L’école de design d’Aix annule in extremis l’exposition photo d’un cercle d’extrême droite

Info Marsactu
le 4 Fév 2022
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La galerie de l'école de design d'Aix-en-Provence devait accueillir une exposition collective de photographie. La direction l'a annulée au dernier moment en apprenant que cette exposition émane de l'Institut Iliade, think tank de l'extrême droite identitaire.

La galerie gardera finalement ses portes closes. (Photo : ABF)
La galerie gardera finalement ses portes closes. (Photo : ABF)

La galerie gardera finalement ses portes closes. (Photo : ABF)

“La nature comme socle”. Voilà le nom de l’exposition qui devait se tenir à partir de ce samedi 5 février à la galerie de l’école supérieure de design d’Aix-en-Provence (ESDAC). Derrière ce nom champêtre et des photos prises en France et en Europe, représentant des hommes, des femmes, la nature, le ciel, la mer ou encore des oiseaux se cache l’institut Iliade, un cercle qui sert de think-tank à toutes les mouvances de l’extrême-droite française. Selon ses éléments de communication, avec cette exposition itinérante, l’Institut souhaite “promouvoir l’art européen et soutenir les jeunes artistes européens en leur proposant d’exposer et de vendre leurs œuvres lors des manifestations de l’Institut Iliade”.

Les images présentes ont beau être en apparences assez lisses et banales, elles s’enracinent clairement dans une idéologie. Un appel à participation avait été lancé, à la suite du colloque annuel en septembre 2020 et 128 candidats ont répondu présents. Près de 45 photographies ont été retenues par un jury, “composé d’artistes, de critiques et de membres de l’Institut Iliade […] en fonction du respect du thème et sur des critères esthétiques”. Ces photos constituent donc une exposition “consacrée à la nature”, nous répond, par mail, un porte-parole de l’Iliade.

Une boîte à idées de l’extrême-droite identitaire

Mais cette exposition autour de “la nature comme source poétique ; la force spirituelle de la nature et la nature, lieu de vie humaine” vise surtout à défendre des intentions politiques extrêmement ancrées dans la sphère identitaire. “L’Institut ILIADE accompagne tous ceux qui refusent le Grand Effacement, matrice du Grand Remplacement”. Tel est le mot d’ordre de l’association qui ne laisse que peu de doute sur son positionnement politique. Fondée en 2014 par Philippe Conrad, Bernard Lugan et Jean-Yves Le Gallou, cet institut propose des formations “esthétiques, intellectuelles et éthiques”, selon les propos de ce dernier, ancien cadre du Front national pour qui il a imaginé le concept de “préférence nationale”. Après avoir rejoint le MNR de Bruno Mégret, il a désormais choisi de mener la bataille des idées sur le terrain culturel.

Images de l’exposition diffusées par l’Institut Illiade.

Ses autres comparses sont également bien implantés dans la galaxie de l’extrême droite : Bernard Lugan est un ancien membre de l’Action française, où il était chargé des opérations contre les militants d’extrême gauche et Philippe Conrad est l’ancien secrétaire général adjoint du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE). À l’image de l’ISSEP, l’école de Marion Maréchal-Le Pen, il se targue de vouloir “former des combattants de l’identité européenne pour que notre civilisation reprenne son essor”.

Après un arrêt à Paris, Nancy et Lyon, l’Institut Iliade a contacté la galerie de l’ESDAC, pour que ses 45 artistes puissent exposer en Provence. Située dans une petite rue près de la Rotonde et des allées provençales, ce lieu propose aux artistes, jeunes talents, étudiants ou collectifs d’exposer leurs œuvres pour une ou deux semaines.

Un vent de panique à l’ESDAC

Malgré les deux années Covid et l’immense baisse d’activité, la galerie de 90 m2 qui occupe le rez-de-chaussée et le premier étage du bâtiment gris, est accessible sur demande moyennant entre 500 et 1000 euros pour un groupe de la sorte. Et visiblement, l’école qui offre cette vitrine n’est pas très regardante sur ce qu’elle y expose. En témoigne la réaction de Stéphane Salord, fondateur et dirigeant de l’ESDAC, lorsque nous l’appelons ce jeudi. “Attendez, vous êtes sûre de ce que vous avancez ?”, nous questionne-t-il. Il s’éloigne de son téléphone et crie à sa collaboratrice : “Il y a une journaliste qui m’annonce que l’exposition prévue ce week-end, est une exposition d’extrême droite. Vous le saviez ça ?” Sa collègue se défend : “non, bien sûr que non ! Mais c’est juste une expo de photos sur la nature”.

