Binkadi, le premier collectif de mineurs isolés marseillais, veut faire valoir ses droits
Pour la première fois à Marseille, des jeunes migrants isolés s'auto-organisent pour être reconnus comme mineurs par le département. Au sein du collectif Binkadi, ils se soutiennent et militent, face à la violence des institutions.
Les jeunes migrants attendent d'être reconnus comme mineurs. (Photo : CM)
“Personne ne veut de nous ici.” La phrase revient sans cesse dans la bouche d’Ismaël* et de ses sept camarades. Les yeux cernés et les joues creusées des jeunes migrants racontent autant la violence de leur parcours jusqu’en France, leur traversée de la Méditerranée en canots, au péril de leur vie, que la désillusion qu’ils connaissent, en arrivant à Marseille. D’abord la vie dans la rue, pendant plusieurs semaines. Puis, le mur institutionnel, qu’ils se prennent en pleine face. “Le département nous dit qu’on n’est pas mineurs, donc on a le droit à rien, commence Ismaël, les yeux remplis de rage. On se rend compte que pour faire valoir nos droits, il faut encore qu’on se batte. C’est pour cela que cet été, on a décidé de créer le collectif Binkadi.”
Binkadi — “la paix est bonne” en bambara, langue parlée en Afrique de l’Ouest — est le premier groupe géré uniquement par des migrants, sans soutien de militants français, à Marseille. On y trouve une cinquantaine de jeunes, entre 13 et 17 ans, venus de différents pays d’Afrique. Tous se sont connus lors de l’occupation de l’Église Saint-Ferréol, au mois de juillet 2024, alors qu’ils n’avaient d’autre endroit où dormir.
Pour dormir et manger, “on se débrouille comme on peut”
Depuis l’été, les jeunes ont été répartis par la préfecture entre des centres d’hébergement et des hôtels de la ville et de Vitrolles. “Mais ce sont des solutions temporaires, on doit sans cesse rappeler pour savoir si on est renouvelés ou si on doit aller dans la rue”, raconte Ismaël. Ce lundi 14 octobre, quinze d’entre eux devront quitter leur lit, pour laisser leur place à des familles expulsées de squats. “On ne sait pas qui ça concernera, c’est très stressant de ne jamais être sûr d’avoir un toit sur la tête”, souffle le jeune homme en regardant ses pieds.
La journée, les jeunes se rendent dans le centre-ville de Marseille pour chercher à manger. “On n’a pas d’argent, donc on se débrouille comme on peut”, lâche Ibrahim* dans un soupir. Les jeunes racontent se faire régulièrement approcher par des trafiquants de drogue, qui tentent de les embaucher dans leur business. “C’est sûr que c’est tentant, raconte Ismaël, et certains tombent dedans. Moi, je réfléchis, je me dis qu’avec tout ce que j’ai traversé, je ne peux pas me mettre encore plus dans la merde.” Alors, pour se nourrir, il se rend avec ses camarades dans des associations d’aide aux exilés, comme le Gr1, situé boulevard Barthélémy (9e). “On peut cuisiner, faire des activités, et c’est aussi là que notre collectif se retrouve”, développe le jeune homme.
“ce sont eux qui décident de leurs actions”
Les bénévoles les laissent s’organiser entre eux. “Nous, on est là pour les aider à écrire aux institutions ou à déclarer une manifestation à la préfecture, explique une bénévole du Collectif 113, qui héberge et accompagne des jeunes exilés sans papiers. Mais ce sont eux seuls qui décident de leurs actions.” Le 2 octobre, les jeunes du collectif Binkadi se sont réunis devant la direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN), pour demander à être scolarisés. Le garçon au t-shirt rouge avait préparé une liste sur laquelle figuraient les noms de 37 jeunes, nés entre 2007 et 2009. “On nous a répondu que ceux qui avaient moins de 16 ans allaient pouvoir aller à l’école, mais on ne sait toujours pas quand, raconte-t-il, sans trop y croire. Pour les autres, ils nous ont dit que s’il y a de la place, ils nous inscriront.” Le jeune homme fixe l’horizon quelques instants, puis reprend, le ton assuré. “Mais c’est la première fois qu’un collectif autogéré était reçu par la DSDEN, donc on va continuer de lutter et voir comment on peut organiser la suite.“
Fin septembre, deux membres du collectif s’étaient rendus à Paris pour rencontrer le collectif des Jeunes du parc de Belleville, premier groupe de jeunes migrants à s’être constitué en France. “L’objectif était d’apprendre à lutter, car nous sommes encore novices”, témoigne Ismaël. Une délégation venue de Clermont-Ferrand était aussi présente. “Ce sont les trois seules villes où il y a de tels collectifs, explique la bénévole du collectif 113. C’est quelque chose d’inédit et de super, ce sont les mieux placés pour faire valoir leurs droits. Surtout aujourd’hui, car la situation est de plus en plus difficile à Marseille.”
“Ici, c’est la merde”
En France, les départements doivent prendre en charge les jeunes étrangers de moins de 18 ans qui arrivent seuls sur le territoire. Ces mineurs non accompagnés (MNA) bénéficient alors d’un hébergement, d’une couverture santé et d’un accès à l’éducation. Pour cela, ils doivent au préalable être évalués par des travailleurs sociaux, qui déterminent s’ils sont réellement mineurs.“À Marseille, l’évaluation est de plus en plus dure”, déplore une membre du Collectif 113. Une situation déjà documentée par Marsactu en janvier 2024, qui ne semble pas s’améliorer. “En 2022, on était à 50 % de refus de minorité, en 2023 à 65 %, et cette année, on doit être à plus de 90 %, estime-t-elle. Les jeunes se retrouvent sans rien, car ils ne sont protégés par aucune institution. Aujourd’hui, à Marseille, on a des enfants de 13 ans dans la rue.”
Contacté par Marsactu, le département ne souhaite pas commenter ces informations et nous renvoie vers l’Addap 13. David Le Monnier, directeur général adjoint de cette association chargée de l’accueil des jeunes migrants, indique de son côté qu’“aucune statistique n’est encore établie pour 2024” et que “les critères d’évaluation sont strictement ceux du cadre légal et du guide des bonnes pratiques”. Une observation très éloignée de ce que ressentent les jeunes concernés et les associations.
Sur la terrasse de l’hôtel d’Ismaël et de ses camarades, la discussion s’échauffe. “On ne sait même pas sur quoi l’évaluation est basée, détaille le jeune homme. Moi, on m’a dit que je ne regardais pas les gens dans les yeux quand je parlais et que ça voulait dire que je mentais.” Ibrahim lui répond : “Alors que moi, on m’a dit que j’avais pu supporter le regard de l’interlocuteur, donc ça veut dire que je ne suis pas mineur, car je n’ai pas peur.” Les jeunes sont unanimes face aux administrations et institutions françaises. “On ne comprend pas, ils nous refusent tout, mais on ne sait pas pourquoi. Ce qu’on comprend, c’est qu’ils veulent nous dire « On veut pas de vous chez nous ».” “Ici, c’est la merde”, glisse l’un d’entre eux qui n’avait pas pris la parole depuis le début. Casque de musique sur la tête, comme pour l’isoler du monde autour de lui, il regarde ses mains sèches et fripées, les yeux humides. “Si j’avais la possibilité, je retournerais chez moi. Au moins, là-bas, j’existais.”
*Les prénoms ont été modifiés.
Commentaires
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Ayant pu passer les soutenir devant la DSDEN, j’ai été frappé par leur détermination. Quand on doit fréquemment remotiver son propre enfant à aller au collège, voir ces grands jeunes hommes réclamer de pouvoir aller à l’école (seul et unique mot d’ordre ce jour-là) est quand même assez frappant !
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leur volonté et leur motivation est impressionnante.
les critères d’évaluation, déjà remis en cause souvent, sont curieux. les refus qui augmentent de cette façon inquiétante sont étonnants et douteux.
( traversée en canoe, pas en canaux, non ?)
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J’allais proposer, ligne 4, ‘traversée en CANOTS’ et sûrement pas en ‘canaux’ ce qui n’a aucun sens – sans doute une farce de l’IA qui écrit en ‘reconnaissance vocale’ comme un bon vieux dictaphone …
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Effectivement, le terme exact est “canots”, pardon pour notre manque de vigilance. Nous corrigeons le papier, merci de votre remarque.
