Des loups en Provence, une réalité avec laquelle il faut vivre

Échappée
le 8 Oct 2022
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L'attaque d'un troupeau de chèvres fin septembre a rouvert le débat. Revenu en Provence depuis quelques années mais dont la présence était jusqu'alors restée discrète, le loup modifie les équilibres du territoire.

Un loup à proximité de Marseille. Photo Frédéric Gervais
Un loup à proximité de Marseille. Photo Frédéric Gervais

Un loup à proximité de Marseille. Photo Frédéric Gervais

Douze chèvres sur le carreau, dans une zone très urbanisée, entre Marseille et Aubagne, voilà qui a immédiatement fait réagir médias et réseaux sociaux. Par un communiqué de presse laconique, la préfecture des Bouches-du-Rhône a confirmé, le 29 septembre dernier, que l’attaque d’un troupeau de chèvres à La Penne-sur-Huveaune, cinq jours auparavant, était bien attribuée au loup par les services de l’État.

Hervé Boyac, animateur du réseau Provence-Méditerranée au sein de Ferus (Association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs), n’est pas étonné : “Gardons à l’esprit qu’il y a deux siècles encore, le loup était un animal très fréquent en France, qui entrait régulièrement dans les villages, voire les villes. C’est une espèce commensale de l’homme. Il y avait une sorte de cohabitation intelligente.” Peut-être intelligente, mais qui n’a pas duré : massivement chassés, les loups ont disparu du pays dans les années 1930.

Plusieurs décennies se sont écoulées avant qu’ils ne reviennent, naturellement, depuis l’Italie. Leur réapparition a été confirmée officiellement en 1992 dans le Mercantour, et depuis, le canidé reconquiert progressivement son territoire. À la sortie de l’hiver 2020-2021, le réseau Loup-lynx estimait sa population à environ 620 individus. On peut suivre sa progression sur une cartographie évolutive mise en ligne par l’Office français de la biodiversité (OFB). Le loup est un grand marcheur : les naturalistes expliquent que contrairement au lynx, dont les effectifs ne croissent que difficilement, en tache d’huile, lui est très mobile.

Retour en terres provençales

En Provence, il est signalé depuis quelques années. La direction départementale des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône, un service de l’État, précise que jusqu’à récemment, “on était sur un front de colonisation”. Désormais, il s’installe durablement. L’évolution a été anticipée par les pouvoirs publics. En 2019, a été mis en place un “comité loup”, une instance d’information qui accueille l’ensemble des parties prenantes, éleveurs comme défenseurs de l’environnement, chasseurs, élus ou encore représentants des parcs naturels.

Les nuisances du loup font l’objet d’un processus d’alerte extrêmement cadré. En cas d’attaque sur un troupeau, le propriétaire contacte les services de l’État : les agents de l’OFB établissent un constat, et s’il est confirmé qu’il s’agit bien d’un raid de loup, l’État valide sa demande d’indemnisation. Les particuliers, comme Sylvie Politi dont la moitié des bêtes ont été égorgées à La Penne-sur-Huveaune, autant que les professionnels. L’État, cependant, ne finance que ces derniers pour mettre en place des mesures de protection. Cela concerne les chiens par exemple, dont la formation est prise en charge pour en faire de bons gardiens, de même que les soins vétérinaires… et les croquettes, un budget conséquent, relatif à leur grande taille.

Une perte de culture paysanne

L’habitude de la cohabitation avec le loup, ce grand prédateur, aussi intelligent qu’opportuniste, capable d’étonnantes stratégies, et d’autant plus efficace qu’il chasse en meute, s’est perdue. Quelques décennies durant, il était confortable pour les éleveurs de laisser les troupeaux quasiment sans surveillance. Mais aujourd’hui, “on est un peu démunis parce qu’on a perdu le savoir-faire des anciens”, déplore Luc Falcot, chevrier de Cuges, membre de la Confédération paysanne et vice-président dans les Bouches-du-Rhône du Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée.

À cela s’ajoutent les particularités géographiques de la Provence : sur ces terres souvent caillouteuses, accidentées, bien plus que dans les alpages, il est ardu de planter des barrières de protection. Les espaces forestiers y sont aussi nombreux, en raison notamment de la déprise agricole qui s’accentue. Il est certainement plus facile à un carnivore de déjouer la surveillance quand il peut dissimuler son approche sous le couvert des arbres.

