Face au rejet massif du projet de rénovation d’Air-Bel, le risque de la “page blanche”

Décryptage
le 6 Déc 2023
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Le 14 novembre dernier, la réunion de concertation autour du projet de renouvellement urbain d'Air-Bel a tourné au vinaigre. Face à l'opposition des habitants, la maire adjointe, Samia Ghali a fait volte-face, en demandant une remise à plat d'un projet pourtant approuvé par la Ville et la métropole cet automne.

Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)
Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)

Début des travaux de rénovation urbaine à Air-Bel (11e) en octobre 2022. (Photo C.By.)

“S’il le faut, on repartira d’une page blanche…” La phrase est lâchée par Samia Ghali, maire adjointe notamment chargée des projets de rénovation urbaine à la mairie de Marseille, un soir de novembre dans une cantine scolaire de l’école d’Air-Bel. Avec les élus et techniciens de la métropole, elle fait face depuis de longues minutes à la bronca des habitants de cette grande cité de l’Est marseillais. Ils sont venus nombreux dans l’étroit réfectoire, dire leur opposition au projet de renouvellement urbain qui, après des années de longue maturation, démarrait enfin sa phase de concertation, le 14 novembre dernier.

Déjà, les gens étaient énervés parce que la salle était trop petite, raconte un observateur, sous couvert d’anonymat. Alors quand j’ai entendu le gars de la concertation, dire qu’on allait discuter du projet de renouvellement “de Bel-Air”, j’ai senti que ça allait partir en biberine”. Ça n’a pas manqué : élus et techniciens ont dû faire face à un feu roulant de critiques sur tous les aspects du projet, mettant en péril un projet de renouvellement urbain validé en conseil national d’engagement de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) en 2019 et voté sans opposition en conseil municipal et métropolitain, à la rentrée.

“Remise à plat totale du projet”

Quelques semaines plus tard, face aux habitants, Samia Ghali n’hésite pas à évoquer “une remise à plat totale du projet” sous la forme d’un avenant soumis au conseil national de l’agence nationale de rénovation urbaine. Une procédure lourde, alors que le projet lui-même est lancé depuis 2014 et que des premières démolitions ont eu lieu en 2022. Quant aux bailleurs, Logirem, Unicil et Erilia, principaux financeurs du projet, ils attendent la signature et le lancement du programme depuis l’an dernier, au moins.

Le coup de frein brutal de la municipalité fait sérieusement tousser du côté de l’État. Présent ce soir-là, aux côtés de Samia Ghali et de Denis Rossi, représentant de la métropole, le nouveau préfet délégué pour l’égalité des chances, Mickaël Sibilleau, tique : “Bien sûr que les collectivités locales ont la possibilité de proposer des avenants. Mais j’attire l’attention de tout le monde sur les crédits engagés. Sur les 160 millions d’euros du projet, il y a 60 millions de l’ANRU. Si ces crédits ne sont pas engagés avant 2026, ils seront perdus. La règle est la même pour tous les projets de rénovation de France”.

61 millions qui ne tiennent plus qu’à un fil

Dire que c’était tendu, c’est un euphémisme, formule auprès de Marsactu Denis Rossi, le conseiller métropolitain qui suit les projets de renouvellement urbain marseillais et qui co-organisait ladite réunion. Qu’il y ait des désaccords, c’est normal. On sait qu’à Air-Bel, la situation est complexe, notamment dans la relation aux bailleurs. Le projet est énorme et il a pas mal bougé depuis son lancement, il y a des années. Mais, on ne peut pas se permettre de le planter. Ce serait un désastre !“.

Une admonestation reprise à son compte par la secrétaire d’État à la politique de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, lors de sa visite officielle, au titre de sa supervision du plan Marseille en grand. Son entourage laissait clairement entendre qu’une remise à plat du projet n’était pas possible, sans perdre les crédits promis par le chef de l’État.

Défaut de portage

J’ai signé la convention pour ne pas bloquer le projet, explique de son côté Samia Ghali. Mais je n’ai découvert le détail du projet que quelques jours avant la concertation publique, lors d’une réunion avec les bailleurs. Et ce que j’ai découvert n’allait pas dans le sens des habitants. Un timing surprenant alors que la maire adjointe a pris en main une délégation qu’elle connaît bien dès les premiers mois de mandat de la nouvelle équipe municipale en 2020.

Mais le projet était déjà ficelé bien avant que j’arrive, se défend-elle aujourd’hui. Il s’agissait d’avancer d’abord sur les projets en attente de conventionnement. Je ne voulais pas que certains soient prioritaires sur d’autres, sous prétexte qu’ils avaient démarré avant. Et je pars du principe que tout cela a été concerté avec les habitants. S’il y a eu un défaut de portage politique, ce n’est pas de mon fait“.

C’est vrai que j’ai mis du temps pour signer. Mais ce n’est pas ces quelques mois de perdus qui mettent en péril le projet.

