, insistant sur “les manquements graves de l’association à ses obligations de sécurité” à l’égard de l’ancienne salariée et condamnant la structure à indemniser la plaignante à hauteur de 25 000 euros.

Omerta et chasse aux sorcières

Pour elle, comme pour les neuf autres cadres de l’ex-Chrysalide qui avaient dénoncé il y a six ans ce qu’ils considéraient comme des faits de harcèlement de la part de l’ancien directeur général, cette nouvelle condamnation vient légitimer leur démarche de l’époque.

En avril 2015, ces dix cadres avaient écrit à Pierre Lagier, président de la Chrysalide d’alors et aujourd’hui décédé, pour l’alerter. Mais le dirigeant avait pris fait et cause pour Marc V., resté plus de 15 ans à la tête de la Chrysalide : dans un courrier adressé aux familles des personnes accueillies, il avait alors jugé “injustes et dégradantes” les accusations de ces cadres.

Face aux cadres “frondeurs”, le président de l’association avait pris la défense du directeur général, jugeant leurs accusation “injustes et dégradantes”.

Les “frondeurs” avaient alors saisi le CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Suite à deux courriers de la médecine du travail s’inquiétant de la dégradation de l’état de santé de cadres de l’association et d’un “réel risque suicidaire” pour certains, une enquête du cabinet Technologia avait finalement été autorisée par l’employeur. Sans se prononcer directement sur la notion de harcèlement, les experts de Technologia avaient conclu à une “crise sociale aigüe” au sein de l’association, liée aux méthodes “autoritaires” de l’ancien directeur général, comme l’écrivait Marsactu en 2016.

Les dix “lanceurs d’alerte” de 2015 ont tous quitté la Chrysalide dans les mois qui ont suivi la crise : si l’un d’entre eux a démissionné et qu’une autre a choisi la rupture conventionnelle, huit de ces cadres ont été licenciés pour inaptitude – doublée de la notion de “danger immédiat” pour quatre d’entre eux, après des longs arrêts de travail et périodes de dépression pour la plupart. Après leur départ, certains salariés restés à la Chrysalide ont fait état d’un climat de “chasse aux sorcières”, visant à mettre à l’écart celles et ceux qui étaient considérés comme les complices des dix cadres.

“Ceux qui ont alerté l’ont payé très cher”

“Mais un peu plus tard, on a aussi reçu des messages de salariés restés à la Chrysalide qui nous remerciaient pour ce que l’on avait fait, disant que les conditions de travail avaient changé”, souligne une ancienne directrice d’établissement, signataire de la lettre d’avril 2015. Elle se félicite des deux condamnations de l’ex-Chrysalide aux prud’hommes, mais ne cache pas non plus une certaine amertume: “Ceux qui ont alerté l’ont payé très cher. Nous avons été pour la plupart poussés vers la sortie”.

Fondamentalement, l’argumentaire de la structure ne semble pas avoir changé au fil des années. Lors de l’audience de 2017, pour répondre à la plainte de l’ancien directeur du pôle Travail adapté, l’avocat de la Chrysalide affirme que celui-ci “et son équipe [les personnes qui ont témoigné pour lui, ndlr] n’avaient d’autre but que de déstabiliser l’association et certainement d’en prendre la direction”.

Quant au rapport d’enquête du cabinet Technologia, il le présente comme “extrêmement partial et partiel”, et estime qu’“il ne s’agit pas d’un travail sérieux”. Le directeur de l’actuelle UNAPEI, Jean-Yves Lefranc, que nous avons contacté, n’a pas souhaité répondre à nos questions. La structure peut encore se pourvoir en cassation dans ce dossier.

*Les personnes citées ont choisi de rester anonymes.

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