Luc Falcot est inquiet de la situation. Sur son exploitation familiale de 800 hectares, il élève 130 chèvres du Rove, habituées aux joies de la garrigue, et craint la pression de la prédation. “Moi, je ne suis pas contre le loup, l’espèce, mais sur le plan tant quantitatif que géographique, ce n’est pas compatible avec l’élevage extensif. Le paradoxe est que les consommateurs demandent des produits de qualité, du bien-être animal, mais si on laisse cette dérive, on aura de l’élevage industriel, avec des bêtes nourries en bâtiment.”

Trouver un nouvel équilibre

Une chose est sûre, le loup fait désormais partie du paysage français ; il n’en partira plus, le pays étant riche d’ongulés et d’espaces où il peut encore circuler, malgré l’urbanisation. Il l’a montré, il franchit aisément les frontières et revient sans cesse. Plusieurs données sont à prendre en compte pour parvenir à trouver un nouvel équilibre, faisant la place à cette espèce strictement protégée par la convention de Berne. Chaque année, le gouvernement français établit un quota de tirs létaux autorisés par dérogation, dans l’objectif de limiter la prédation. La question de savoir si la mesure est efficace est débattue. Pour Sophie Gérard, de l’Aspas (Association de protection des animaux sauvages), c’est au risque de déstructurer les meutes, avec un effet contre-productif : “les jeunes inexpérimentés s’attaquent ensuite aux proies les plus faciles, les animaux d’élevage”.

D’autres chemins se dessinent et donnent un peu d’espoir eux bergers. La chambre d’agriculture PACA, dans son bilan 2021 de prédation du loup, constate une baisse des attaques là où des mesures de protection ont été mises en place, alors que la population lupine augmente. Une efficacité relative mais réelle, que confirme Cristèle Gomez, qui fait pâturer ses bêtes à Carpiagne sous la garde de ses chiens. Ses 150 chèvres du Rove ont été “visitées” au mois d’août, par le couple de loups repéré en décembre 2021 dans le parc national des Calanques… Lequel, au printemps, a donné le jour à six louveteaux. “Le Patou et le jeune Abruzze en ont tenu un en respect. Ils sont revenus deux jours plus tard, sans succès. Bon, du coup, ils sont allés taper chez la voisine, qui n’a pas de chiens de protection.” Elle n’exclut pas, si nécessaire, de faire appel aux éco-volontaires de PastoraLoup, programme de soutien bénévole au gardiennage et aux tâches du quotidien, proposé par l’association nationale pour la défense et la sauvegarde des grands prédateurs, Ferus, aux éleveurs.

Ce qui vaut pour les éleveurs vaut pour les autres catégories de population concernées par le retour du loup, pour les chasseurs, par exemple qui peuvent voir dans le loup un concurrent. Pour Frédéric Gervais, photographe naturaliste, qui se passionne pour l’animal et a pu filmer les responsables de l’attaque à la Penne-sur-Huveaune, cela passe par une meilleure information, à commencer par les éléments les plus basiques. “On a été élevés avec le Petit Chaperon rouge, ça laisse des traces !” Lui, comme Sophie Gérard de l’Aspas, insistent en particulier sur un point : aucune attaque de loups sur un être humain n’est à déplorer depuis 30 ans qu’il est de retour en France. À leurs yeux, il faudrait bien mieux communiquer sur l’animal, un travail de fond auquel les pouvoirs publics sont, de l’avis général, encore réticents.

Dans le contexte contemporain, une nouvelle cohabitation, au sens où l’entend Baptiste Morizot, philosophe échappé des bibliothèques pour pister l’animal, devrait pourtant être possible. Son ouvrage Les Diplomates, paru aux éditions marseillaises Wildproject, dessine en tout cas des perspectives intéressantes. L’un des enjeux, estime-t-il, est de convaincre le loup que cette proie blanche et laineuse, qui gambade à proximité, n’est pas en self-service ; il vaut mieux aller croquer un chevreuil.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Madame Cloarec , en lisant votre article je pensais à une présentation métaphorique de la vie politique locale , plus précisément celle concernant les acteurs de la métropole et du département. Présentation métaphorique soulignée par votre dernière phrase :”L’un des enjeux, estime-t-il, est de convaincre le loup que cette proie blanche et laineuse, qui gambade à proximité,et qui n’est pas en self-service “. Remplacez “loups” par élus et “brebis” par élécteurs et le tour est joué.
    Blague dans le coin , article trés interréssant sur la découverte de la co-habitation avec des animaux “sauvages” en 2022.
    Petit b mol , sur les savoir des anciens , les anciens ont éradiqué le loup car prédateur. Donc si vous voulez faire cohabiter les loups avec nous , il vaut mieux oublier le savoir faire des anciens , du moins sur cet aspect des choses.

