L’État expulse plus de 150 personnes d’un bidonville marseillais avant la trêve hivernale

Reportage
le 31 Oct 2023
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Lundi, quatre squats situés chemin de la Madrague-Ville ont été expulsés. Cette opération s'effectue à deux jours de la trêve hivernale. Une solution d'hébergement pour une durée indéterminée a été proposée à chaque famille. Elles pourraient à terme rejoindre un village d'insertion, mais il ne verra pas le jour avant un an.

Ce lundi matin, la centaine d
Ce lundi matin, la centaine d'habitants des quatre squats situés sur le chemin de la Madrague-Ville ont été expulsés.

Ce lundi matin, la centaine d'habitants des quatre squats situés sur le chemin de la Madrague-Ville ont été expulsés.

À peine arrivé au début du chemin de la Madrague-Ville (15e) ce lundi matin, les forces de l’ordre invitent la presse à se tenir en dehors d’un périmètre de sécurité. Les squats situés entre le 20 et le 26 sont difficilement visibles, à plusieurs dizaines de mètres. L’opération d’expulsion des quatre hangars désaffectés débute vers 10 heures avec une heure de retard, loin des regards des journalistes.

On aperçoit des enfants qui jouent mais les regards des adultes sont maussades. Différentes associations comme l’AMPIL sont chargées par l’État de l’évaluation sociale de la situation des 150 personnes – 200 selon les associations – vivant jusqu’alors dans ces squats. La SPA est également présente pour recueillir les animaux qui leur sont confiés pour des soins si leurs propriétaires l’autorisent. D’autres associations sont venues en tant qu’observateurs, c’est le cas de Médecins du Monde. Elles sont aussi écartées en dehors du périmètre de sécurité.

Systématiquement, des mises à l’abri à l’hôtel sont proposées aux 80 familles. Mais seules 26 personnes, dont 15 enfants, ont accepté ces nuits à l’hôtel. Sans savoir combien elle durera. “La limitation de temps dépend du parcours d’insertion que nous accompagnons avec l’ensemble des associations”, précise le préfet délégué à l’égalité des chances, Michaël Sibilleau, présent sur place. Le SIAO, dispositif départemental permettant l’accès à l’hébergement et au logement pour les personnes sans domicile, a été désigné pour proposer des hébergements dans un rayon assez proche pour que les enfants puissent rester scolarisés dans leurs établissements scolaires au retour des vacances de la Toussaint. Autre dispositif proposé pour rendre le départ moins brutal, un local a été mis à la disposition des familles par le propriétaire, l’aménageur public Euroméditerrannée, pendant deux mois pour qu’elles puissent y stocker leurs affaires.

Un choix de calendrier qui a surpris

Raison principale évoquée pour justifier l’expulsion : les quatre bâtiments du squat trouvent au milieu d’un chantier. 250 logements dont 70 hébergements sociaux sont prévus sur ce terrain et “les travaux devraient commencer avant la fin de l’année“, explique Michaël Sibilleau. Caroline Godard, de l’association Rencontres tsiganes, reconnait que l’expulsion était inéluctable : “Les squats sont un îlot au milieu d’un chantier. C’est pourquoi on n’insiste pas pour qu’ils restent là.”

on pensait qu’ils allaient rester jusqu’à la fin de la trêve hivernale.

Caroline Godard, association Rencontres tsiganes

Mais depuis plusieurs années, à Marseille, les expulsions de squats de cette ampleur ne sont que très rarement menées durant la période scolaire. Plusieurs associations ont exprimé leur étonnement sur ce timing choisi par le nouveau préfet délégué, en poste depuis septembre. “On démarrait les vacances de Toussaint et donc on pensait qu’ils allaient rester jusqu’à la fin de la trêve hivernale”, c’est-à-dire au printemps, confie Caroline Godard. Le calendrier semble avoir été bousculé avec l’imminence de la trêve, qui débute le 1er novembre. 

