LE MARCHÉ DES CAPUCINS

Billet de blog
le 28 Oct 2023
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Nous avons déjà évoqué ici les marchés de Marseille. Regardons de plus près l’un d’entre eux. Le Marché des Capucins est celui qui côtoie la station de métro et de tramway « Noailles », au cœur de la ville.

Le marché : l’espace de l’échange

Espace de celles et de ceux qui « marchandent », marchands et consommateurs, un marché est, par définition, un espace de commerce. Mais, de ce fait même, il est un lieu de parole. Dans le marché, « ça parle » : les marchandes et les marchands s’interpellent et interpellent les clients, les mots s’échangent autant que les marchandises. Dans l’espace du marché, on s’entend et on s’écoute parler. En même temps, le marché est le lieu où la foule se presse. En particulier à Noailles, où l’espace est réduit, les gens se pressent, ils ont presque du mal à marcher tant ils sont nombreux, tant la foule est dense. En même temps, le marché est le lieu où s’est inventée la concurrence : dans le marché, on fait les courses ensemble : on court ensemble, c’est bien cela que désigne la concurrence. À Noailles, on trouve de tout, des denrées alimentaires, des objets de toute nature qui sont proposés en solde. Peut-être aussi, grâce, justement, à la densité de cette foule, y trouve-t-on d’autres biens que l’on ne voit pas, mais qui s’échangent tout de même. Cet espace de l’échange est ainsi, à Noailles, l’espace du vivant, le lieu où la ville vit.

 

Le marché et la rue

Le marché occupe toute la rue à Noailles : le marché se confond avec la rue, il s’identifie à elle. Dans ce marché qui l’habite, la rue est, ainsi, en même temps, un lieu de circulation et un lieu d’échange, un lieu où l’on se déplace et un lieu où l’on se perd en se cherchant. Espace du marché, la rue est ainsi l’espace dans lequel on ne se promène pas – ou, en tout cas, elle n’est pas vraiment faite pour cela. On se promène pour faire le marché. Mais, comme, dans la rue, la parole est celle du marché, Noailles est l’espace dans lequel l’alimentation et la consommation trouvent du sens puisqu’elles se trouvent dans les mots qui les parlent. Au fond, depuis que le marché existe, à Noailles, on échange pour parler autant que pour consommer, les sons de la parole sont ceux de l’échange et de la consommation.

 

Les Capucins : un centre

Toute petite rue entre la gare du métro et du tramway et la Canebière, le marché est au centre de Marseille, il est le centre vivant de la ville, mais, en même temps, il est, lui-même, un centre. Dans le marché, d’abord, se rencontrent deux réseaux : celui des transports en commun et celui de la rue, celui de la marche et celui des autres modes de circulation. Toute entière dévolue au marché, la rue est ainsi l’espace de flux qui se nouent entre eux : celui du transport et celui des biens qui circulent pour s’échanger et pour être consommés un peu plus tard. La figure même du centre prend toute sa signification à Noailles : il ne s’agit pas seulement de géométrie, mais c’est lieu dans lequel naissent les réseaux qui se croisent en faisant battre le cœur de la ville. Le carrefour devient ici un centre qui vit, grâce à son désordre et à sa confusion.

 

La rencontre de plusieurs mondes

C’est qu’à Noailles, plusieurs mondes se rencontrent. D’abord, c’est le lieu où se rencontrent la ville d’aujourd’hui et la ville d’avant. C’est le lieu traditionnel du marché, du marché classique de la ville, comme dans toutes les villes, mais, en même temps, c’est le lieu où s’imagine une forme de modernité – ne serait-ce que parce qu’à Marseille, le métro est tout de même assez récent. À Noailles, la rencontre entre la tradition et la modernité vient aussi des produits et des denrées que l’on peut y trouver, car on y trouve de nouvelles espèces d’échange. On peut, ainsi, suivre dans l’histoire du marché l’histoire de nos pratiques sociales. Mais les rencontres qui ont lieu à Noailles sont aussi celles des milieux populaires et d’une « gentrification » en cours. Il suffit de voir le café-restaurant qui est au coin de la Canebière pour se rendre compte qu’il s’agit d’un autre monde que celui des étals du marché. On peut mesurer ici la distance entre ces deux mondes qui offrent un contraste presque violent, car, si le marché est le lieu de parole, à Noailles, il existe aussi des mondes qui ne se parlent pas, car ils ne s’expriment pas dans la même langue. On entend le son des voix, mais elles ne se parlent pas forcément – ou plutôt, dans cet orchestre de voix multiples, certaines voix de parlent, tandis que d’autres s’ignorent.

 

Le centre ancien et le centre nouveau se retrouvent à Noailles

Dans cette rencontre entre plusieurs mondes, on observe par exemple, aussi, la rencontre entre plusieurs centres, car les mondes populaires ont, peu à peu, quitté le centre, ou plutôt, cette rencontre a donné naissance à une sorte d’éclatement du centre. À Marseille, il y a, désormais, plusieurs centres qui ne se voient même pas, tellement ils sont éloignés les uns des autres : les centres populaires et les centres aisés. Ces mondes se croisent dans les lieux du centre, mais ils ne s’y rencontrent pas. Noailles est en train de devenir comme le cours Julien situé tout près : le lieu d’un marché populaire qui est en train de perdre sa voix populaire pour trouver le langage des classes bourgeoises. Peut-être ce qui continue à faire vivre Noailles est-il justement cette confrontation entre des cultures diverses : à Noailles, le marché n’a pas le même sens pour tout le monde. Ici, les centres se rencontrent, car plusieurs peuples les habitent. Il s’agit d’une particularité de Marseille qui rend cette ville vivante : ce qui, dans d’autres villes, est rejeté à la périphérie vient se retrouver dans un centre comme celui du marché de Noailles. Sans doute est-ce aussi ce que signifie la présence de cette gare comme perdue au milieu du marché : elle symbolise le réseau qui dessert les lieux de ces multiples centres : à Noailles, Gèze rencontre le cours Julien, le tramway permet à tous les lieux de Marseille de se rencontrer. Finalement, c’est bien ici que la ville devient une métropole, une ville qui est une mère pour toutes celles et tous ceux qui y vivent.

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