Didier Raoult accusé de faire régner une ambiance toxique au sein de l’IHU

Actualité
le 19 Nov 2021
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Depuis le début octobre, les différents laboratoires de recherche de l'IHU de Didier Raoult font l'objet de visites de contrôle des comités d'hygiène, santé et des conditions de travail. Un premier rapport décrit le climat détestable qui règne entre l'institut.

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L'entrée de l'IHU à la Timone. (Photo : BG)

L'entrée de l'IHU à la Timone. (Photo : BG)

Dans sa vidéo hebdomadaire diffusée sur les réseaux sociaux, ce mardi, Didier Raoult tempête une nouvelle fois. Le sujet de sa causerie tient en deux points : l’excellence de l’IHU (et de lui-même) vis-à-vis du reste de la recherche française et la jalousie que cette excellence suscite et qui est, pour lui, le principal facteur de “la mort des civilisations”.

Cette défense tempétueuse raconte de fait le naufrage de celui qui se présente toujours comme le plus grand chercheur français dans sa spécialité. En interne, nombre de chercheurs qui travaillent à l’IHU vivent dans la douleur d’être associés à cette dérive. C’est ce que raconte un rapport confidentiel dont Mediapart a révélé la teneur accablante et que Marsactu a également pu consulter.

Première alerte en 2020

Depuis début octobre, les représentants des personnels et des directions de l’ensemble des tutelles (Aix-Marseille université, Inserm, Institut pour la recherche et le développement et l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille) entendent sous le sceau de la confidentialité les personnels des différents laboratoires qui composent l’IHU. Les premiers à avoir été entendus sont ceux de l’unité des virus émergents (UVE), dirigée par Xavier de Lamballerie. Déjà, en septembre 2020, les personnels de cette unité mixte de recherche avaient alerté l’université en faisant remonter un compte rendu alarmant témoignant “des difficultés et de l’impact psychosocial liés à un ressenti de peu de considération, voire de respect, vis-à-vis des membres de l’unité, dans des domaines très divers”.

Falsification de données ? L’AP-HM ouvre une enquête
Mediapart titre son enquête “Les équipes de Didier Raoult dénoncent les falsifications de leur patron sur l’hydroxychloroquine”. Dans le rapport de l’enquête des CHSCT, la question de l’utilisation non réglementaire de tests PCR pour produire des données sur l’hydroxychloroquine est en effet évoquée. “Les personnels nous ont expliqué que les échantillons marseillais étaient analysés au départ après 37 cycles d’amplification, mais que les résultats n’allaient pas dans le sens de M. Raoult qui souhaitait démontrer l’effet bénéfique de l’hydroxychloroquine”, peut-on lire. C’est en effet après 37 “cycles” qu’il est possible de déterminer si un patient est positif ou non.
“Aussi trois semaines après le début de la première vague, il a évincé les médecins biologistes des plannings « afin qu’ils prennent du repos » et en contrepartie il a mis en place un logiciel développé par Roche pour automatiser la déclaration des résultats dans le logiciel de l’APHM, après seulement 35 cycles d’amplification, sans validation préalable par les médecins biologistes”, témoigne encore un chercheur. Après ces révélations, l’AP-HM annonce lancer une enquête interne “afin de confirmer le cas échéant la véracité des faits rapportés par la presse”. Un débat scientifique sur le nombre de cycles à retenir existe par ailleurs.

Après une première visite au sein du laboratoire le 13 octobre, les personnels ont pu exprimer leur désarroi durant une semaine dans des entretiens individuels, réalisés sur un site éloigné de la Timone, pour éviter d’éventuelles représailles de la part de membres de l’IHU, embringués dans un soutien sans faille à Didier Raoult et à ses principaux lieutenants.

Colocation toxique au sein de l’IHU

Le pré-rapport que nous avons pu consulter décrit par le menu l’effet dévastateur de la gouvernance Raoult sur les unités hébergées par son institut. “On ne fait plus de médecine, on travaille pour faire plaisir à Didier Raoult, pour ne pas être humilié, avoir la paix”, témoigne un des chercheurs entendus par les représentants des tutelles. Contrairement à ce que la communication du chercheur et de ses fidèles laisse penser, l’IHU n’est pas un monolithe. Au contraire. Le principe même de l’IHU est d’avoir réuni sous le même toit des unités de recherche qui partagent les mêmes sujets d’études, mais coexistent sans forcément partager la même éthique de travail. C’est particulièrement le cas de l’UVE dont le directeur, Xavier de Lamballerie, est en opposition frontale avec Didier Raoult depuis des années. Cela n’empêche pas Didier Raoult, lors de sa récente vidéo de s’arroger les publications de l’intéressé comme le résultat de l’excellence de “son” IHU.

