Que fait-on faire à la police?

Billet de blog
le 19 Fév 2021
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Un car de CRS pendant le confinement (Photo : LC)
Un car de CRS pendant le confinement (Photo : LC)

Un car de CRS pendant le confinement (Photo : LC)

Suite au compte rendu de ce jour de l’audience sur les violences exercées par des policiers sur un de nos concitoyens à l’issue d’une manifestation, je trouve utile de publier une lettre, restée sans réponse, que j’avais envoyée au Préfet de Police en 2016 pour protester contre une intervention de police sur le territoire des jardins partagés de la cité Font-vert.

Plutôt que le qualificatif de “violences policières” qui porte immédiatement le débat au niveau des affrontements idéologiques, je trouverai utile de recenser des témoignage sur les “actes illégaux” commis par les fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction. Le fait que la hiérarchie soit amenée à couvrir des actes illégaux doit faire l’objet d’une analyse objective. C’est dans les consignes que reçoit cette hiérarchie ou dans la conception qu’a cette hiérarchie des relations entre population et police qu’il faut sans doute chercher la cause des dérapages. L’administration avance qu’il s’agit d’insuffisance individuelle. A nous d’en rechercher les causes structurelles. Au passage, il faut aussi éviter de situer le débat au niveau du racisme supposé au sein de la police. C’est là un facteur sans doute aggravant, mais la violence de certains policiers s’exerce au détriment de tous les citoyens. Une de mes nièces en a été victime lors d’un contrôle post couvre-feu, alors que son apparence et son langage la situaient immédiatement comme représentante de la bourgeoisie la plus wac qui soit (white arian catholic )

Monsieur le Préfet (de police)

Je vous écris en tant que Président d’une association gérant deux équipements sociaux sur le territoire des XIIIème et XIVème arrondissements de Marseille. Mais je vous écris aussi en tant qu’Officier de réserve Honoraire, formation et expérience du commandement qui m’autorisent, je crois, à vous faire part de mon inquiétude sur la dégradation des relations entre les habitants de nos quartiers, les travailleurs sociaux et les forces de police ( voir le document ci-joint) et à formuler des propositions pour améliorer la situation.

Compte tenu du contexte national de lutte contre le terrorisme et du contexte particulier de la lutte contre le trafic de drogue dans les territoires où notre association opère, les habitants comme les travailleurs sociaux comprennent les difficultés, sans parler du danger physique, auxquelles les forces de l’ordre sont exposées et par là-même sont  quelque peu résignés à accepter les inévitables « dommages collatéraux » que peut engendrer l’exécution de leur mission. Mais ce que nous ne comprenons pas ce sont les raisons qui font que l’on ne prévienne pas par le dialogue et la concertation des atteintes excessives à l’intégrité physique et à la dignité personnelle, à notre avis parfaitement évitables, dont nos habitants et nos salariés ont été récemment victimes. Ces faits ont donné lieu de notre part à un dépôt de plainte contre des officiers de police pour coups et blessures et insultes publiques sur un terrain privé. La justice, bien évidemment, doit se prononcer sur le bien-fondé de notre action. Mais le simple fait d’avoir eu à signer cette plainte, comme employeur des plaignants, m’a profondément bouleversé, comme vous pouvez l’imaginer compte tenu de mon passé. Il faut tout faire pour que de tels conflits entre habitants et forces de police ne se reproduisent pas.

Au-delà du zèle mal entendu d’exécutants de terrain, il me semble que de tels conflits ont leur source plus haut dans la chaîne de commandement et qu’il conviendrait de revoir la préparation des missions, notamment du renseignement préalable à l’action. Il conviendrait aussi, de façon plus générale, de compléter la formation des officiers de police quant à l’analyse de la composition sociale des acteurs présents sur leur terrain  d’intervention et à la qualité de leur expression à leur égard.

Sur le premier point, je suis persuadé que si, d’une part, les policiers avaient été informés de notre expérience de jardins partagés et de nos difficultés avec les trafiquants à ce sujet, si, d’autre part, nous avions étés informés et donc avions informé nos salariés, que les nécessités du service pouvaient amener, dans cette période d’exception, les forces de police à investir sans autorisation judiciaire un terrain privé, l’affrontement objet des procédures en cours n’aurait pas eu lieu. Je précise qu’il ne s’agit pas, dans mon esprit, d’avertir notre association que telle et telle intervention aurait lieu tel jour, ce qui évidemment serait une contrainte trop lourde, sans parler du danger de fuites, mais bien d’exposer à des responsables de même niveau une stratégie d’ensemble et les dispositions tactiques générales qui en découlent.

