CMA CGM : "Takes Two To Tango"

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le 18 Oct 2011
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Les banquiers de la CMA CGM, qui en ont déjà vu pas mal, ont néanmoins failli en avaler la fumée de leur cohiba de travers. Ils ne lisent pas le chinois, mais ils ont vite compris que Jacques Saadé, seul-maître-après-Dieu du troisième armateur mondial était en train de les prendre pour des nems.

C’est un papier tiré du grand quotidien chinois le Ta Kung Pao et repris immédiatement par plusieurs agences de presse, dont Reuters, qui a mis le feu aux poudres au début du mois d’octobre. L’article révéle, en citant « des sources industrielles » que l’armateur du quai d’Arenc serait en train de faire du shopping auprès de quelques chantiers navals chinois afin de leur commander une vingtaine de porte-containers pour la bagatelle de 2 milliards de dollars. Une information qui a très vite fait le tour des places financières, et aussitôt forwardée sur les blackberry des principaux banquiers de la CMA.

Des banquiers qui ont permis, on le rappelle, à Jacques Saadé de se tirer d’affaire et de reprendre les commandes de son groupe, après la fameuse annus horribilis de 2009, qui avait vu la Cma au bord du naufrage avec une perte de plus de 1 milliard d’euros. Saadé avait été un temps écarté du management de l’entreprise, et on le voyait plus proche de la maison de retraite que de la Une de Forbes.

Il avait alors opéré un incroyable et spectaculaire rétablissement, tandis que la CMA renouait avec les profits, plus de 1 milliard d’euros en 2010. Jacques Saadé l’immortel avions nous titré à l’époque. Depuis Saadé a ouvert 20 % de son capital aux turcs de Yldirim et récolté 900 millions de dollars d’un placement obligataire très largement déconseillé aux cardiaques et aux clients de l’écureuil.

Interdit de banquer

Mais si l’armateur a réussi à revenir à des cash flow positifs, grâce à la reprise des échanges mondiaux, notamment en Asie, il reste très fortement endetté, avec plus de 5 milliards de dollars, et n’est pas vraiment dans le tableau d’honneur des agences de notation. Du coup les banquiers l’ont mis sous haute surveillance et lui ont surtout interdit de commander de nouveaux navires, ce qui avait déjà faillit leur coûter très, très cher en 2009.

Les équipes d’Anne Méaux, la grande prêtresse de la com qui s’occupe de la CMA et de Saadé, se sont donc immédiatement mis au travail pour démentir l’article de Ta Kung Pao, dés sa parution : « A la suite des informations parues ce jour, le Groupe CMA CGM précise qu’il n’a aujourd’hui aucun projet d’acquisition ou d’affrètement à long terme de navires » et fait circuler l’info dans les rédactions du monde entier.

En réalité un vrai/faux démenti qui n’a pas trompé grand monde car il était indiqué quelques lignes plus bas que « pour le long terme, au-delà de 2013, et afin d’assurer une amélioration constante de l’efficacité de sa flotte, le Groupe étudie avec plusieurs chantiers et partenaires financiers des projets d’affrètement de navires. » Ajoutant : « Ces discussions qui n’engagent en rien le Groupe CMA CGM vont se poursuivre pendant plusieurs mois et n’ont pas pour objectif d’aboutir prochainement. »

Tout le le monde sait de toute façon que Saadé n’en fera, comme toujours, qu’à sa tête et qu’il échangerait sa tour Zaha Hadid marseillaise contre un algeco à Mourepiane pour pouvoir remonter, comme ses concurrents, dans le top « 20″ d’Alphaliner, une agence d’information spécialisée qui classe les armateurs mondiaux en fonction de leur flotte actuelle ( existing fleet) et de celle à venir (overbook). C’est évidemment ce chiffre bleu ciel qui agace au plus haut point Saadé, qui, contrairement à ses concurrents n’a pas vraiment les mains libres pour acheter de nouveaux porte-containers :

Et on peut dire que cette fuite tombe vraiment très mal pour Saadé, car après l’année exceptionnelle de 2010, les choses semblent s’annoncer beaucoup plus compliquées pour la fin de 2011. Les résultats du premier semestre publiés en septembre par le groupe n’étaient pas terrible du tout, avec notamment une forte chute du résultat d’exploitation et du résultat net, dans un marché sans visibilité et hyper concurrentiel, où la guerre des prix ( taux de fret) fait rage;

Source Cma Cgm

Selon le Figaro de début septembre, donc avant la vraie/fausse commande chinoise, les banquiers craignaient déjà que Saadé ne puisse pas respecter ses covenants (accords financiers sur le remboursement) à la fin de l’année, et Jean-Marie Messier, qui connait bien le dossier, serait de nouveau à la manoeuvre pour tenter de déminer tout ça. A côté d’un plan drastique d’économie, la CMA est en train de s’alléger de quelques actifs « non stratégiques » comme par exemple son terminal du port de Malte repris par son actionnaire turque Yldirim pour 200 millions d’euros. La compagnie du Ponant, la filière de croisière de luxe serait également sur le marché, mais pourrait être directement rachetée par la famille Saadé. Mais ces quelques centaines de millions d’euros risquent de ne pas être suffisant pour éviter que l’armateur du quai d’Arenc ne finisse l’année dans le rouge.