“Cette évacuation, c’est l’application de trois décisions de justice qui ont été rendues et qui sont toutes convergentes”, assure toutefois Michaël Sibilleau. Ces trois décisions du tribunal judiciaire de Marseille, une pour chaque adresse, ne sont pourtant pas récentes. Elles ont été prononcées en juillet 2022. Pour justifier cette date, le préfet délégué pour l’égalité des chances met en avant une étude de sécurité qui conclut à un risque d’effondrement partiel des murs et des toitures. “On ne peut pas faire courir ce risque. Je préfère les savoir à l’hôtel dans de bonnes conditions de sécurité plutôt que dans un bâtiment dont les murs et le toit peuvent s’effondrer.”

En effet, une mission d’évaluation a été confiée le 10 octobre à la direction départementale de la protection des populations et aux marins pompiers de Marseille. Le rapport étale le danger pour la sécurité des personnes qui occuperaient ces lieux. Mais il a été rendu le 19 octobre, soit le lendemain de la date de l’arrêté d’évacuation pris le 18 octobre. Renforçant l’impression de précipitation générale dans ce processus. Interrogée, la préfecture répond que dans l’arrêté d’évacuation, daté du 18 octobre, il est stipulé que le concours de la force publique ne peut être exécuté qu’à partir du 20 octobre, c’est-à-dire le lendemain du rapport d’évaluation.

“L’hôtel ce n’est pas viable”

Les habitants des squats ont eu vent de ces expulsions il y a une dizaine de jours. La majorité de ces 80 familles se sont installées ici l’an dernier, à la suite de l’expulsion du squat de la rue Cazemajou en juin 2022, situé à quelques mètres seulement du chemin de la Madrague-Ville. “Ce sont des citoyens européens et qui pour la plupart travaillent”, explique Claudia Marchetti, médiatrice santé de Médecins du monde. Pour elle, la solution des chambres d’hôtel n’est pas adaptée, raison pour laquelle elle a été déclinée par beaucoup de familles, reparties vers d’autres lieux. “On sait très bien que des mises à l’abri à l’hôtel, ce n’est pas une solution viable pour des familles qui font du ferraillage”, ajoute-t-elle.

Beaucoup des familles vivant dans ces squats pourront probablement, à terme, rejoindre le “village d’insertion”, promesse d’hébergement de 80 places, destiné à l’accueil temporaire de familles roms. Un projet porté par les services de l’État, associés à ceux de la métropole et de la Ville de Marseille, qui n’est pourtant pas près d’ouvrir. Situé sur l’ancienne aire d’autoroute de l’Estaque, son ouverture n’est pas prévue avant l’automne 2024 selon le préfet délégué. D’ici là, les familles repartent donc vers de nouvelles solutions provisoires et précaires. Lundi soir, les hangars ont été scellés afin qu’ils ne soient pas squattés par d’autres personnes avant le début des travaux.

Actualisation le 31 octobre à 14h : ajout de la réponse de la préfecture concernant la date de l’arrêté d’évacuation.

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Commentaires

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  1. Lacoste P. Lacoste P.

    80 familles dehors la veille de la trêve d’hiver, pour ne pas gêner les betonneurs de Bouygues , cynisme total de l’Etat et son nouveau Préfet.

    Et qui a signé l’arrêté ?

    Le prétexte de la sécurité va t il devenir un moyen de politique publique d’aménagement, pour contourner les droits des habitants ?

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    • Pascal L Pascal L

      Moi quand je vois des enfants vivre dans de telles conditions – vie dans squat sans hygiène et sans règles de sécurité, non scolarisés et qui trainent la journée dans les immondices – je pense que les pouvoirs publics ont aussi quelques raisons d’intervenir et qu’on est assez loin de s’attaquer “au droit des habitants”.

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  2. Patafanari Patafanari

    Avec le réchauffement climatique les trêves hivernales n’ont plus beaucoup lieu d’être.

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  3. SN SN

    c’est sûr il vaut mieux que les toits leurs tombent sur la tête ; risque imminent ca vous parle ? Vous seriez parmi les premiers à crier au loup en cas d’accident !!
    pour info sur ce périmètre Bouygues n’intervient pas mais vos propos sont toujours hors cadre sans connaissance des projets et de leur localisation
    et pour votre cheval de bataille récurent depuis plus de 20 ans = 70 logements sociaux produits sur ces terrains, avec la difficulté du sujet à Marseille, vous appelez cela de la gentrification ?

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