Sur le deuxième point, nous nous efforçons de lutter par des actions de formation et d’information contre l’amalgame qu’une population en difficulté est tentée de faire entre quelques dérapages individuels et une attitude globalement hostile de la police à son  égard. Nous aimerions qu’en retour l’encadrement évite, par les mêmes moyens, que les policiers de base fassent  l’amalgame entre quelques délinquants et une majorité d’habitants responsables et coopératifs. Si ce travail avait été fait, ces acteurs de terrain auraient réfléchi avant de tabasser en public un père de famille honorable et un responsable d’équipement collectif. On m’avait appris à l’Ecole des Officiers de Réserve qu’il ne fallait surtout pas discréditer devant la troupe un subordonné au risque de voir son autorité  définitivement perdue. Vous mesurez sans doute à cette aune le travail qu’il va falloir faire pour rendre son autorité à notre salarié qui doit gérer des conflits entre jardiniers. Quant à la restauration de l’image du père de famille aux yeux de ses enfants et des voisins, si elle est encore possible, elle ne peut passer que par une décision de justice reconnaissant qu’il a été victime d’un acte arbitraire contraire à la loi.

J’attire enfin votre attention sur le langage utilisé par les représentants de l’ordre envers les habitants. Je me permets, à cet égard de me réclamer de mon statut de Professeur des Universités Emérite de Langue Française, pour mettre en garde l’encadrement contre les pratiques linguistiques de leurs subordonnés. Injurier publiquement toute une population est en soi un « acte de langage » inapproprié de la part d’une personne investie de l’autorité publique. Mais le faire dans une langue où l’impropriété le dispute à la pauvreté du langage est une atteinte injustifiable au patrimoine   linguistique de la France. Le répertoire des injures en français est très vaste pour un lecteur de Rabelais, ou de Villon, sans parler de Céline ;  le réduire au seul verbe « enculer » qui historiquement est, dans cet emploi, un usage abusif dans la parlure des basfonds  d’un verbe qui signifiait originellement « enfermer (notamment une troupe ennemie) dans un espace clos (cf : cul de basse fosse, cul de sac) est donc un abus de langage dans tous les sens du terme que devrait pourchasser un encadrement digne de ce nom.  Plutôt que de jouer à imiter les caricatures de policiers américains dont on farcit démagogiquement les répliques de torrents de « fuck », nos fonctionnaires devraient se faire un devoir de respecter les normes gouvernant l’emploi public de notre langue et d’en donner en toutes circonstances l’exemple aux enfants de nos quartiers.

Il semble en outre que des comportements aussi déplacés et contreproductifs se répandent de façon inquiétante. Une jeune cousine accomplissant son difficile travail d’éducatrice dans une cité m’a rapporté avoir été apostrophée de façon grossière par des policiers qui, même après qu’elle eut décliné ses identité et qualités, ont laissé entendre qu’elle était de toute façon tolérante, voire complice, à l’égard des adolescents dont elle avait la charge.

Les banlieues de Marseille ont, heureusement, jusqu’ici été moins touchées que d’autres par la radicalisation. Le maillage associatif et la bonne entente de ces associations et des habitants qu’elles représentent avec les pouvoirs publics en sont une raison déterminante. Il ne faudrait pas que la multiplication de comportements tels que ceux que je vous ai décrits en viennent à dégrader cette situation.  Il est de notre responsabilité de continuer notre mission de service public en développant chez les habitants, en particulier les jeunes, le respect des valeurs de la République et de ses représentants. Il est de la vôtre de veiller à ce que les difficiles missions dont elle vous a chargé soient exécutées dans le respect des droits des citoyens garantis par notre constitution. Je me tiens à votre disposition pour envisager en concertation avec les responsables des mesures à même de faire mieux converger nos efforts.

Je vous prie de croire, Monsieur le Préfet, à l’assurance de mes respectueuses salutations.

Henri-José Deulofeu

Président de la Maison des familles et des Associations des 13 et 14 èmes arrondissement de Marseille

Professeur Emérite des Universités

Officier de Réserve Honoraire

Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques

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