Fibre excellence demande un nouveau train de dérogations environnementales

Décryptage
le 4 Avr 2022
3

L'usine papetière de Tarascon, connue pour ses pollutions du Rhône et de l'air, demande à la préfecture de pouvoir déroger aux seuils d'émission prévus par la réglementation pour sept polluants. Elle promet qu'elle sera aux normes en 2025. Les écologistes dénoncent un énième chantage à l'emploi.

L
L'usine Fibre excellence Tarascon vu depuis la rive gardoise du Rhône. (Photo : Pierre Isnard-Dupuy)

L'usine Fibre excellence Tarascon vu depuis la rive gardoise du Rhône. (Photo : Pierre Isnard-Dupuy)

Le régime dérogatoire continuera-t-il d’être la norme pour l’usine de pâte à papier Fibre Excellence à Tarascon ? La direction demande à la préfecture de pouvoir déroger aux seuils d’émission prévus par la réglementation pour sept polluants. Elle avance la nécessité d’avoir du temps pour aménager ses installations. “Chaque projet demande un calendrier. Ce sont des investissements lourds. Il faut obtenir les financements, puis mener des études, trouver les solutions techniques. Ça ne se fait pas d’un claquement de doigts », précise-t-on du côté de l’industriel, joint par Marsactu. Il s’engage à une mise aux normes définitive en 2025, présentée comme une suite logique d’une politique d’investissements engagée depuis 2018.

Ainsi, Fibre Excellence a déposé un dossier de demande de dérogation, qui est en cours d’étude par les services de l’État. Une consultation publique s’est achevée le 21 mars 2022. Son résumé non-technique, transmis dans la cadre de cette consultation, affirme que depuis 2020 et l’installation d’un laveur de gaz, les émanations de son site ne présentent pas de risques sanitaires. Missionnée pour des analyses par l’industriel, la société Arcadis note qu’elles ne représentent “pas de risques pour la santé des populations environnantes”.

Colère des associations

Pourtant, les odeurs de chou pourri dues aux sulfures d’hydrogène et au dioxyde de soufre continuent d’être humées un peu partout dans le pays d’Arles en fonction des vents. Et parfois elles donnent la migraine. En fonction de leur concentration, ces gaz peuvent être irritants pour les voies respiratoires et toxiques pour l’organisme. Les associations environnementales – réunies vendredi 1er avril, à l’occasion d’une conférence de presse à l’invitation de Sébastien Barles (EELV), adjoint au maire de Marseille chargé de la transition écologique – réclament une étude épidémiologique qui permettrait d’objectiver les conséquences sanitaires.

Côté Rhône, Fibre Excellence, site Seveso, était encore considéré comme “principal pollueur” du fleuve par l’agence de l’eau jusqu’en 2017. L’industriel assure désormais avoir amélioré sa station d’épuration et via la commande d’études, il affirme qu’il n’y pas de conséquences significatives sur l’environnement aquatique. Depuis l’émissaire de l’usine, les rejets sont toutefois toujours visibles sous la forme d’une longue traînée noirâtre dans le fleuve. Fibre Excellence reconnaît des difficultés liées à un site de 40 ans d’âge. “Cette problématique, liée à l’âge du site et à l’ancienneté des technologies mises en œuvre, a fait l’objet d’études visant à réduire les émissions”, mentionne le résumé non-technique.

Guérilla dérogatoire

Cette demande de délais supplémentaires avant mise aux normes provoque une nouvelle fois la colère des associations. “Fibre excellence a mis 12 ans pour se résoudre à se conformer à toutes les normes. Désormais elle demande de nouvelles dérogations par rapport à de nouvelles normes. C’est de la guérilla dérogatoire”, ne décolère pas Claire Simonin de l’association des Flamants roses du Trébon.

Depuis 8 mois, l’usine est sortie d’une période de turbulences. Après un procès en correctionnelle et un mouvement social, elle a validé son avenir en juillet 2021 suite à un redressement judiciaire. Soutenue par l’État, la reprise s’est faite par son propre actionnaire. Rebaptisée Fibre Excellence Provence (et non plus Tarascon), elle appartient toujours au milliardaire indonésien Jackson Widjadja.

Vœux de transparence

Ainsi remis en selle, l’industriel fait vœux de transparence concernant sa stratégie environnementale. De fin 2018 jusqu’à fin 2020, “l’usine respectait les seuils d’émissions imposés par les arrêtés préfectoraux. Ce qui n’est plus le cas depuis le 1er janvier 2021 car de nouvelles mesures sont en vigueur”, précise la direction. En fait, son dossier n’est pas conforme à la directive européenne relative aux émissions industrielles (IED) depuis 2014, l’année où celle-ci a été transposée dans le droit français. Elle fixe une notion de meilleures techniques disponibles qui doivent être utilisées pour respecter des valeurs limites d’émissions.

