Les puissances de l’imagination

Idées de sortie
le 18 Juin 2021
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On croyait, comme le fut l’édition précédente avalée par la première vague, celle-ci submergée dans le creux de la seconde. Mais non, la voici. Décalée, polyphasée, plus étonnante que jamais, la dix-neuvième édition du festival Mars en Baroque refait surface en juin. À la manœuvre dans le courant imprévisible, son directeur artistique Jean-Marc Aymes signe un opus qui fera date.

Amandine Beyer © Justin Taylor - Gli Incogniti
Amandine Beyer © Justin Taylor - Gli Incogniti

Amandine Beyer © Justin Taylor - Gli Incogniti

La programmation a tout de ces impromptus préparés à loisir en procédant par sauts et gambades dans le temps et l’espace. Si l’intitulé D’ici et d’ailleurs souligne l’absence d’une thématique précisément orientée, le fond, ne sacrifiant en rien aux exigences qualitatives des items antérieurs, se distingue par de nombreuses rencontres où musiques ancienne et actuelle se stimulent l’une l’autre. Nous y retrouverons également quelques propositions qui n’avaient pu se réaliser l’année précédente : l’intégrale du premier livre du Clavier Bien Tempéré de Bach, le portrait musical de Barbara Strozzi par Lise Viricel et son ensemble Le Stelle…

De villanelle un jour, un jour de fandango

Auparavant, le festival aura commencé en chansons : celles de Josquin des Prés tout d’abord, dont nous commémorons le cinq centième anniversaire de la disparition ; depuis cinq siècles, ces trésors de la Renaissance n’ont pas pris une ride ! L’ensemble Doulce Mémoire fera sonner le rire frais des jouvencelles et tous les soupirs qu’il a occasionnés. Oyez ces ballades et rondels des dames du temps jadis, onques n’entendrez la pareille.
Insolite. Quatre jeunes musiciennes se sont placées sous l’égide d’un compositeur et ont adopté son patronyme pour baptiser leur ensemble. Leur vouloir musical et la valeur qu’elles accordaient à ce virtuose du théorbe se sont confondus dans la même étincelle inspiratrice. La parenté qui unit les Kapsber’girls (du nom de Johannes Kapsberger, 1580-1651) est aussi forte que si toutes quatre descendaient de cette origine commune. À les entendre dans leur répertoire favori, on croit pouvoir déterminer certains traits de caractère si précieux de ce Vénitien d’origine allemande qui fit les délices des cardinaux romains. En prélevant dans les Livres de Villanelles de leur compositeur fétiche ces quelques canzonettes frottées à l’élégance du madrigal, les « girls » nous font cadeau de leurs bijoux de famille.

Au préalable, le conférencier Denis Morrier aura évoqué le biotope musical de Kapsberger et plus généralement les stratégies d’adaptation des compositeurs aux conditions de cet environnement culturel unique en Europe que constitue la cité papale au 18e siècle et la manière dont leurs œuvres rendent comptent d’un milieu aussi détonnant.
Au carrefour des traditions populaire et savante, la lyrique (musique et poésie) se recompose selon le génie de chaque langue, au gré des influences nationales tempérées par les rencontres et les voyages d’artistes qui transforment leur patrimoine en une expérience vivante. Le conférencier Benito Pelegrín s’attachera aux particularismes ibériques au moyen desquels poètes et musiciens du Siècle d’Or ont façonné « un savoir-vivre héroïque et galant qu’on appellera en Europe L’amour à l’espagnole. » Travaux pratiques au concert du soir. Avec la complicité du luthiste Ariel Abramovich en chevalier languissant, la voix archangélique de María Cristina Kiehr éveillera de bien nobles sentiments. Cependant, un style si chaste et si surveillé ne saurait manquer d’avoir ses renversements…

Quoi de neuf ?

Comme à son habitude, l’Ensemble Musicatreize entremêle les temporalités. L’héritage du passé constitue alors un processus flexible dont les compositeurs d’aujourd’hui sont invités à se saisir. Avec un arrangement pour six chanteurs et six violoncellistes, Pierre-Adrien Charpy nous entraîne dans une modulation de la mémoire autour de deux grandes abandonnées antiques, Ariane et Didon, dont les ondes porteuses furent Monteverdi et Purcell. Avec le même effectif instrumental et vocal, Édith Canat de Chizy évoque une autre figure d’exil en la personne d’une poétesse russe du siècle dernier, Marina Tsvetaeva, qui, en 1913, prophétisait : « Mes poèmes seront dégustés comme les vins les plus rares, Quand ils seront vieux. » Hommage à des femmes de combat au destin tragique.