Les soldes en Chine

Jacques Saadé de son côté est persuadé que la croissance va revenir très vite et que si il ne se réarme pas aujourd’hui, d’autant plus à la période des soldes, il risque de rapidement perdre son rang de troisième mondial. Les chantiers navals chinois qui ont besoin de travailler, et les banques chinoises qui ont des tonnes de cash pour financer ces achats et faire tourner leur industrie font donc les yeux de Gong Li à Saadé pour qu’il sorte le carnet de chèque. Et de toute façon, si jamais l’armateur français n’arrivait pas à payer à la fin ses porte-containers, les banquiers chinois pourraient les replacer sans problème auprès de leurs armateurs nationaux, qui rêvent eux aussi des toutes premières places mondiales, aujourd’hui trustées par les européens.

Dans cette partie de poker menteur à plusieurs milliards de dollars les banquiers européens et américains, et notamment les banques françaises , commencent à ne plus rire du tout. Ils redoute
nt qu’au cas où la CMA ne puisse pas respecter ses covenants, une des banques en profite pour demander immédiatement le remboursement de ses prêts, ce qu’elle serait alors en droit de faire. Les banques coréennes par exemple, dont les chantiers navals ont beaucoup travaillé pour la CMA, mais dont les dernières renégociations au moment de la crise de 2009, se sont très, très mal passées pourraient par exemple vouloir passer à la caisse.I want my money back.

Comme il n’est évidemment pas question de mettre à la barre du tribunal de commerce le principal employeur marseillais, il faudrait sans doute que les banques et l’Etat français, via le Fonds Stratégique d’Investissement, qui a longtemps regardé le dossier, montent à bord du navire. Mais pas certain cette fois qu’ils laissent le commodor à la barre.

Jacques Saadé qui, en, grand collectionneur d’art contemporain, est très fier de la dernière acquisition faite par sa fondation, et installée à côté de sa tour Zaha Hadid. Il s’agit d’une sculpture de l’artiste écossais David Mach qui représente 2 sumos qui portent à bout de bras un container. Une oeuvre intitulée « Takes two to tango« . Il faut être deux pour le tango. Une expression américaine, tirée d’une vieille chanson , qui a été souvent utilisée dans ses discours par l’ancien président Ronald Reagan pour décrire les ambigus rapports entre gouvernements russes et américains. Des rapports faits d’interdépendance, d’attraction et de rejet mutuels.

Il faut être deux pour s’aimer, mais aussi deux pour se faire la guerre. Un peu comme Saadé avec ses banquiers, qu’il vient une nouvelle fois d’entrainer sur le dance floor, et on peut vous assurer que comme c’est parti ça va encore tanguer sec. Vous pouvez garder le sac de votre copine.

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Commentaires

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  1. céhère céhère

    Quand Pierre Boucaud parle de la CMA-CGM, c’est du grand art !

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  2. Casanovette Casanovette

    Un mot, une phrase n’a de sens que dans un contexte. Et avec quel brio, vous avez su le dépeindre Ici. Tout y est dit.

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  3. eric scotto eric scotto

    Belle romance qui redonne au Port un parfum nostalgique de pirates et de corsaires où des banquiers lombards dans des cabinets sombres jalousent les condottiere et autres commodores…la conclusion : les Conquérants de Hérédia, comme un vol de gerfauts hors du chantier naval etc…

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  4. Athemis Athemis

    Moi, je travaille à La CMA-CGM est j’en suis fier !

    Arrêtez de nous tirer dessus …..

    Monsieur SAADE doit prévoir le futur.
    Dans ce métier si on n’avance pas alors on recule par apport à la concurrence, effectivement, il doit faire des opérations afin de faire grandir notre société, on n’arrive pas à ce niveau en restant les bras croisés.

    On croit en vous, monsieur SAADE et nous sommes en arrière plan pour assurer le travail et la progression de notre société pour le plus grand respect et satisfaction de nos clients.

    MERCI

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  5. Doux Doux

    “en fonction de leur flotte actuelle ( existing fleet) et de celle à venir (overbook)”

    Overbook ou orderbook overbooké ???

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  6. pmo pmo

    j’ai du mal à imaginer la puissante et richissime famille SAADE( merci CHIRAC)sratégiquement repliée dans un algeco (modèle XXL ) du côté de Mourepiane….Par contre l’un des frères,à la mémoire toujours aussi vive, doit boire du petit lait….

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  7. bouzig bouzig

    La réalité économique finira tôt ou tard de rattraper ces opportunistes !

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