Cette évolution du droit de l’environnement impose la présentation d’un dossier de réexamen des conditions d’exploitation. C’est sur cette base que les services de l’État confirment ou non l’autorisation d’exploitation. L’industriel a déposé sa demande en octobre 2015.  Mais durant quatre ans, l’État via la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) a demandé à plusieurs reprises des compléments  d’information. Tout ceci avant que n’adviennent le Covid et le redressement judiciaire. Contactée, la préfecture n’a pas été en mesure de répondre à nos demandes de précisions dans le temps imparti à la rédaction de cet article.

Des promesses pour fin 2022, 2023 et 2025

Dans la boîte à outils de ses efforts environnementaux, Fibre excellence affirme qu’elle respecte les normes de rejets depuis qu’elle ne produit depuis fin 2020 que de la pâte à papier écrue, ne nécessitant pas d’agents chimiques de blanchiment. En fonction des demandes du marché, la firme pourrait toutefois revenir à de la pâte blanchie, “en accord avec la préfecture, à hauteur de 25 % en 2022 et de 20 % jusqu’en juillet 2023″, précise le résumé non-technique. Voilà pourquoi elle sollicite la mansuétude des autorités préfectorales.

Cinq valeurs de rejets aqueux sont concernées ainsi que deux dans l’atmosphère. L’usine demande une dérogation jusqu’à novembre 2022 pour les paramètres de matières en suspension et de demande chimique en oxygène (DCO) dans les eaux rejetées. Pour l’azote et la mesure des composantes chlorées, le délai est demandé jusqu’à novembre 2025. une dernière demande concerne le phosphore, sans limite dans le temps. La firme promet de rentrer dans les clous en améliorant ses procédés de traitement et de filtrage.

Pour les rejets atmosphériques, l’entreprise demande de pouvoir déroger aux seuils de rejets de gaz soufrés jusqu’en décembre 2023. D’ici là, “Fibre excellence s’engage à changer ses chaînes d’évaporation de liqueur noire [résidu de la cuisson du bois qui après traitement est réinjecté dans le processus de production, ndlr]“, mentionne le document.

Vers une nouvelle bataille judiciaire ?

Les associations se souviennent que par le passé, l’usine n’a pas tenu les délais annoncés. Dans un communiqué commun, elles font le calcul de dépassements majeurs des normes, jusqu’à “87 fois au-dessus” si les seuils demandés par Fibre Excellence sont accordés.  Les Flamants roses du Trébon ont déposé un recours référé devant le tribunal de Tarascon. L’association demande l’arrêt de l’usine en vertu d’un trouble manifestement illicite du voisinage, jusqu’à mise en conformité. L’audience au tribunal de Tarascon a été repoussée au 28 avril prochain. Lors de la conférence de presse du 1er avril, l’association a évoqué l’éventualité d’autres actions en justice avec le soutien de France nature environnement 13. “Avec Fibre Excellence, il faut s’arc-bouter pour faire appliquer la loi”, s’engatse Richard Hardouin, le président de la fédération départementale.

Le 1er avril, réunies en conférence de presse, plusieurs associations et élus écologistes ont dénoncé l’éventualité de nouveaux recours. (Photo PID)

Pour Sébastien Barles, si l’usine de Tarascon obtient ce qu’elle veut, ce serait “l’octroi d’un permis de polluer pour une usine poubelle. On refuse de se soumettre à ce chantage à l’emploi”. Si l’État n’agit pas, il s’engage à faire des démarches avec les associations pour faire réaliser des analyses par des “experts indépendants” et à “contacter l’équipe de l’étude Fos Epseal , afin de déployer ses méthodes sur la santé environnementale autour de ce site. Fibre Excellence n’est pas au bout de ses peines pour montrer patte verte.

Cet article vous est offert par Marsactu

À vous de nous aider !

Vous seul garantissez notre indépendance

JE FAIS UN DON

Si vous avez déjà un compte, identifiez-vous.

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Patrick Magro Patrick Magro

    Si ça permet d’éviter la grave pénurie de papier qui commence, c’est à regarder de près

    Signaler
    • Pierre Isnard Dupuy Pierre Isnard Dupuy

      Bonjour,
      Pour l’heure le modèle de Fibre Excellence est celui d’une économie mondialisée. La majorité de la pâte à papier produite à Tarascon est expédiée en Asie, dans d’autres usines du conglomérat Sinar Mas.

      Signaler
    • polipola polipola

      Ben voyons! De toute façon, l’environnement on s’en fiche donc allons y

      Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire