Migrants mineurs à Marseille : Human rights watch dénonce un suivi “fondé sur la suspicion”

Interview
le 30 Jan 2024
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L'organisation internationale publie ce mardi un rapport très critique sur la prise en charge à Marseille de ceux qu'on désigne comme "mineurs non accompagnés". Human rights watch décrit un fonctionnement fondé sur le doute plutôt que sur l'accueil. Avec des effets délétères sur l'accès aux soins, à l'éducation ou tout simplement à un hébergement digne.

Des mineurs non accompagnés font la queue à l
Des mineurs non accompagnés font la queue à l'entrée du centre de l'Addap 13. Photo : CMB

Des mineurs non accompagnés font la queue à l'entrée du centre de l'Addap 13. Photo : CMB

Ce n’est pas la France que j’avais imaginée“. Le titre du rapport de Human rights watch est sans équivoque. Il dit l’écart entre la réalité de la prise en charge de ces jeunes exilés qui débarquent à Marseille et ce que prévoient la loi et les textes internationaux dont la France est signataire. L’organisation non gouvernementale spécialisée dans les questions des droits humains a enquêté de longues semaines sur le dispositif spécifique mis en œuvre par les autorités publiques – et principalement le conseil départemental, dont c’est la responsabilité – et ses manquements. Elle a entendu de nombreux jeunes, des militants, des professionnels de la santé et des services sociaux, avant de rédiger un rapport de 85 pages très circonstancié. Il débouche sur très nombreuses recommandations pour améliorer la prise en charge de ces jeunes, notamment en matière d’accès à l’hébergement, à la santé et à l’éducation.

Déjà traumatisés par des voyages très éprouvants à travers le désert libyen et la Méditerranée, arrivés à Marseille, ils n’ont même pas quelques jours de répit avant d’être de nouveau à la rue. L’ONG met l’accent sur les effets de ce traitement sur leur état de santé. C’est le cas de A., jeune adolescente victime d’un viol durant son périple, considérée comme majeure par le département alors qu’elle détenait des papiers d’identité la spécifiant mineure. Tandis qu’elle se trouvait à quelques semaines de la limite légale pour pouvoir avorter, elle est confrontée à un climat de suspicion, transformant cette épreuve “en un moment extrêmement violent“.

C’est encore l’histoire de T, une autre adolescente originaire d’Afrique de l’Ouest, qui a vu sa prise en charge traîner de longues semaines, avant de voir sa minorité rejetée. Une fois accompagnée par des bénévoles auprès des services de santé, elle a découvert sa séropositivité. Ou encore de R. qui a failli perdre l’usage de ses jambes à cause de la tuberculose. Il avait été renvoyé à la rue sans traitement anti-tuberculeux après une évaluation négative.

Pour ces derniers, l’absence de bilan de santé réalisé par le département a retardé l’accès à un traitement. L’ONG cite de nombreux cas où le retard ou les lacunes dans la prise en charge publique a des conséquences parfois fatales sur la santé de ces jeunes. Enquêtrice pour Human Rights Watch, Delphine Starr revient en détail pour Marsactu sur les principaux enseignements de ce rapport (à lire ici en intégralité).

Votre ONG a déjà consacré déjà de nombreuses études à la question de la situation des mineurs non accompagnés en France. Pourquoi avoir choisi Marseille et les Bouches-du-Rhône ?

Delphine Starr : Human rights watch a déjà réalisé de nombreux rapports, notamment à Paris, sur la question de l’évaluation arbitraire de la minorité et les défauts dans la politique de l’hébergement. Nous avons également enquêté sur la situation de ces jeunes à la frontière italienne et à Calais. Mais je suis moi-même venue à Marseille pour évoquer la question des mineurs non accompagnés dans une conférence. J’ai été frappée par l’écart très surprenant entre le taux de refus de minorité, autour de 50 % et le nombre très important de recours gagnés par ces mêmes jeunes devant la justice. Ils sont entre 70 % et 75 % à avoir gain de cause devant les tribunaux. Cet écart était très parlant et donnait à voir les difficultés de prise en charge. Ensuite, j’ai été frappée par le nombre et la force des réseaux militants qui viennent compenser ces défauts de prise en charge des autorités publiques.

Vous formulez 25 recommandations en direction des autorités publiques dont la majeure partie s’adresse au département des Bouches-du-Rhône et son prestataire, l’Addap 13. Vous ont-ils répondu sur les points soulevés ?

Le département n’a pas souhaité nous répondre. En revanche, l’Addap 13 nous a fait une longue réponse, dont nous avons repris certains passages dans le corps du rapport. L’intégralité de la réponse est en annexe du rapport rendu public aujourd’hui. Mais cette longue réponse était à la fois très proche de ce que prévoit la loi et très différente que ce que nous ont confié les jeunes et les militants au cours de notre enquête. Il est normal que le département et son prestataire, l’Addap 13, soient l’objet du plus grand nombre de recommandations puisqu’en France, ce sont les départements qui ont la compétence en matière d’aide sociale à l’enfance. Ce sont eux qui mettent en œuvre l’évaluation de l’âge des enfants non accompagnés et assurent leur prise en charge et leur mise à l’abri.

La question de l’examen de l’âge est au centre de votre rapport. Pour vous, la façon dont il est mis en œuvre a des effets très néfastes sur la santé de ces jeunes.