Or, selon les témoignages recueillis par les représentants des comités d’hygiène, santé et des conditions de travail (CHSCT) “les chercheurs n’ont aucune collaboration ni échange scientifique même informel avec les autres unités de l’IHU”. Au contraire, ils se retrouvent pris en tenaille “dans un conflit de valeur associé à la recherche et à l’éthique scientifique”. Le cas le plus probant concerne l’hydroxychloroquine. En janvier 2020, l’UVE réalise la première publication sur les effets bénéfiques in vitro de cette molécule sur le Covid. Malgré les appels à la prudence des auteurs de cette publication sur la nécessité de compléter ces recherches notamment par des études sur l’animal, Didier Raoult utilise cette étude pour présenter la molécule comme “un médicament miracle”.

Pendant la crise du Covid, les chercheurs de l’UVE se sont tenus à distance des prises de position de l’IHU.

En interne, les chercheurs de l’UVE ont exprimé leur désaccord, mais ont fait le choix “de se retirer du débat scientifique pendant toute la crise”, pour éviter de se retrouver associés à une politique de l’IHU qu’ils ne partagent pas. La revue Nature doit prochainement publier un article signé par des chercheurs d’UVE “démontrant son inefficacité et expliquant les biais à l’origine des premiers résultats positifs”. Le climat délétère qui entoure l’IHU, nouveau temple des anti-vax, a incité les chercheurs à ne rien pré-publier avant la parution, de peur de représailles. Certains chercheurs rapportent même avoir retiré l’appartenance à l’IHU de leurs articles sur le virus afin qu’ils soient acceptés par un journal scientifique.

Rapt de matériel

Cette situation de coexistence hostile entre l’unité hébergée et son hébergeur a des conséquences directes sur le quotidien des personnels. Elles sont parfois fort prosaïques et mesquines. Parmi ceux qui travaillent au plus près du staff de l’IHU, certains en sortent bouleversés. Aux participants des réunions de l’IHU qui poseraient trop de questions, l’on répondrait : “Tais-toi, tu n’es pas payé pour réfléchir”. Même les chercheurs de l’unité des virus émergents, qui ne dépendent pas directement de l’IHU, ne peuvent s’extraire de l’ambiance “de culte de la personnalité”. Dans le hall de l’institut, les vidéos du directeur passent en boucle.

Aux dires des personnes entendues, une partie du matériel acheté par l’unité est “raptée” par l’IHU, au moment de la réception des colis. Du matériel acheté par l’UVE, mais aussi des échantillons et des prélèvements adressés à l’unité se retrouvent ainsi au laboratoire d’analyse biologique de l’IHU. “Cela a conduit les personnels à communiquer leurs coordonnées aux livreurs pour réceptionner personnellement leur colis à l’arrivée”, indique le document.

Ambiance anti-masque

En mars 2020, au début de la pandémie, l’IHU accueillait des centaines de patients pour des tests chaque jour. (Photo : BG)

On reconnaît les virologues, c’est ceux qui portent le masque.

Les difficultés de coexistence ont connu leur apogée au moment des deux premières vagues de pandémie. À l’IHU, le port du masque n’était obligatoire que dans les parties recevant du public et non dans les parties dédiées à la recherche, “alors qu’il était rendu obligatoire dans tous les lieux au niveau national”. Or, le hall, mais aussi l’escalier d’accès à l’IHU étaient encombrés de patients, parfois positifs et souvent dépourvus de tout masque, du fait de leur rareté à l’époque. “On reconnaît les virologues, c’est ceux qui portent le masque”, ont-ils pu entendre à leur encontre.

Le rapport stipule que cette situation perdure encore aujourd’hui du fait que l’IHU “prône la diffusion manuportée du virus et l’inutilité du port du masque”. Or, durant la période de confinement, l’IHU était littéralement pris d’assaut et les malades, sans masques et positifs, se retrouvaient en contact direct avec l’ensemble des personnels.