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Une enquête sur les critères d’évaluation de la minorité serait peut être utile.
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Il existe un rapport de HRW qui figure en lien dans l’article du 30 janvier 2024 de Marsactu. Il procure un éclairage, bien qu’orienté, qui semble assez complet sur la procédure de prise en charge.
Sans surprise, la situation dans laquelle se trouvent ces personnes est dramatique : après un périple depuis leur territoire d’origine vers la France que l’on sait épouvantable, leur prise en charge sur le sol français comporte de nombreuses carences. Sur plusieurs aspects, la France par le biais de l’Etat, de la Sécurité Sociale ou des départements, semble ne pas respecter les règles qu’elle s’est fixée ou les traités internationaux auxquels elle a décidé d’adhérer, faute de moyens, faute de volonté ou faute d’engorgement.
On rappellera toutefois que la France n’est pas la seule à ne pas respecter les règles : les migrants sans papiers, quel que soit leur âge réel ou évalué, sont présents sur le sol français en violation du Ceseda.
Il est dès lors pour le moins troublant de voir des personnes exiger de l’Etat qu’il applique des règles alors qu’elles-mêmes n’ont pas respecté d’autres règles au préalable. Imaginons un français entrer ou prolonger son séjour illégalement au Mexique ou en Thaïlande pour ensuite demander l’application de droits qui n’existent que là-bas. Ca serait juridiquement juste mais moralement douteux.
Si la France contrôlait effectivement ses frontières d’une part, et offrait aux personnes désireuses de s’y rendre les moyens appropriés de voir leur demande de visa ou d’asile examinée depuis les territoires de départ d’autre part, on ne serait pas dans cette situation dont les premières victimes, et de très loin, sont les migrants eux-mêmes.
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N’oublions jamais : que c’est en gros au 16e siècle ( henri IV il me semble) que la France a commencé à développer une politique coloniale qui visait le maghreb, l’indochine et l’afrique « noire ». avec l’idée de mission civilisatrice, et de conversion au catholicisme.
Il y a eu plusieurs vagues au fil des siècles, et il nous reste aujourd’hui, les territoires qu’on appelle « drom-com »
C’est donc bien, nous français, qui sommes allés en premier sur leurs territoires avec des objectifs devenus plus discutables aujourd’hui.
Il me semble que pour le Mexique et la thaïlande ce soit un peu différent.
Il faut aujourd’hui évidemment mettre de l’ordre dans l’ensemble des procédures d’accueil, l’état s’étant contenté de faire une bonne vingtaine de lois ces dernières années qui s’annulent, se complètent et/ou se contredisent les unes avec les autres. Sans parler des politiques migratoires européennes qui restent obscures.
Les principales victimes de ces flous juridiques (volontaires ?) resteront effectivement les migrants, mineurs ou adultes qui en subissent -involontairement- les conséquences.
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Je ne sais pas qui a oublié la colonisation…
En outre, sauf à ce que les descendants des habitants des territoires colonisés en Afrique entre 1646 (premier comptoir au Sénégal) et 1956 (loi-cadre visant à l’automie) souhaitent envahir la France d’aujourd’hui, je ne vois pas bien ce qu’elle vient faire dans le débat sur la prise en charge des mineurs non accompagnés.
L’article nous parle de personnes originaires du Mali. Or, si les migrants d’Afrique, en particulier les mineurs, viennent en Europe, c’est avant tout pour des raisons géographiques et dans une moindre mesure en raison de la langue. Les chiffres du nombre de personnes originaires des territoires de l’ex empire colonial français et s’installant en Espagne, Italie ou Allemagne alors qu’elles sont allophones, parlent d’eux mêmes. De la même manière, les migrants latino-américains viennent rarement jusqu’en Espagne et préfèrent viser les Etats-Unis. S’il n’était pas impossible de traverser l’Atlantique en radeau et si les mêmes Etats-Unis surveillaient moins bien leurs frontières, soyez assurés que les maliens préféreraient s’y installer plutôt qu’en France.