Le principe qui devrait guider les autorités publiques est celui de la présomption de minorité, dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. Or, c’est tout le contraire qui se passe  : la prise en charge des mineurs non accompagnés est fondée sur le doute et la suspicion. L’Addap 13 met en œuvre une procédure arbitraire fondée sur une évaluation rapide que les enfants ne comprennent pas toujours. Or, le résultat de cette évaluation a des conséquences immédiates en matière d’accès aux soins, à l’hébergement ou à l’école. Ces enfants ont traversé des situations très violentes en arrivant en Europe et ils n’ont pas même le temps du répit avant d’être à nouveau renvoyés à la rue. Or, ils sont souvent sujets à des syndromes post-traumatiques. Ils ont besoin de souffler, de rencontrer des médecins, des psychiatres, d’être accueillis avant qu’on puisse procéder à une évaluation de leur âge.

Quelles sont les conséquences pour la prise en charge de leur problème de santé ?

Le système français d’accès à la santé est très complexe. Il m’a fallu des mois pour tout comprendre alors que je suis formée et que je parle français. Imaginez ce que cela veut dire pour ces jeunes. Ils ne sont ni majeurs, ni mineurs. Or, cette situation a des répercussions directes sur l’obtention des droits et leurs difficultés d’accès à la santé. Heureusement, il existe un réseau très actif de bénévoles, d’associations et médecins sans lequel beaucoup de ces jeunes n’auraient pas eu une prise en charge adéquate. Normalement, leur statut de mineur doit leur permettre d’accéder à une couverture maladie universelle. S’ils sont considérés comme adultes, ils ont droit à l’aide médicale d’État. Mais cela suppose de remplir des tas de papiers et les jeunes ne sont pas accompagnés pour cela. Résultat : ils n’ont pas de couverture santé ouverte et cela a des effets sur le non-traitement d’infections, notamment de tuberculose ou de troubles hépatiques. Assez souvent, ils souffrent de problèmes de santé mentale, de troubles du sommeil, d’anxiété qui ne sont pas pris en charge.

Combien de jeunes migrants se retrouvent à la rue faute de prise en charge ?

Nous avançons le chiffre de 150 mineurs qui n’ont pas de solution d’hébergement en dehors des solutions offertes par les réseaux militants. Et encore, ce chiffre doit être mis à jour, puisqu’en revenant à Marseille, j’ai été informée de l’ouverture de deux nouveaux squats qui accueillent ces jeunes migrants. C’est grâce à ces bénévoles que ces jeunes ont un toit.

Dans quel état d’esprit se trouvent les jeunes que vous avez rencontrés ?

La phrase que j’ai le plus entendue en faisant mon enquête était “j’attends”. “J’attends mes papiers”. “J’attends pour aller à l’école”. “Je passe ma vie à attendre”. Ils sont très contents d’aller à l’école parce qu’enfin, ils trouvent quelque chose à faire à part attendre. Très souvent, ils sont pris en charge six ou huit mois dans un squat, trouvent parfois une place dans une école et quand leur recours est reconnu par la justice, ils doivent brutalement changer de quartier, d’environnement, d’école. C’est un traumatisme qui s’ajoute au traumatisme.

“Notre prise en charge est conforme à la loi”
Le département et l’Addap 13, qui assure la prise en charge des mineurs non accompagnés à Marseille, ont été sollicités par courrier par Human rights watch. Le département a choisi de ne pas répondre, faute d’accès au texte final avant diffusion. Il a appliqué la même réponse à Marsactu. L’association prestataire a quant à elle fourni une réponse écrite très détaillée à l’ONG. Elle nous a renvoyés à celle-ci en se bornant à répondre que la prise en charge mise en œuvre par l’Addap 13, y compris d’évaluation de la minorité, était “conforme à la loi”, comme le formule David Le Monnier, directeur de la structure. Pour le reste, il dit attendre la publication du rapport pour vérifier l’usage fait des réponses de sa structure et la teneur des recommandations formulées par l’ONG.

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Commentaires

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  1. Dark Vador Dark Vador

    La encore, notre merveilleux et superbe Département est comme pour beaucoup d’autres obligations : inerte, sourd, muet et largement incompétent. Pourquoi voudrait-on, concernant cette problématique, qu’il soit réactif et agisse intelligemment et rapidement? C’est sûr que nous ne pouvons sans doute pas accueillir toute la jeunesse en souffrance du monde, mais puisqu’il est question de notre institution au main de qui on sait, je suis pessimiste…

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  2. Patafanari Patafanari

    Quelle tristesse, ces mineurs non accompagnés. Dans le cadre du regroupement familial, il faut faire venir leurs parents (et leurs enfants).

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  3. julijo julijo

    il faut quand même se souvenir que vassal, qui ne décide pas trop où elle se situe aujourd’hui, est ou était lr ou renaissance proche de darmanin dans tous les cas. auteur et fier de l’être de la dernière en date loi sur l’immigration.
    alors vassal la “présomption de minorité” effectivement elle s’en fiche et elle applique le contraire, et ça fait longtemps que c’est comme ça à l’addap 13.
    ce n’est pas le premier article de marsactu sur ce sujet.
    il y a eu bon nombre de manifs…et toujours rien pour l’application des lois françaises.
    serieusement en tant que citoyen, et électeur de cette ville, de ce département, il m’arrive d’avoir honte de ces élus incompétents, inhumains et finalement racistes. il y a une formule qui dit à peu près que si on ne fait rien on est complice.

    mais que fait la police ?

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Vassal la bien nommée !

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  4. RML RML

    Le petit monde de Marcel Pagnol vu par Vassal et les élus majoritaires du département…
    Des gens sans foi ni loi..
    ( enfin des cathos racistes bien rances quand même)

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  5. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Vassal soutient Macron et sa bande organisée et réciproquement. “Renaissance” c’est bien cela.

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