Pour transformer l’IHU en poste avancé du dépistage, les équipes de Didier Raoult s’arrogent des parties des locaux dédiés à UVE. Une situation dénoncée par la P-DG de l’IRD, tutelle de cette unité de recherche dans un entretien à Marsactu, accordé aux lendemains des perquisitions conjointes à l’IRD et à l’IHU.

De fait, les chercheurs de cette unité s’interrogent sur leur devenir au sein de l’IHU, alors que le conseil d’administration doit déterminer d’ici à la fin du mois du processus de remplacement de Didier Raoult. La plupart craignent de voir ses lieutenants le remplacer et poursuivre des “pratiques scientifiques et éthiques regrettables”, peut-on encore lire dans le rapport. C’est d’ailleurs la publication par L’Express d’une enquête faisant état de témoignages internes exprimant un malaise qui ont décidé les élus de la CGT au sein du CHSCT d’Aix-Marseille université à demander une nouvelle visite des tutelles.

La suite des enquêtes de 2017

“C’est la continuité d’une démarche entamée en 2017, et d’un parcours semé d’embuches surtout pour de très nombreux personnels de l’IHU qui endurent depuis de trop nombreuses années des souffrances inacceptables de la part de plusieurs membres de leur direction, explique Cédric Bottero délégué CGT qui siège au sein du CHSCT d’AMU. Les visites des CHSCT de l’Université d’Aix-Marseille, de l’AP-HM, de l’IRD et de l’Inserm ont démarré au sein de l’IHU et s’étaleront sur plusieurs semaines.”

Or, après l’UVE, les élus des CHSCT doivent entendre les agents des autres unités de recherche, notamment MEPHI (Microbes, Evolution, Phylogénie et Infection) et Vitrome (Vecteurs, Infections Tropicales et Méditerranéennes) dirigées par des proches de Didier Raoult. “Les révélations de ces visites nous font craindre pour la santé et la sécurité d’un certain nombre de collègues qui ont entamé une démarche courageuse de témoignages, reprend encore l’élu CGT. Il faut être conscient de la chape de plomb qui règne à l’IHU, pour ne pas dire de l’omerta, pour comprendre ce qui a empêché les témoignages de nombreux personnels depuis des années”. 

Les élus aux différents CHSCT, parties prenantes de ces visites espèrent donc que les visites vont pouvoir se poursuivre sans représailles pour les témoins. Cette démarche doit également permettre d’interroger les agents passés par l’IHU depuis 2017, y compris ceux qui sont partis. En 2017, alors que le même processus de contrôle des CHSCT libérait la parole, le professeur Parola avait placardé un message enjoignant les mécontents à quitter l’IHU. Didier Raoult n’avait eu de cesse de dénoncer l’action conjointe des tutelles comme une manipulation destinée à lui nuire personnellement. La tenue d’un conseil d’administration d’ici à la fin du mois s’annonce comme le tournant de l’ère Raoult à l’IHU.

Enquêtes en cascade
L’IHU en a vu d’autres mais l’effet cumulatif ressemble à un nuage orageux. alors que le processus de contrôle des CHSCT suit son cours, l’institut d’infectiologie reçoit la visite cette semaine des services de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’IGAESR, son équivalent pour l’enseignement supérieur et la recherche. Mandatés par les ministères de l’Éducation nationale et de la Santé, ils doivent passer au crible le fonctionnement de l’IHU, de fond en comble. Cette inspection multithématique concerne tout aussi bien la probité scientifique, que la gouvernance, le statut de l’IHU et la succession de Didier Raoult. En 2017, déjà, une mission du même type avait passé au crible l’institut dans la foulée de la visite du CHSCT. Les conclusions de cette mission d’inspection étaient restées confidentielles et n’avaient pas eu de suites concrètes. Celles-ci dépendent de la réponse politique à ces alertes multiples.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Quelle époque complexe et sensible. De mon temps, on se contentait de : » qui couche avec qui »?

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Quatre ans plus tard, on “redécouvre” l’ambiance toxique au sein de l’IHU, que personne n’ignorait depuis 2017, avec déjà à l’époque plusieurs articles de Marsactu. Le premier était celui-ci : https://marsactu.fr/le-professeur-didier-raoult-mis-sur-la-sellette-par-ses-tutelles/

    Et depuis quatre ans, on regarde ailleurs en attendant que ça passe tout seul. On voit maintenant le succès de cette “stratégie” courageuse.