Samia Ghali, maire-adjointe

Elle dit donc avoir découvert l’opposition mordicus des habitants en poussant la porte du réfectoire de l’école primaire à la mi-novembre. Pourtant, cela fait des mois que les partenaires et bailleurs sociaux tannent la Ville pour qu’elle signe la convention et donne le coup d’envoi de la rénovation, par une grande réunion publique. “C’est vrai que j’ai mis du temps pour signer, reconnaît-elle aujourd’hui. Mais ce n’est pas ces quelques mois de perdus qui mettent en péril le projet. Surtout que cela fait dix ans que la métropole travaille dessus“.

Désormais, elle emboîte le pas des habitants en regrettant un “projet pas très sexy“, qui, au final, “risque de produire de la gentrification en proposant des projets d’accession à la propriété dans les endroits les plus agréables du quartier“. Le gros mot est lâché. De quoi ajouter un peu de piment sur un sujet déjà brûlant.

Les habitants refusent de “porter le chapeau”

Mais du côté des associations d’habitants, on ne veut pas être perçus comme le grain de sable qui bloque tous les rouages et, au final, empêche la manne des crédits de l’ANRU de ruisseler jusqu’à Air-Bel. “C’est normal que les habitants expriment leurs désaccords, analyse Rania Aougaci, pour l’amicale des locataires. Pour la plupart d’entre eux, ils ont découvert le projet ce soir de novembre. On nous dit qu’on était au courant depuis 2019, mais ce n’est pas à moi, salariée de l’amicale, d’aller voir chaque habitant pour les informer que leur logement va être démoli”.

Ils veulent démolir des bâtiments de petite taille, où il fait bon vivre et où personne ne se plaint.

Rania Aougaci, Amicale des locataires

La principale pomme de discorde est le passage d’une voie publique du nord au sud de la cité, nécessitant la démolition d’un groupe d’immeubles. “Le problème est qu’ils veulent démolir des bâtiments de petite taille, où il fait bon vivre et où personne ne se plaint. Dans le même temps, ils laissent debout les grandes tours du bas de cité, que tout le monde veut voir disparaître. Et tout ça pour faire passer une route, dont personne n’est capable de nous expliquer la finalité“.

Voie urbaine et grosse école

La création de cette voie urbaine, dans un territoire, entièrement privé, détenu par trois bailleurs, est un des invariants du projet. On retrouve ce type de voies traversantes, de Corot au Plan d’Aou, en passant par la Savine, la Castellane ou le Vieux-Moulin. Avec, à chaque fois, l’ambition de remettre des voies urbaines, des rues et de la normalité, là où les bailleurs sociaux étaient seuls maîtres de leur patrimoine.

Sauf qu’à Air-Bel, la voie traversante ne passe pas. Et l’opposition emporte avec elle tout le projet. L’école publique, aujourd’hui éclatée en plusieurs lieux, doit être reconstruite sur un seul site, avec 500 élèves pour un seul groupe scolaire. Un projet dont ne veulent ni les parents d’élèves, ni l’équipe éducative. “Ce n’est pas le projet qui a été concerté en amont, reprend Rania Aougaci. On parlait alors de deux écoles avec une grande esplanade apaisée et un dépose-minute pour les voitures“. La représentante de l’amicale des locataires n’est pas contre une remise à plat du projet, “mais à condition que cela se passe avec les habitants. Il n’est pas question que les partenaires décident entre eux puis nous fassent porter le chapeau de l’échec du projet“.

Une grande voie centrale traverserait désormais la cité. (Carte extraite de la convention du projet ANRU)

Samia Ghali a demandé au préfet délégué pour l’égalité des chances de réunir les partenaires du projet pour un comité de pilotage restreint d’ici au 20 décembre. Avant une réunion plus large, avec les représentants associatifs, en janvier prochain. “Il n’est pas trop tard pour avancer ensemble, assure-t-elle. La page blanche, elle peut se remplir très vite…” Avec le tic-tac du calendrier financier en métronome de la concertation à venir.

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Commentaires

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  1. vékiya vékiya

    la madone est sous les sunlights, mais j’ai moyennement confiance en elle qui découvre ce jour le projet

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  2. Dark Vador Dark Vador

    Madame Ghali “découvre” le projet après avoir “mis du temps pour signer”…
    Une telle “légèreté” (pour ne pas employer un terme moins “élégant”) est, de sa part, profondément choquant eu égard à la problématique douloureuse des habitants. Qu’elle se consacre d’avantage à sa mairie de secteur qu’elle a si ardemment souhaitée…

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  3. Blaah Blaah

    En dehors du cas Samia Ghali, j’aimerais bien savoir comment, en 2023, des porteurs de projet de rénovation urbaine osent encore construire un projet pendant des années, boucler les financements des partenaires et voter une approbation unanime en conseil municipal sans jamais se demander à un moment s’il ne valait pas mieux au préalable consulter les premiers concernés. Comment peut-on avoir encore une conception aussi arriérée de la concertation ?

