Au McDonald’s de Saint-Barthélémy, les dernières heures d’un bastion syndical

Actualité
le 12 Déc 2019
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Le tribunal de commerce devrait prononcer ce jeudi la liquidation du McDonald's de Saint-Barthélémy (14e). Pour les salariés qui mènent depuis de long mois un lutte sociale acharnée, le coup est dur à encaisser. Il sonne le glas d'un important pourvoyeur d'emplois et annonce la fermeture d'un lieu central dans le quartier.

Photo : Gaspard Hirschi.
Photo : Gaspard Hirschi.

Photo : Gaspard Hirschi.

L'enjeu

Le tribunal de commerce devrait annoncer ce jeudi la liquidation du McDonald's de Saint-Barthélémy, connu pour être un bastion syndical au sein de l'enseigne.

Le contexte

Situé au nord de Marseille, dans un quartier où la précarité est souvent de mise, ce fast-food assurait à certains un emploi stable. Il faisait aussi office de "place du village".

Ses yeux fixent le sol, sourcils froncés. Kamel Guémari a la carrure d’un guerrier mais il ne peut cacher son inquiétude. Voilà un an et demi qu’il voue sa vie à une lutte syndicale acharnée, devenue symbole au sein de l’enseigne McDonald’s. Ce mercredi matin de décembre, devant le tribunal de commerce de Marseille, il a perdu un combat : sauf surprise, le tribunal de commerce devrait prononcer ce jeudi la liquidation judiciaire du McDonald’s de Saint-Barthélémy. Son restaurant, situé dans les quartiers nord. Leur bastion. Cette décision de justice interviendra alors que plusieurs procédures lancées par les salariés sont encore cours. Si depuis des mois ils tentent de démontrer un coulage organisé basé sur une discrimination syndicale, cette fois-ci, la décision risque d’être un coup d’arrêt.

“Ils ont mis tous les moyens pour arriver à leur fin. Ils ont essayé de profiter de notre misère. On s’est battus contre ce modèle social destructeur, qui manque d’humanisme. Finalement, il y a liquidation parce qu’ils n’ont pas le courage de nous affronter.” Les mots sont forts mais ils sont à la hauteur de sa rancœur. Aux côtés de Kamel Guémari, ses collègues syndiqués qui l’accompagnent depuis de longs mois. Forcément moins nombreux qu’au départ, ils sont une petite dizaine ce mercredi, rue Émile Pollak, à attendre dans le froid que leur leader sorte de la salle d’audience. “On ne se fait pas d’illusion, peut-être que McDo va sortir un truc du chapeau mais honnêtement, le moral est à zéro”, confiait alors Tony Rodriguez, du syndicat Sud.

Bâches noires et portes fermées à clef

“Le tribunal s’est retranché derrière les chiffres pour justifier l’impasse de trésorerie. Mais il refuse de se pencher sur les véritables raisons des problèmes économiques”, regrette quant à lui Ralph Blindauer, avocat des salariés. Depuis le début du conflit, ce dernier ne cesse de dénoncer frais injustifiés et sous-investissements qui, selon lui, visent à sonner délibérément le glas d’un important bastion syndical au sein de l’enseigne. Il poursuit : “J’ai demandé l’extension de la liquidation [de la société Sodeba, qui appartient au franchisé Jean-Pierre Brochiero, le gestionnaire du restaurant de Saint-Barthélémy, ndlr] à McDonald’s France qui lui n’a pas de difficultés, pour que les salariés deviennent ceux de McDo. Mais les salariés et les habitants de ce quartier ont compris qu’ils ne pouvaient plus croire en l’état de droit.” Officiellement, une soixantaine de personnes sont encore salariées au McDonald’s de Saint-Barthélémy, dont une quarantaine en CDI, selon les syndicalistes. Dans les faits, beaucoup ont jeté l’éponge et sont partis depuis longtemps. Pour la poignée des restants, l’avenir est plus qu’incertain.

Sur place, des bâches noires ont été scotchées aux fenêtres. Les portes sont fermées à clef et ouvertes seulement aux salariés qui viennent prendre des nouvelles. À l’intérieur, le sol pègue et l’ambiance est morose. Une quinzaine de personnes sont reparties par petits groupes dans la salle du restaurant. Julia* est affalée sur l’une des banquettes entourée de jeunes gens qui tentent de lui remonter le moral.