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    • Jb de Cérou Jb de Cérou

      Selon certains témoins, une certaine Martine V… aurait été vue en bus vers la Penne sur Huveaune à la nuit tombante et revenir le lendemain, redescendue des collines et chargée de barbaque pour son barbecue. On espère que le successeur de M. Arella fera la lumière quand nos enquêteurs auront décroisés leur bras….

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  2. Patafanari Patafanari

    Des loups et des vélos partout, en liberté, protégés. Je ne sors plus sans mon bâton ferré.

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  3. Bernard Honorat Bernard Honorat

    Et lorsque les loups s’attaqueront aux humains l’état continuera t il à les protéger ? Si les loups ont été éradiqués en France c’est bien parce qu’ils représentaient un danger

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    • RML RML

      C’est quand même n importe quoi comme remarque. Le loup ne s attaque aux humains que quand il est en grave penurie de nourriture. Ce n est pas et n a jamais été notre prédateur…faut arrêter les contes de sorcières…

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    • vékiya vékiya

      à priori ils me semblent moins dangereux que certain

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    • CAT13 CAT13

      Depuis la réintroduction des loups il y a 30 ans aucun homme n’a été attaqué, votre inconscient sur l’histoire du Petit Chaperon rouge vous trahit sans doute…

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      Bernard si ta grand mère a d’un coup de grandes dents, fuit avec ton petit pot de beurre sous le bras

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  4. TINO TINO

    Aucune attaque de loup contre l’homme constatée. Mais par contre les attaques ou intimidation de randonneurs par des chiens de garde de troupeaux en alpage, se comptent par dizaines. J’en ai souvent fait l’amère expérience. Aujourd’hui, les bergers n’accompagnent plus leurs troupeaux en journée . Ils délèguent ce travail aux chiens de garde livres a leur instinct animal et souvent agressifs à l’encontre du loup ou du randonneur indistinctement. J’aimerais pouvoir me balader dans la nature sans craintes.

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    • Alceste. Alceste.

      Oui,oui supprimons les bergers, les chiens de bergers et les brebis, moutons, boucs et autres chèvres et vaches qui pertubent les randonneurs.Puis franchement ces mecs qui font le foin, avec leurs tracteurs ils font du bruit, ça pertube le marcheur;Libérons les alpages des bas-Alpins et des hauts -Alpins, Franchement ces bouseux nous empêchent de randonner et de faire du VTT tranquilles.

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    • liovelut liovelut

      La “nature” est un terrain de jeux pour certains, un lieu de travail pour d’autres… en rando ou vélo il faut effectivement faire gaffe, ne JAMAIS s’approcher d’un troupeau (chien ou pas, si y’a des agneaux et que les brebis ont décidé de vous piétiner vous n’en sortirez pas). Mais c’est parfaitement normal de faire attention où on va.

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  5. Alceste. Alceste.

    Ah ! cela dans les fait du bien de délirer. Tino , faut quand même pas exagérer , dans les alpages ce ne sont pas les bergers les intrus, c’est nous les randonneurs.

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    • TINO TINO

      Dans les espaces naturels les intrus sont ceux qui ne respectent pas les lieux. Pour se protéger des loups, il ne faut que les moyens utilisés soient plus dangereux que ce dont on veut se protéger. Il y a plus de randonneurs mordus par un chien que mordus par un loup.

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  6. Christian Christian

    Dans d’autres pays, il y a des loups et des éleveurs. Il faudrait voir comment ces pays gèrent la coexistence.

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    • Alceste. Alceste.

      Si on prends le cas de la Slovénie ( ours et loups en volume important) , le terme coexistence est géré de la façon suivante : l’état Slovène subventionne des kilomètres de filets électrifiés d’une hauteur d’ à peu près 2 mètres pour protéger les zones d’élevages. Des fonctionnaires visitent régulièrement ces installations pour vérifier la qualité du montage et des branchements.
      C’ est pourquoi dans ce cas de solution le terme de coexistence est erroné.
      Mais bien sûr ce n’est qu’un exemple de solution appliqué et n’a que cette valeur.