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    • Alceste. Alceste.

      Mais où sont passés les membres de son fan club, Muselier et Vassal en tête.
      Ce qui est plus inquiétantant maintenant se sont les soupçons de manipulations de résultats.
      Souhaitons que son personnage se limite à celui de Folamour et qu’il n’aille pas au delà

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  3. Freddo69 Freddo69

    Gilles bonjour.
    L’INSERM n’est plus une tutelle de l’IHUm.

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, les visites des Chsct concernent les laboratoires de recherche abrités à l’IHU et non l´institut en lui-même. L’unité mixte UVE dont il est question ici a bien l’inserm et l’Ird parmi ses tutelles.

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    • Freddo69 Freddo69

      Au temp pour moi. J’ai lu un chouïa un diagonale.
      Merci de la précision

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  4. sansnom sansnom

    Sur le sujet du CT des PCR, il me semble que c’est un non-sujet. Il a d’ailleurs expliqué dès avril 2020 comment ils ont fait le choix du CT: ils ont réalisés des cultures pour savoir à partir de quel CT est-ce quelqu’un n’est plus positif (et non pas de simples résidus de virus mort).

    Jérôme Salomon a mandaté en septembre 2020 la SFM pour avoir un avis sur ces fameux CT. On peut voir que le seuil appliqué est 33. Entre 33 et 37, c’est un “positif faible”. Au delà, il est considéré comme négatif ou il faut refaire un prélèvement.

    Note: vous remarquerez d’ailleurs le retard à l’allumage du gouvernement.

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  5. R23 R23

    “En interne, les chercheurs [..] ont exprimé leur désaccord, mais ont fait le choix “de se retirer du débat scientifique pendant toute la crise”, pour éviter de se retrouver associés à une politique de l’IHU qu’ils ne partagent pas.”

    DONC, en pleine période de crise épidémique majeure – situation pour laquelle l’IHU a été financé – les chercheurs préfèrent battre en retraite… Alors qu’ils sont protégées par leurs statuts de fonctionnaire, leur statut de chercheur, et pour certains leurs statut de médecin.

    Tout cela ne sent pas l’odeur de la responsabilité, de l’éthique et du courage.

    La revue Nature doit prochainement publier un article signé par des chercheurs d’UVE “démontrant son inefficacité et expliquant les biais à l’origine des premiers résultats positifs”. Le climat délétère qui entoure l’IHU, nouveau temple des anti-vax, a incité les chercheurs à ne rien pré-publier avant la parution, de peur de représailles. Certains chercheurs rapportent même avoir retiré l’appartenance à l’IHU de leurs articles sur le virus afin qu’ils soient acceptés par un journal scientifique.

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    • Titi du 1-3 Titi du 1-3

      Beaucoup de chercheurs ne sont pas fonctionnaires mais contractuels.

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    • R23 R23

      Oui Titi, c’est pour cela que je parle des “statutaires”.

      Pour les contractuels (CDD) et/ou ITA (ingénieurs et techniciens), je comprends la crainte de représailles, même en période normale. En effet, l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) n’est pas un long fleuve tranquille ( voir par exemple : https://academia.hypotheses.org/32824 ).

      Pour les chercheurs statutaires, battre en retraite, en période de crise (pandémie), je ne comprends pas.

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  6. R23 R23

    Oui Titi, c’est pour cela que je parle des “statutaires”.

    Pour les contractuels (CDD) et/ou ITA (ingénieurs et techniciens), je comprends la crainte de représailles, même en période normale. En effet, l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche) n’est pas un long fleuve tranquille ( voir par exemple : https://academia.hypotheses.org/32824 ).

    Pour les chercheurs statutaires, battre en retraite, en période de crise (pandémie), je ne comprends pas.

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  7. printemps ete 2020 printemps ete 2020

    Vous en avez pas marre de critiquer Raoult et ses équipes
    Toujours un os à ronger même si c’est de la merde !
    Quelle époque ! Trier le vrai du faux à chaque fois ?
    LA JUSTICE S’EN CHARGERA !! Faut espérer !

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