Une opportune association avec Marseille-Concerts, dans le cadre de la Semaine de musique ancienne du conservatoire Pierre Barbizet, sera l’occasion de réunir à nouveau le baroque et le contemporain. Dans le sillage d’un concerto et d’une aria de Vivaldi, le compositeur Régis Campo utilise la force résurrectionnelle du passé dans les mêmes formes concertantes ou lyriques. Il laisse l’œuvre du maître vénitien faire écho en lui juxtaposant d’autres occurrences aussi inventives, imagées et semblablement soumises au principe de plaisir. Déjà, la création mondiale de son concerto pour mandoline suscite l’animation et quand on saura que Vincent Beer-Demander tiendra le plectre… Cerises sur le gâteau, ses fables mises en musique dans un nouveau dispositif instrumental autour de la soprano Lucile Pessey postulent, avec La Fontaine, des espaces générateurs de libre fantaisie ; comme celles des grands classiques, la plume de Régis Campo a les moyens d’en faire valoir le naturel et l’étendue.

Fusion improbable, le spectacle A bird cage played with toasting forks est le théâtre d’une joute poétique entre Couperin et John Cage. Sensible et supra sensible s’enlacent sous les doigts de Bertrand Cuiller au clavecin et de Loïc Guenin au toy piano. Les deux artistes trouvent un champ d’action, parsemé d’objets sonores iconoclastes, propre à l’exercice de leur talent. L’imagination, folle du logis, a ouvert la cage. S’échappe alors un idéal de beauté qui apporte un joyeux démenti à ce que l’acoustique peut avoir de prévisible.

Magister maximus

Amandine Beyer est une musicienne dont l’empreinte allonge durablement la perspective d’une œuvre dans la direction que lui imprime sa personnalité. Nous l’avions déjà constaté avec sa conception a fresco des Quatre Saisons de Vivaldi d’une remarquable clairvoyance ; elle se saisit cette fois des opus concertants de Jean-Sébastien Bach. La profondeur et la sagesse du compositeur d’église n’ont pas interdit au kapellmeister de la Cour de Köthen (entre 1717 et 1723) de cultiver les plaisirs d’une musique d’ici-bas où il sut accueillir la manière italienne ou le goût français en métabolisant toutes les suggestions de son temps. Sensible aux saveurs et aux récréations de la vie quotidienne ainsi qu’aux nécessités de son emploi, Bach les a pourtant soumises à de stupéfiantes transfigurations avec lesquelles le jeu de la violoniste participe d’une constante pénétration d’esprit et de cœur. Elle sera accompagnée de l’ensemble Gli Incogniti pour rendre les effets de groupe d’un corpus d’une inventivité formelle sans pareille.

L’édition 2021 se terminera par l’une de ces passionnantes entreprises auxquelles l’équipe du festival nous donne rendez-vous régulièrement, consistant à réveiller quelques belles pages musicales endormies sur le rayon d’une bibliothèque. Il s’agit cette année de restituer, en coproduction avec le Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne de Namur, un divertissement du compositeur italien Antonio Caldara créé le 1er octobre 1723 pour l’anniversaire de l’empereur d’Autriche Charles VI dans le style triomphant du baroque de cour européen. Dans ce florilège d’airs qui anime la conversation des dieux de l’Olympe sur la scène viennoise, les courtisans se donnent à voir autour de leur souverain dans un miroir musical sur lequel on se plaît à imaginer le reflet des plafonds peints de mythologies aériennes et de petits génies joufflus. Le baroque dans sa splendeur extravagante. Quand l’esthétique prend le large avec le sens commun, la conférence de Jean-François Lattarico nous éclairera sur l’échantillonnage des possibilités parmi lesquelles les artistes ont expérimenté un art assigné à la politique de prestige national. La « fête impériale », déjà…

Roland Yvanez

Mars en Baroque : du 16/06 au 5/07 à Marseille. Rens. : www.marsenbaroque.com

Le programme complet du festival Mars en Baroque ici :
https://www.journalventilo.fr/agenda/festivals/39684/mars-en-baroque

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