L'équation à multiples inconnues de la rocade L2

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le 28 Mai 2013
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L'équation à multiples inconnues de la rocade L2
L'équation à multiples inconnues de la rocade L2

L'équation à multiples inconnues de la rocade L2

Le 7 mai dernier, on attendait une ola collective des grands élus locaux après l'annonce par le ministère des transports de la désignation de Bouygues comme futur titulaire du partenariat public privé (PPP) permettant de finir le sempiternel chantier de la rocade L2. Au lieu de cela, seule la ministre marseillaise Marie-Arlette Carlotti s'est fendue d'un communiqué en forme de plaidoyer pro domo : "Cette décision est une nouvelle preuve de l’attachement très fort du gouvernement à la réussite de Marseille".

Ni la région, la communauté urbaine, ni le conseil général qui financent cette infrastructure au côté de l'Etat n'ont publié la moindre réaction. Et si le maire de Marseille se réjouit, c'est vraiment du bout des lèvres  de voir "Buygues" choisi par le ministre :

 

 

 

Pourquoi une telle prudence de la part des politiques pourtant prompts à dégainer le communiqué ? Sans doute parce que ce serpent de mer autoroutier cache une équation à plusieurs inconnues. Au départ, les données du problèmes sont simples : l'Etat est, on le sait, copieusement désargenté. Procédure controversée, le partenariat public privé permet d'étaler le coût du chantier sur une longue période en confiant la réalisation et l'entretien de l'ouvrage réalisé à une entreprise partenaire qui prend seule la charge de l'investissement. En contrepartie, les pouvoirs publics s'engagent à verser un loyer à l'entreprise qui s'assure ainsi une entrée d'argent frais sur une trentaine d'années.

Pour un chantier de la taille de la rocade L2, une première en France, seuls les géants du BTP, Eiffage, Vinci et Bouygues se sont alignés sur la ligne de départ du dialogue compétitif. Cette longue période de négociation a donc débouché sur le choix de Bouygues. Mais ce choix n'est pas une fin en soi. "Tant que le contrat n'est pas signé, les choses restent incertaines", glisse-t-on du côté de la communauté urbaine. L'échéance est fixée à septembre avec la fin de la période dite de "closing" d'une durée de quatre mois au cours de laquelle le pépépéiste (le petit nom du signataire du PPP) remet sur le métier son ouvrage financier et négocie avec son pool bancaire.

Déjà, durant le dialogue compétitif de deux ans, les enjeux financiers de la rocade L2 constituaient le gros de la négociation. Parmi les critères de choix, le prix final et la robustesse financière de l'offre arrivaient avant l'offre technique à la fois routière et environnementale. Avec 170 millions d'euros pour finir la L2 Est et 550 millions de plus pour réaliser la partie Nord (et ce ne sont là que des estimations), on comprend que la pilule soit longue à déglutir.

Du côté de Bouygues construction, on ne sort pas plus le clairon. "On ne communique pas à ce stade", y indique-t-on, si ce n'est pour dire que les trois opérations en cours consistent à "rédiger le contrat, créer la société de projet [pour l'heure baptisée Phocéale, ndlr] et démarrer les études techniques". Quant à estimer la fin à ces travaux, la responsable de la communication se contente d'un laconique "pas de date à ce jour".  

L'inconnue financière

Autre explication à ce silence poli des collectivités : si trois d'entre elles font bien partie du pacte de financement (Etat et région pour 27,5%, conseil général et communauté urbaine pour 22,5%), l'Etat est seul à s'engager sur la barque vacillante du PPP pour une longue traversée de 27 ans. "La volonté de toutes les collectivités était de laisser l'Etat en position de responsabilité", formule-t-on à MPM. La région qui devait tenir une des deux rames du PPP a finalement opté pour un financement simple. "Contrairement au conseil général et à la communauté urbaine, lors de la plénière du 28 juin prochain, nous soumettrons au vote un rapport prévoyant une convention tripartite avec l'Etat et le titulaire du PPP, déclare Jean-Marc Coppola, vice-président Front de gauche du conseil régional. Cela nous permet d'une part de nous exonérer du paiement de la TVA et d'avoir plus de prise sur le suivi du chantier".

En 2009, la région avait signé un protocole d'accord avec l'Etat posant le principe d'un paiement sur la durée du PPP. "En 2010, le président de région avait écrit au préfet Sappin pour reconsidérer cette position, reprend le conseiller régional. En avril 2012, la région a donc opté pour un financement sur la durée des travaux et non plus sur 30 ans". L'élu sort sa calculette : 

Au départ, nous avions un engagement public de 14,4 millions d'euros par an pendant 30 ans, c'est-à-dire 430 millions d'euros pour la région. Si on paie sur 5 ans, cela ne fait plus que 40 millions d'euros par an, c'est-à-dire plus que 200 millions. C'est du simple au double.