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  7. Alceste. Alceste.

    En Italie, enclos électrifié + chiens de berger et insémination de la Région en cas d’attaque et mort de la bête élevée ( +/-) 200 euros.

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    • PierreLP PierreLP

      Je serais très intéressé que tu développes le processus d’insémination de la Région

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  8. Dominique PH Dominique PH

    D’abord, un merci à Gaëlle Cloarec pour, dans cet article, la bienvenue diversité des approches et la judicieuse diversité des perspectives.
    Ensuite, remercier aussi Christian (le commentaire ci-dessus) qui pose la bonne question que l’on peut reformuler voire développer ainsi :
    alors qu’il y a bien davantage de loups en Italie qu’en France, pourquoi moutons italiens, brebis italiennes et chèvres italiennes sont épargné(e)s par ces loups pourtant plus nombreux ?
    Hypothèse :
    puisque tous les chevronné(e)s spécialistes du loup reconnaissent qu’il (le loup) n’attaque pas l’être humain et que ce que l’on tient dans la main suffit à le faire fuir bien loin (surtout s’il s’agit d’une lampe -torche ou d’un baton), on peut raisonnablement penser que la densité humaine plus élevée en Italie (y compris dans les espaces ruraux, y compris dans ceux de moyenne altitude, de moyenne montagne) contribue à tenir à distance loups et louves, même en meute.
    D’où cette suggestion :
    il suffirait que 10 % des adultes résidant sur le sol français acceptent d’effectuer une fois par trimestre un service civil écologiste de 36 heures auprès des bergers …
    Ainsi, de jour comme de nuit, il y aurait systématiquement au moins 2 ou 3 personnes auprès des troupeaux, même quand le berger a du partir amener une bête malade chez le/la vétérinaire de la vallée ou bien que ce berger a du aller effectuer des formalités administratives à la préfecture du département.
    Précision : depuis 1992, les troupeaux qui ont été attaqués l’ont été justement quand le berger n’avait personne pour le remplacer et qu’il devait pourtant impérativement s’absenter plusieurs heures consécutives.

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    • Patafanari Patafanari

      Le Président Macron veut envoyer les migrants dans les campagnes… C’était donc pour tenir compagnie aux loups et éviter qu’ils fassent des bêtises.

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  9. Alceste. Alceste.

    Les loups attaquent aussi en Italie, la région des Abruzzes déclare aux alentours de 300 bêtes par an ,mais les éleveurs considèrent que le loup est aussi chez lui,d’autant plus que nos amis Italiens sont indemnisés au tarif évoqué.
    La coexistence dans ce cas a un prix.Mais bon pourquoi pas?.
    Concernant l’insémination par la Région cher Patafanari,lapsus evident de mon clavier en lieu et place d’indemnisation , ce qui est rigolo c’est l’association de l,’ecriture automatique entre cette pratique et l’institution régionale. A approfondir, si j’ose dire.

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  10. Haçaira Haçaira

    Un bon chien protecteur de troupeaux ? Le komondor

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    • Andre Andre

      Les défenseurs de la nature sauvage s’intéresse au loup mais personne ne s’émeut jamais de le souffrance des brebis égorgées. On ne parle que d’indemnisation. Cela m’a toujours interpellé. Émotion sélective de fond de commerce?
      Bref, une solution serait que l’Europe subventionne le salaire de bergers. Cela aurait un impact sur le chômage et donc sur le soit disant déficit des caisses de retraite et donnerait du coup à l’UE un peu d’utilité.

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  11. Alceste. Alceste.

    Mi ! Voilà une excellente idée pour un natif de l’île de Beauté comme moi, le chômage en Corse va chuter de façon spectaculaire. 🤣🤣🤣🤣🤣

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  12. kukulkan kukulkan

    vive le loup !

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  13. liovelut liovelut

    Détail qu’on oublie toujours de mentionner dans ces articles: une des raisons pour lesquelles on a du mal à vivre de l’élevage ovin en France, c’est qu’on importe massivement de l’agneau de Nouvelle-Zélande… vu que grâce à notre grand copain le pétrole, de l’agneau qui a grandi aux antipodes se retrouve moins cher que celui du voisin !
    On a juste un peu de mal à imposer des conditions commerciales réglo à ce pays, tout ça grâce aux exploits des services secrets français y’a 40 ans de cela…

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