La citoyenneté et le marché

L’EMPRISE DU MARCHE DE L’IMMOBILIER SUR LA VILLE

Billet de blog
le 29 Avr 2018
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Deux événements sont à l’origine du texte que l’on va lire. Le premier est un peu ancien à présent : il s’agit de la menace que la construction d’un ensemble immobilier boulevard de la Corderie fait peser sur des fouilles archéologiques de grande valeur. Le deuxième est plus récent : il s’agit de la mesure par le préfet des Bouches-du-Rhône concernant les appartements à réserver au logement social dans une résidence de luxe dans le quartier des Catalans.

Les logiques de la politique de la ville

Ce que font apparaître ces deux événements, c’est la diversité des politiques de la ville, la multiplicité des points de vue qui la fondent et qui l’orientent. On peut distinguer deux grandes logiques de la politique de la ville : la première se réduit, en quelque sorte, à l’absence de politique, puisque c’est l’emprise du marché et de ses lois sur les projets d’aménagement de l’espace urbain ; la seconde est la politique de la ville à proprement parler, puisqu’elle ne se soumet pas aux lois du marché, mais se fonde sur la recherche de l’égalité entre les habitants de l’espace urbain et sur un usage de l’espace urbain fondé sur l’expression de l’identité de la ville au lieu de l’être sur le marché. Quand les fouilles archéologiques et les découvertes du boulevard de la Corderie sont menacées par les tractopelles et la construction de l’ensemble immobilier qui va s’y situer, cela signifie que le passé de Marseille, son patrimoine, ce qui fonde son identité en la rendant lisible au cours des siècles, que tout cela est menacé de disparaître, ou, au moins, d’être endommagé peut-être gravement. Quand, aux Catalans, il faut en venir au pouvoir du préfet pour que le quartier retrouve une part de son histoire de quartier populaire, cela signifie que le marché de l’immobilier impose ses lois à l’habitation et à la vie urbaine, à Marseille, comme dans bien d’autres villes. C’est la confrontation entre ces deux logiques de la politique de la ville, la logique du marché et la logique politique, qui est engagée de cette manière, et qu’il faut comprendre.

L’espace de la ville et la banlieue

C’est que, finalement, cette confrontation est une confrontation entre le politique et le marché. Sans doute n’est-il, d’ailleurs, pas inutile de rappeler ici, dans le cours de ce débat, que l’expression même, « politique de la ville », a été élaborée dans le champ politique à la fin des années 80 et dans les années 90, au moment de la crise des banlieues, de la crise de c que l’on a appelé alors « les quartiers », pour désigner finalement, tout simplement, les quartiers populaires. La crise de la ville, survenue à ce moment en France mais aussi dans d’autres pays, n’était qu’une sorte de renouvellement contemporain d’une confrontation ancienne entre les banlieues et les centres. Rappelons-nous ce que signifie le mot même, « banlieue » : la banlieue, c’est l’espace du ban, l’espace du ban, de ce qui est désigné, en quelque sorte montré du doigt, par le pouvoir. Espace du ban, la banlieue est l’espace qui est mis à l’écart, qui fait l’objet d’une discrimination, l’espace dont les habitants ne sont pas tout à fait comme les autres habitants de la ville. Les Catalans étaient un peu la banlieue de Marseille, quand le quartier est né : Alexandre Dumas nous le montre, dans Le Comte de Monte-Cristo, comme un quartier populaire : c’était avant que le marché ne fasse peser son emprise sur les quartiers urbains proches de la mer.

La confrontation entre la politique de la ville et le marché de l’immobilier

Ce que montrent ces deux confrontations, celle, à la Corderie, de l’archéologie et de la mémoire de la ville à le promotion immobilière, et celle, aux Catalans, de l’identité d’un quartier à une résidence de luxe, c’est l’opposition, qui, comme toutes les oppositions,  peut être violente, entre ces deux lois, la loi du politique et de l’égalité et la loi de l’immobilier et du profit. Entre ces deux lois, nous sommes, à Marseille, aujourd’hui, devant une épreuve de force dont on ne sait encore lequel des adversaires vaincra l’autre. Mais ce que l’on sait d’ores et déjà, quelle que soit l’issue de la confrontation, c’est que seule la loi du politique a le souci de ceux qui vivent dans la ville, de ceux qui l’habitent. La loi du marché ne sait que les contraindre. Il est important de se le rappeler au moment où l’espace de la ville, une fois de plus, est l’espace d’un conflit qui donne toute sa signification à la citoyenneté. La civitas, la cité, doit redevenir ce qu’elle a toujours été : la réunion des cives, des citoyens ; elle doit redevenir l’espace du politique, l’espace dans lequel habiter, c’est s’engager.

Commentaires

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  1. Magnaval Magnaval

    Intéressantes réflexions.
    Mais pourquoi se baser sur un exemple aussi caricatural du NIMBY que la “carrière” de la Corderie, qui fait rire les archéologues et les historiens du monde entier par son insignifiance et surtout par l’ampleur donnée à ce tas de cailloux datant au mieux du Bas Empire (il y a belle lurette que les traces des excavations du VIe siècle AD ont disparu – et je ne parle même pas du fameux puit “antique” qui date du XVIIIe siècle…).
    Pendant ce temps, des oppida celto-ligures tombent en ruine et le jardin des vestiges ne reçoit que la visite des chats du quartier…

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