Avec l'exonération de TVA, la part de la région ne sera plus que de 155 millions d'euros. Un peu moins que la communauté urbaine  et le conseil général dont la part est de 165 millions d'euros également répartis sur la durée des travaux. Mais, là encore la part de  la TVA et son remboursement a posteriori permettra de retrouver la clef de répartition initiale.

L'inconnue persistante reste l'écot de l'Etat étalée sur toute la durée du contrat de partenariat. Dans le deal, il y a le loyer correspondant à la construction et une part liée à l'entretien de la rocade qui comprend, dans sa partie Est, de nombreuses infrastructures. Un temps, l'Etat avait espéré miser sur de "la valorisation foncière" en dealant des droits à bâtir "d'abord par intérêt urbain pour créer une façade bâtie plus urbaine le long de la rocade, précise Marc Nolhier, directeur adjoint de la Dreal. Il s'agissait également de tirer profit de ces droits à bâtir pour faire baisser le montant global. Au final, cela se chiffrait à un million à peu de choses près". À l'heure actuelle, Bouygues conserverait cette éventualité sans être obligé de le faire.

Les inconnues techniques

Parmi les rumeurs qui ont circulé durant les années de "dialogue compétitif", l'une revenait avec plus d'insistance : avec l'arrêt du chantier de la L2 Est, les infrastructures commençaient à vieillir, les normes s'étaient durcies, ce qui alourdissait drôlement la facture. Du côté de la Dreal, maître d'ouvrage jusqu'alors, on est loin de confirmer la rumeur tout en lui donnant un peu de corps. "Les candidats ont reconnu les lieux à plusieurs reprises pour prendre connaissance de ce dont ils allaient prendre possession. L'entretien fait partie du loyer. Ils ont donc tout soigneusement inspecté. Le prix de la L2 Est est fonction du prix d'entretien de ce qu'ils ont trouvé". Quant aux normes, elles se sont effectivement durcies. Entre le début des travaux et leur reprise, l'accident du Mont-Blanc a modifié les normes des tunnels. Ces normes complémentaires font donc partie des préconisations du pépépéiste. Et certains partenaires fourbissent déjà leurs armes. Ainsi la région aimerait inciter Bouygues à devancer le durcissement des normes européennes en matière d'émanation de gaz carbonique. "Notre vigilance porte notamment sur ce point, complète Richard Hardouin, du collectif anti-nuisances L2. Le respect de la loi actuelle et à venir. Nous savons que la réglementation européenne va se durcir d'ici 2020 et nous serons attentifs au respect des normes en vigueur et au-delà".

Autre point crucial du chantier : les échangeurs. À la Dreal, on n'aime pas le mot qui fait un peu trop penser à une autoroute "alors que nous sommes dans un contexte urbain". Marc Naulhier lui préfère le terme de bretelle, pourtant pas beaucoup plus citadin. "Ces bretelles seront rétrocédées à la collectivité compétente, une fois le chantier fini. Celle-ci sera donc très attentive à ce que le pépépéiste leur livrera". Côté Nord, certains CIQ ont déjà construit leur argumentaire pour demander une bretelle supplémentaire pour desservir le nouveau quartier de Sainte-Marthe. Car, même si la Dreal précise que la concertation a déjà eu lieu, l'arrivée d'une autoroute au coeur d'un quartier très peuplé risque de réveiller des velléités citoyennes. "Il ne pourra y avoir que des adaptations marginales. nous serons plutôt dans une communication de chantier, précise-t-on à la Dreal. Même si le titulaire ne peut ignorer quels quartiers il va traverser". Dans la partie Est, les riverains avaient mené un très long bras-de-fer et un ardent lobbying auprès des élus pour obtenir la plus grande couverture possible de l'autoroute urbaine.

Dans la partie Nord, les associations de quartier sont peut-être moins armées pour porter ce type de revendication. Mais les quartiers Nord peuvent toujours réserver des surprises. Ainsi les travaux de rénovation de la Busserine, en lien direct avec le chantier de la L2, provoquent de sérieux remous dans la concertation. Certes, le contrat de partenariat ne prévoit que la couverture du boulevard Allende et la pose de deux mètres de terre par dessus. En revanche, ce chantier de gros oeuvre doit être connecté avec le projet de rénovation urbaine qui doit profiter de la L2 pour offrir un nouveau visage au quartier du grand saint Barthélémy. Or, la plupart des associations de la Busserine sont vent debout contre le projet. La question de l'aménagement du quartier et de l'embauche locale pourraient entretenir les tensions autour du chantier.