“Lorsqu’ils nous ont contactés, soyez sûre qu’ils nous ont uniquement parlé du thème de leur exposition, à savoir la nature. Ils ont montré patte blanche”, assure celui qui est aussi le délégué Génération écologie dans la région. En même temps qu’il échange avec nous, il découvre sur internet les positionnements politiques du collectif et ses doutes s’effondrent. L’ancien adjoint de  Maryse Joissains n’en revient pas lorsqu’il parcourt le site de l’Institut Illiade.

Vous les appelez, et vous leur dites qu’ils remballent tout leur bordel.

Effrayé par les conséquences qu’un tel accueil pourrait provoquer, toujours en ligne avec Marsactu, il intime à ses collaboratrices : “Vous les appelez, et vous leur dites qu’ils remballent tout leur bordel”. “Quelle horreur ! C’est évident que leur exposition ne va pas se tenir. Heureusement que vous me l’apprenez. Vous pensez qu’ils sont dangereux ?” s’inquiète-t-il encore.

Le flyer de l’exposition que l’Institut Iliade a envoyé à ses membres

Annulation de dernière minute

Dans un communiqué de presse qu’il nous adressera moins d’une heure après, Stéphane Salord souligne que “la Galerie de l’école ESDAC est mise à disposition au profit exclusif d’activités culturelles, dans un total esprit de neutralité politique, de tolérance et de laïcité”. Il s’est également empressé de contacter l’organisateur de l’exposition, afin de lui faire part de sa décision. Dans un mail qu’il leur a adressé, il souligne que “l’école autant que notre lieu d’exposition ne peuvent en aucun cas prêter à confusion sur un quelconque engagement politique de notre part. Or il apparait que ILIADE est […] incompatible avec la neutralité absolue qu’un institut éducatif comme le nôtre se doit d’observer.” Contactés, les participants n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Les exposants, qui avaient déjà pris possession des lieux depuis plusieurs jours, en prévision du vernissage de samedi prochain, ont été sommés de décrocher leurs œuvres au plus vite. Stéphane Salord, qui se présente comme “humaniste”, dit avoir récupéré les clefs et même fait changer les serrures : “ça m’apprendra à ne pas mieux vérifier les exposants qu’on souhaitait accueillir.” Pour sa défense, il invoque que cet institut est “peu connu du grand public”. À défaut d’un vernissage à Aix, les sympathisants de l’Institut pourront toujours se retrouver au Château de Roquefavour, qui accueillera ce samedi Jean-Yves Le Gallou, lors d’une présentation de l’ouvrage Le privilège d’être blanc. Qui veut faire la peau aux européens ? Tout un programme.

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    L’extrême droite est un courant politique dangereux pour notre démocratie. Nous sommes bien d’accord.
    Mais si l’expo avait été promue par collectif de la gauche extrême, “wok”, racialiste, “cancel culture” et tout aussi intolérant, l’aurait on signalé et interdit???

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  2. BRASILIA8 BRASILIA8

    A quoi reconnait-on une photo d’extrême droite ?

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    • vékiya vékiya

      parce qu’elle est mal cadrée

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  3. Bugguybug Bugguybug

    Bravo à Marsactu pour sa vigilance !

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  4. marguerite.deschamps marguerite.deschamps

    Petite coquille : “sa réaction”, pas “sa rédaction”. 😉
    Merci pour votre excellent travail journalistique.

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    • Jean-Marie Leforestier Jean-Marie Leforestier

      Merci pour votre vigilance, cela a été corrigé !

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  5. guillaume_ guillaume_

    Bonjour, le château de Roquefavour a-t-il eu un commentaire à faire sur l’accueil de cette conférence ?

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  6. Peuchere Peuchere

    Les idées de l’extrême droite me font vomir !!
    Mais interdire l’expression culturelle sous prétexte qu’elle est portée par une association d’extrême droite, c’est le début de la censure et c’est insupportable.