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    • petitvelo petitvelo

      En jupitérien, concertation = cause toujours

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  4. julijo julijo

    oui, très curieux cette “découverte” par ghali, alors qu’il y a quelques années que ce projet est (soi-disant) en concertation ; mais pas avec les habitants.

    cette voie qui traverse la cité, est une aberration. et les habitants dénonce ce tracé depuis des mois, voire des années. de même pour l’école. ils n’ont jamais été entendu.
    christophe collomb c’est en 1492, ghali c’est en novembre 2023…mais il n’est jamais trop tard, remettre tout à plat, et impliquer les habitants, n’est pas une mauvaise idée.

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  5. Regard Neutre Regard Neutre

    En partant d’une feuille blanche les délais d’un programme de rénovation urbaine peuvent varier considérablement en fonction de divers facteurs, notamment l’ampleur des travaux, la complexité du projet, les approbations réglementaires, les financements disponibles et les éventuels imprévus. S’il est important de noter que chaque projet peut avoir des caractéristiques uniques, l’estimation générale des délais du projet s’articule ainsi:
    Pré-Planification : 6 mois à 1 an – Comprend l’évaluation initiale, la consultation des parties prenantes, et la définition des objectifs.
    Planification : 1 à 2 ans – Élaboration détaillée des plans, obtention des autorisations réglementaires, consultations publiques, etc.
    Mise en œuvre : 2 à 4 ans – Construction et rénovation des logements, infrastructures et équipements associés.
    Fin de projet : 6 mois à 1 an – Réception des travaux, vérifications finales, transfert des propriétés rénovées aux occupants.
    Ces estimations peuvent varier en fonction de la taille et de la complexité du programme, des conditions locales, des retards éventuels, des ajustements nécessaires en cours de route, et d’autres facteurs. Une gestion de projet efficace, une coordination étroite entre les parties prenantes et une communication transparente peuvent contribuer à respecter les délais autant que possible.
    Soit un délai minimum de 4 ans si tous les acteurs jouent la même partition…
    Qui est le pilote de l’opération?

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  6. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Un projet lancé en 2014, validé en 2019, voté en 2023, et – enfin – concerté en… novembre 2023. Il y a sûrement une erreur quelque part, mais où ? Est-ce une façon de mettre la pression sur les habitants, en leur expliquant que c’est à prendre ou à laisser sinon on va perdre les crédits ANRU ?

    Dans cette affaire, Samia Ghali montre son remarquable savoir-faire pour le yakafaukon. On aimerait plutôt qu’elle bosse ses dossiers et agisse en temps et en heure.

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  7. RIchard CAGNY RIchard CAGNY

    Ah… Quand Samia Ghali fait du…. Samia Ghali !!

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  8. MarsKaa MarsKaa

    Une école avec 500 élèves…
    C’est plus gros que certains collèges.
    Et il paraît que les pitchouns du CM2 sont perdus quand ils arrivent au collège.
    Alors grossissons les écoles ! Voilà la solution !

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  9. Peuchere Peuchere

    Incroyable incompétence !!!!
    60M€ qui vont être perdu pour Marseille.
    Pas grave, la ville augmentera encore les impôts. L’an dernier, ca lui a rapporté 50M€

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  10. marseillais marseillais

    Faut dire que Samia Ghali a mis du temps à se rendre à Air Bel, ne considérant pas ce dossier ANRU prioritaire…faut dire que ce n’est pas sa zone de prédilection, s’arcboutant sur le clientélisme du 15/16

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  11. Neomarseillais Neomarseillais

    Franchement c’est pitoyable cette inertie…

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  12. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Ghali, Notre-Dame-des-Réseaux, veut planter ce projet métropolitain qui se situe dans le 11/12. Double strike : contre la Métropole et contre la mairie de secteur. Son enjeu est uniquement de faire croire que ça ne vient pas d’elle, mais de ses opposants / concurrents / collègues.

    Surtout que dans les clauses de revoyure du “NPNRU” (Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine, la 2ème phase du plan ANRU), un crédit non engagé avant fin 2026 (il faudrait, ici, avoir notifié les marchés de travaux avant cette date, ce qui est inenvisageable ne serait-ce qu’en raison des délais des études techniques et règlementaires) serait reversable non pas sur le même projet imaginé différemment, mais sur un autre programme engagé qu’il faudrait abonder.

    Traduction : piquer le budget d’Air Bel pour l’injecter dans celui d’autres programmes NPNRU qui, eux, avancent. Exemple : la Savine, Malpassé, et pourquoi pas Martigues / Port-de-Bouc, dont les acteurs métropolitains sont du sérail racailleux de Notre-Dame-des Réseaux… Ah tiens, sur Martigues et Port-de-Bouc le bailleur c’est 13Habitat (absent d’Air Bel), dont la présidente est Mme Preziosi. Oui, la cousine de Sainte-Samia. Etonnant.

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  13. bernina bernina

    “On parlait alors de deux écoles avec une grande esplanade apaisée et un dépose-minute pour les voitures”: un dépose-minute n’apaise rien. Les enfants doivent (sauf exception) pouvoir venir à pied ou à vélo, de manière sécurisée, à l’école primaire.

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