Le Corbusier revient faire sa brute au J1
Le Corbusier revient faire sa brute au J1
Dans le J1, ce hangar du port qui frotte ses flancs métalliques contre la coque des paquebots, l'exposition Le Corbusier et la question du brutalisme se dévoile. C'est à partir de ce lieu que Le Corbusier a embarqué plusieurs fois pour l'Algérie ainsi que pour Athènes en 1933, et que l'architecte Jacques Sbriglio, spécialiste du fada a imaginé et conçu sa scénographie. Ouvert de tout part, l'espace est traversé par la lumière naturelle du môle, offrant une vue tant sur la Méditerranée que sur Marseille et la cathédrale de la Major.
Le premier chapitre de l'exposition, "Aux origines du brutalisme", revient sur le cheminement de la carrière de Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, et tend à montrer comment se sont construits ses fondamentaux, comme son rapport si particulier à la Méditerranée. En effet, avant-guerre, Le Corbusier travaille près de 10 ans à Alger, séduit par la lumière qui irradie le pays. Il conçoit de multiples plans qui ne seront jamais exécutés, tel un gratte-ciel que l'architecte Jacques Sbriglio ira chercher, en vain, à Alger, berné par un montage hyper réaliste du dessinateur où la pointe du bâtiment agace des nuages fuyants. Le Corbusier est également fasciné par la Casbah qui doit, selon lui, être préservée et dont les toits-terrasses influenceront toute sa carrière.
Refus du décor
Le deuxième chapitre de l'exposition intitulé "Le Corbusier et la question du brutalisme", plus thématique, présente ce qui compose l'architecture brutaliste de Le Corbusier. Le brutalisme, mouvement architectural anglo-saxon issu du modernisme, rappelle Jacques Sbriglio, revient à "un certain élémentarisme en architecture et au refus total du décor". Si Le Corbusier n'est pas l'unique architecte du brutalisme, avec l'utilisation et la valorisation des matériaux bruts tel le béton, selon Jean Iborra, directeur des expositions de Marseille-Provence 2013, "il est celui qui lui donne ses lettres de noblesses". Comme l'architecte le formule lui-même :
Puissent nos bétons si rudes révéler que, sous eux, nos sensibilités sont fines…
Le commissaire de l'exposition s'attarde sur la période marseillaise du Corbusier, fondamentale dans sa carrière avec l'Unité d'habitation de Marseille, son premier bâtiment brutaliste, inspiré des paquebots : "ce n'est pas pour rien si on l'appelle la maison du fada." A Marseille, la Cité radieuse représente une révolution en termes d'habitat. Le mode de vie et les usages des gens sont bousculés : avec, par exemple, l'installation systématique de salles de bains et l'ouverture de la cuisine sur le salon. "Mais jamais Le Corbusier n'aurait imaginé que des gens vivraient toute leur vie au même endroit. Il disait que nous étions des nomades, faits pour habiter dans certains types de lieu à certains moments".
Jacques Sbriglio, natif du boulevard Baille se souvient, le regard pétillant, de sa découverte enfant de la Cité radieuse et son impression de figurer dans un film américain : "un gardien à l'entrée nous demandait ce qu'il pouvait faire pour nous…" Plus tard, à 25 ans, il emménage dans l'Unité d'habitation. "On a souvent dit que Le Corbusier voulait tout régler dans la vie des gens, mais moi je trouvais cela formidable d'avoir seulement besoin d'installer un matelas !". Avant-gardiste, Le Corbusier anticipe les pratiques, dessinant par exemple une piste de footing en haut de la Cité radieuse, discipline qui se développe près de trente ans plus tard.
Brutalisme romantique
Pourtant, Jacques Sbriglio estime que "Le Corbusier a été enrôlé de force dans le brutalisme à cause du bâtiment de Marseille, L'unité d'habitation. Certes, il s'agit de brutalisme, mais de brutalisme romantique. Avec une volonté poétique, une dimension plastique, il prend du recul par rapport au mouvement." Le commissaire de l'exposition défend l'hypothèse selon laquelle Le Corbusier s'est aperçu que le mouvement moderne s'était essoufflé après la guerre et qu'il avait ressenti la nécessité de faire évoluer l'architecture. "Pour cela, il convoque la synthèse des arts et rassemble autour de l'architecture, mère pour lui de toutes les disciplines artistiques, des émaux, la sculpture, la peinture… Sa posture est à la fois éthique et esthétique". Un artiste incapable de concevoir son art autrement qu'avec de l'émotion. D'ailleurs, après la guerre, raconte Jacques Sbriglio, "il ne parle plus que d'art et de poésie".
L'architecture c'est avec les matières brutes, établir des rapports émouvants
L'homme voyage beaucoup et cherche à atteindre l'universalisme : il se plonge ainsi dans des architectures dites primitives, découvertes au cours de ses voyages comme en Amérique latine et les associe à une architecture moderne. C'est le cas du loggia brise-soleil, concept emprunté aux habitations du Brésil et d'Algérie pour atténuer la morsure trop vive du soleil. Le minéral et l'artisanat s'intègrent à son art.
L'architecte est également sollicité en Inde, dans l'Etat du Penjab, dans la ville de Chandigarh pour réaliser plusieurs édifices monumentaux sur la place du Capitole : le Palais de l'Assemblée, la Haute Cour de justice, le Palais du gouverneur, le Secrétariat… Les commanditaires indiens lui demandent de symboliser l'ouverture de l'Inde à la modernité sans pour autant calquer un modèle architectural européen. "Les bâtiments sont ainsi conçus pour intégrer l'eau, la pluie, le vent, avec des ouvertures de toutes parts", détaille le scénographe.
Si l'on oublie un instant qu'un paquebot est un outil de transport et qu'on le regarde avec des yeux neufs, on se sentira en face d'une manifestation importante de témérité, de discipline, d'harmonie, de beauté calme, nerveuse et forte
En plus de ses constructions, l'homme n'a cessé de peindre, de dessiner, notamment des femmes de cabaret aux formes voluptueuses ou des Algériennes. Quant au mobilier qu'il dessine, il est ensuite conçu par un ébéniste breton, Jacques Savina, à qui il demande un jour de sculpter ses peintures, apposant ensuite leur double signature sur les oeuvres.
Prêtées par la Fondation Le Corbusier, la plupart des quelques 250 oeuvres présentées restent inconnues du grand public, comme les tapisseries, les émaux, les croquis, des films et des photos, ou encore des maquettes qui aident à la représentation des édifices. Elles reconstituent également une parcelle d'intimité de l'architecte, comme celle de son cabanon de Roquebrune-Cap-Martin. Ses grandes toiles rappellent Pablo Picasso par son style et les couleurs vives. Et dans le coin de l'une d'elle, une petite écriture fine et serrée a été ajoutée. Une dédicace à sa femme Yvonne, à l'aube de sa mort, sur une toile qu'elle affectionnait tant, comme un adieu.
Jusqu'au 22 décembre 2013, tous les jours sauf le lundi, de 12 h à 18 h. Tarifs : de 5 à 10 €, gratuité pour les moins de 18 ans, détenteurs du City Pass Marseille Provence 2013, bénéficiaires des minima sociaux
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