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    • RML RML

      Non ca n a rien a voir avec la censure. L organisateur et le promoteur de l exposition s avéré ne pas etre une entité culturelle mais bien un think tank politique. Ce n est pas une censure artistique

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    • Andre Andre

      Ce sont quand même des photos….

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  7. SOFDAN SOFDAN

    Merci à Marsactu de sa vigilance !
    Du vrai journalisme

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  8. pbatteau pbatteau

    Comme citoyen, je combats chacune des idées que je juge épouvantables, perverses et imbéciles de l’extrême-droite française, qu’elles viennent d’Eric Zemour, de Marine le Pen ou d’autres. Je redoute aussi au plus haut point que ces gens là n’accèdent au pouvoir, réveillant des hordes de sycophantes et de zélateurs dans le pays qui vont secouer la bête immonde qui semble parfois ne dormir que d’un œil. Je comprends aussi l’émoi du pauvre Stéphane (Salord) piégé dans cette affaire.
    Mais dans une France, encore démocratique, où ces funestes idées risquent fort d’être le reflet des inquiétudes de la majorité de nos concitoyens dès le premier tour de la présidentielle, (ce qui marque la désespérance d’un pays qui réalise ses faiblesses face aux géants de la planète), censurer de cette manière est-il la meilleure manière de combattre ? Ne crée-t-on pas plutôt un “effet d’aubaine” pour les organisateurs et leurs soutiens qui vont se répandre en criant que les censeurs veulent faire taire les « lanceurs d’alerte » d’un « grand remplacement programmé » et en « détruire les preuves » ? Leur réaction sera d’autant plus aisée à faire admettre par l’opinion que s’est répandue sur les réseaux sociaux l’épidémie du complotisme.
    Et puis, comme le souligne un autre lecteur (Regard), il y a suffisamment de groupuscules radicaux de toute essence susceptibles de provocations diverses pour attirer l’attention sur eux en jouant sur les registres de l’émotion, de la peur, ou parfois de la haine, en lieu de raison (ce qui devient une manie au pays de Condorcet, Rousseau, Montesquieu et Voltaire ) pour inviter à réfléchir à d’autres manières de répondre à de telles manifestations culturelles. Tout cela ne risque-t-il pas finalement de conforter des extrêmes et de creuser les fossés qui préparent les guerres civiles froides ou chaudes ?

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    • Andre Andre

      J’approuve vos propos. On doit combattre ces mouvement par l’action publique et politique et non pas par des oukases qui ne font que renforcer leur théorie de la persécution. On ferait mieux de s’interroger sur les raisons de la montée de l’extreme droite. Mais cela poserait crûment la question de 30 ans de renoncements, surtout à gauche….

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  9. AlabArque AlabArque

    Pour ‘crier à la censure’ et jouer la ‘victimisation’, ILIADE devrait tout d’abord expliciter ses positions et en assumer le substrat idéologique. Les groupes ‘de la gauche extrême, tout aussi intolérants’ évoqués par ‘André’ en début de discussion, ‘annoncent la couleur’ politique d’emblée, la plupart du temps, et revendiquent haut et fort leur engagement militant. De ce point de vue, il n’y a pas d’ambiguïté.
    Quant à ‘la majorité’ de nos concitoyens, l’élection n’est pas encore faite … Si les ‘sondeurs’ arrivent à compter un total de 30% pour les candidat.e.s d’extrême-droite, cela indique assez clairement que 70% de l’électorat n’y est PAS favorable.

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    • Andre Andre

      Certes, les groupes de la “gauche extréme” ne se cachent pas, d’autant plus qu’ils s’imaginent incarner une avant garde progressiste alors qu’ils ne représentent pas grand chose . Mais ils se répandent dans les médias avec la complaisance de certains et n’en sont pas moins un danger pour l’intelligence et une pensée raisonnée. Je regrette que le paysage politique de notre pays soit coincé entre ces deux extrêmes que les partis se sentent obligés de courtiser. Je prendrai pour exemple les LR, les Verts et la LFI ( que je ne classe pas à l’extrême gauche et qui m’a beaucoup déçu)

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