Photo : Violette Artaud

Elle vient d’apprendre la mauvaise nouvelle. Voilà 27 ans que cette quarantenaire travaille pour le McDonald’s de Saint-Barthélémy. Comme équipière d’abord, avant de devenir formatrice et enfin, manager. “Ça me fait quelque chose, commence-t-elle, comme sous le choc. Je suis dégoûtée, je ne sais pas ce que je vais faire. Sûrement travailler au noir. Je ne comprends pas pourquoi on ferme, on faisait du chiffre…” Une jeune équipière la rejoint : “Pour moi, c’est le franchisé qui est responsable. Il n’a rien fait pour mettre en valeur ce resto. Il a mal géré et ça pénalise tous le monde.” 

Photo : Gaspard Hirschi.

“Pour moi, McDo c’est le mal incarné”

D’autres vont plus loin. “On s’en doutait, mais là on réalise que même la justice est pourrie jusqu’à la moelle. Elle n’a pas tenu compte de tout ce qu’on a donné, lâche dents serrés Nour Adabli, salarié depuis vingt ans. Quant à McDo, c’est le mal incarné. On m’a déjà demandé de virer des gens qui n’avaient rien fait ou de signer des fausses attestations (lire notre article “McDo achète un faux témoignage pour 25 000 euros”). Ceux qui ont fait ça s’en sont sortis, pour les autres, ça se passe mal.” 

Nour Adabli se dit “dégoûté de McDonald’s”, et ne veut “plus jamais y travailler”. Il ajoute être prêt à bloquer le McDo. Mais pour quelle finalité ? “La justice a tranché, nous on veut bien bloquer mais après ?”, se questionne la jeune équipière citée plus haut. Si la liquidation est confirmée, les salariés de Saint-Barthélémy toucheront des indemnités, mais devront trouver un autre gagne-pain. “Pour nous les jeunes, ça va aller, mais pour ceux qui ont une famille à nourrir, qui sont là depuis des années ?”

Photo : Gaspard Hirschi.

C’est le cas de Fakrodine, 35 ans et quinze de McDonald’s. “Je n’ai pas de diplôme, je n’ai travaillé que pour McDo. Je ne sais pas comment ça fonctionne dans les autres entreprises, j’ai peur de ne pas savoir m’adapter, s’inquiète-t-il. McDo vient de nous mettre un coup fatal. Eux ils ne vont pas crever de faim ou mal dormir. Mais ils savent ce que ça fait d’être un père de famille et de pas pouvoir payer un paquet de chocolats à son fils ?”. Comme Nour Adali,Fakrodine est prêt à bloquer le restaurant. Il n’a pas de doute sur les raisons qui ont mené à cette fermeture.

Cette fermeture a été motivée par le syndicalisme qu’on trouve ici. McDonald’s a l’habitude de la précarité, des syndicats qui se rangent à leurs côtés, pas de ceux qui se mettent en face.” Un treizième mois, des primes d’ancienneté, un nombre conséquent de CDI… Le McDonald’s de Saint-Barthélémy, situé dans un quartier où règne la précarité, faisait jusqu’alors office d’exception parmi les restaurants de l’enseigne, de bouée de sauvetage, parfois. Une bouée de sauvetage qui se dégonfle aujourd’hui. “Et on ne se fait pas d’idée, en venant d’ici, on ne sera jamais réembauchés dans un autre McDo”, conclut-on autour d’un dernier café siglé M.

“Ils vont aller où les petits pour manger une glace ?”

Outre l’impact sur l’emploi, si elle se confirme, la fermeture du McDonald’s de Saint-Barthélémy devrait aussi changer certaines habitudes dans le quartier. Ici, magasins, restaurants ou simples espaces publics se font rares. “Peu de gens ont une voiture. Où on va aller quand on veut sortir du cocon familial ? Quand on veut emmener la copine manger dehors ? Ils vont aller où les petits qui se retrouvaient là pour manger une glace ? On va les trouver où les menus enfant à 4 euros ?”, se questionne-t-on.

Photo : Violette Artaud

Kamel Guémari, lui, est assis à une table haute. Il se tient la tête entre les mains, l’air pensif. Dans cette lutte, il aura laissé des plumes. Mais dit ne rien regretter. Pour l’instant, il lui est difficile d’envisager l’après McDo. Il regarde dans le rétro : “Le monde du travail est pire que celui de la rue. Dans la rue, tu sais pourquoi tu y es. Le monde du travail est injuste et tout le monde est déguisé. Tu n’affrontes jamais directement ton patron, il paye quelqu’un pour t’affronter à sa place, pour qu’on s’affronte entre nous”, analyse-t-il. Contacté par Marsactu, le patron en question, Jean-Pierre Brochiero, n’a pas pris la peine de rappeler. Sa chargée de communication l’a fait pour lui. Elle nous a indiqué que le franchisé ne communiquerait que lorsque la décision du tribunal sera officiellement prononcée. Quant à McDonald’s France, son service presse n’a répondu ni aux appels, ni aux mails.

* Le prénom a été modifié.

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