Cela étant dit, les procédures d’immigration en France sont parfaitement claires (à défaut d’être simples). Pour immigrer en France, il existe 5 voies principales :
– les études
– le regroupement familial
– la voie économique, lorsqu’un employeur, particulier ou entreprise, sollicite une autorisation de travail pour un étranger
– la santé
– l’asile
A noter que les Algériens bénéficient d’un accord spécifique.
Les migrants mineurs dont il est question dans l’article ne relèvent d’aucune de ces 5 catégories. Ou bien alors ils ont été déboutés de leur demande de visa ou d’asile. S’apitoyer sur le sort et leur histoire, lesquels ne sont évidemment souhaitables à personne, de même que leur venir en aide, ce qui est absolument nécessaire, ne sont en aucun cas incompatibles avec l’affirmation comme quoi ils n’ont strictement rien à faire sur le sol national et doivent impérativement être reconduits dans leur pays après que la France les a aidés à panser leur plaies. Et cela vaut pour toute personne sans titre de séjour.
Ajouter une quelconque dose de culpabilisation quant à l’histoire coloniale de la France en Afrique ne doit rien changer à ces constats. Personne n’est aujourd’hui responsable des décisions prises il y a plusieurs siècles et qui ont eu des conséquences évidemment tragiques sur la vie de millions d’êtres humains. Dans la même veine, si quelqu’un se sent fondé à demander aujourd’hui réparation pour les tortures subies par ses ancêtres 200 ans en arrière, ce que je trouve personnellement abscons, c’est bien un descendant d’esclave vivant outre-Atlantique et non un paysan malien dont l’aïeul a peut-être vendu un de ses compatriotes aux organisateurs européen du commerce triangulaire. Au passage, n’oublions pas que la traite des noirs par les arabo-musulmans a duré 13 siècles et a concerné 17 millions de personnes contre 13 millions pour la traite européenne. Certes, se comparer au pire n’est jamais une bonne solution pour atténuer ses responsabilités. Mais en continuant à se flageller, l’Europe n’empêchera pas les migrants d’essayer de traverser la Méditerranée. Une autre solution est nécessaire.
Cette solution, c’est peut-être la Suisse qui l’a trouvée ; en imposant notamment des garanties économiques à toute personne qui souhaite s’y installer. Sauf pour les demandeurs d’asile évidemment.
La garantie est même exigée pour les ressortissants de l’espace Schengen lorsqu’il ne disposent pas d’un emploi en Suisse, emploi qui leur est par ailleurs ouvert sans restriction.
Cette précaution de bon sens, doublée d’un contrôle efficace et d’une expulsion effective des personnes sans doit au séjour protège dans une certaine mesure la confédération des effets néfastes d’une immigration incontrôlée.
Car oui l’immigration est indispensable à la France pour survie de son modèle social (notamment le paiement des retraites en l’absence d’un système par capitalisation) et oui plus d’immigration va dans sens de l’histoire. Mais oui un contrôle insuffisant de l’immigration et une immigration subie amènent aux tristes situations que l’on constate aujourd’hui.
On entend déjà certains restaurateurs et autres professionnels du bâtiment, bien qu’ils se défaussent d’être des acteurs complices de cette chaîne de malheurs, se plaindre que les français (en réalité, les européens et les détenteurs d’un titre de séjour les autorisant à travailler) ne veulent plus faire certains métiers difficiles. Mais pourquoi? Simplement parce que les salaires ne sont pas attractifs. Et si les salaires restent faibles, c’est aussi parce qu’il existe un réservoir infini de main d’oeuvre clandestine et miséreuse prête à accepter des conditions de travail indignes de la France.
Si une caissière gagne 4500 CHF par mois en Suisse, c’est certes parce que le coût de la vie y est plus élevé qu’en France, et aussi parce que personne n’est prêt à faire du dumping comme dans un mauvais scénario d’enchères inversées. Au passage, les charges y sont également bien plus faibles.
La France a vraiment le don pour créer des situations vicieuses dont elle ne sait plus comment s’extirper, notamment en votant des lois qu’elle est ensuite incapable d’appliquer. Quand on y ajoute la complexité des règles européennes et les failles du pourtant révolutionnaire accord de Schengen, on ne peut plus s’étonner du sort de ces malheureuses personnes.
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