L'inconnue de la livraison

Promis, juré, le ministre Cuvillier a annoncé l'ouverture de la partie Est pour 2016. En revanche, il a omis de préciser à quel débit celle-ci serait ouverte. En effet, dans trois ans, la L2 Est sera peut-être finie mais le chantier Nord battra son plein. On a du mal à imaginer le oàï quand les milliers de voitures débarqueront à Frais-Vallon au milieu des engins. Bien entendu, cet effet tache d'huile a été anticipé et l'ouverture de la L2 Est devrait être partielle. "L'idée est de laisser passer le flux que le chantier acceptera, reprend Naulhier. Il ne s'agit pas d'inonder la ville de voitures, ce serait contre-productif". Il ne faudra donc pas attendre 2016 pour espérer voir la ville libérée de sa thrombose journalière. Quant à l'ouverture complète, Jean-Marc Coppola parle de 2018 mais "c'est une hypothèse". Comme dirait Hérodote, premier historien de la L2 "on sait quand ça commence, jamais quand ça finit".

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Commentaires

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  1. GM GM

    les PPP ont en général des conséquences durables sur al gestion à long terme , le royaume uni y a renoncé

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  2. Pascalou Pascalou

    elle comprend rien Carlotti ! QI de poule comme Andrieux

    comme si le Gouvernement actuel était pour quelque chose dans la procédure de PPP qui a été lancée bien avant sous l’ère Sarko !

    La preuve dune méconnaissance générale de cette élue très médiocre !

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  3. Céhère Céhère

    C’est vrai qu’on n’aborde pas souvent la question sous cet angle là : quand la partie est sera terminée, l’avenue Allende et la partie nord seront en plein travaux. La L2 sera alors opérationnelle entre rien et rien (mon propos n’est pas d’être désobligeant avec ces quartiers, mais on parle d’une rocade, pas une nouvelle avenue urbaine). Autant dire qu’on n’en a pas fini avec cette histoire, et que parler de “livraison de la L2 Est” ne signifie pas grand chose.

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  4. Anonyme Anonyme

    PPP était une méthode légale de dissimulation de dette. Depuis deux ans ces engagements sont à présenter comme une dette. Les collectivités territoriales financent 80 % de dépenses et ne gèrent rien. Toutes les décisions sont faites par l’Etat (20 % de financement). De plus, le Conseil Général et la région ne veulent pas de PPP. MPM est sans moyens et déjà très endetté et ne peut pas financer sa part sans recours à PPP. La désignation de bénéficiaire de PPP a été faite d’une manière illégale. En effet, il aurait fallu faire un appel européen à la concurrence. Les concurrents peuvent aisément attaquer cette décision. Belle pagaille en perspective.

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  5. Ro g Ro g

    Ça serait bien, déjà, que les collectivités locales mettent en service ce qui existe . Parce que comme serpent de mer, cette L2, c’est pire que le monstre du Loch Ness, on en parle, on en parle, mais jamais on la voit

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  6. fornairon fornairon

    Sont vraiment pas bon à Europe Ecologie… Si vous recevez pas leurs com de presse. Le 7 mai a été diffusé un communiqué de presse intitulé “Refusons la participation financière des collectivités à une nouvelle autoroute dans Marseille !” qui demande de finir au plus tôt la partie Est de la L2, trop tard pour le remettre en cause, et de revoir le projet L2 nord qui est totalement “à l’ouest” par rapport aux enjeux financiers et de déplacement de Marseille et des quartiers nords. Oui à la réhabilitation des quartiers, non à une autoroute qui les traverse.

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  7. savon de Marseille savon de Marseille

    Merci à MARACTU pour cet article assez fouillé.

    Quand on embarque en urgence dans un navire aussi aventureux qu’est la L2 : chacun doit prendre sa part de responsabilité et partager les avantages -ainsi que les risques- du PPP.

    L’esquive financière de MPM dans cette aventure est un très mauvais point pour Mr Caselli. Il met en lumière le fait que les institutionnels ne veulent pas partager le même risque financier et juridique sur des sujets structurants liés à la METROPOLE.

    Le projet LEBRANCHU ne propose rien de précis pour éviter ces faux fuyants. C’est dans ces cas là que nous constatons que nous sommes vraiment en crise politique.

    La phrase de GAUDIN est assassine : “Puisque le Ministre a choisi lui même l’ Entreprise Bouygues..”. C’est lamentable quand on sait qu’aucun représentant de la Ville n’est venu assister Le ministre CUVELLIER sur le chantier abandonné lors de sa visite en 2012

    Chacun pour soi !

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  8. savon de Marseille savon de Marseille

    Erratum après relecture :
    L’esquive financière ne provient pas de MPM … mais du Conseil Régional ! : c’est donc Michel VAUZELLE qui ne veut pas s’embarquer avec l’ Etat sur le long terme.
    C’est encore plus scotchant. C’est beau la solidarité des Socialistes.

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  9. PROMETHEUS PROMETHEUS

    HERODOTE, premier historien de la L2. Franchement y a rien à dire c’est bien trouvé !

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  10. Tioneb Tioneb

    Je suis très content. J’ai appris l’existence du projet L2 en 1990 à mon retour ici après 1/4 de siècle d’absence. Et aujourd’hui ce projet est encore là, ce qui prouve qu’ici on ne laisse pas tomber.

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