LA GUERRE DE L’EMPRISE (2)

Billet de blog
le 2 Sep 2023
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Sortons un peu de Marseille et allons à Nîmes. Le quartier de Pissevin est une extension du l’espace marseillais de la guerre de l’emprise.

L’extension du domaine de l’emprise

Nous sommes donc à Nîmes. Le quartier que l’on nomme « Pissevin » est un peu, à Nîmes, l’équivalent des quartiers Nord de Marseille. C’est un quartier situé à la périphérie, et, comme les quartiers Nord de Marseille, il a été construit n’importe comment, sans aucun souci d’urbanisme ni de politique d’aménagement, sans le moindre souci pour ses habitantes et ses habitants, soi-disant parce qu’il s’agissait d’une urgence urbaine. En réalité, comme dans les quartiers Nord de Marseille, il s’est agi de construire une « zone » destinée aux pauvres, d’installer des espaces laissés au chômage, à la précarité, à l’absence de culture, à l’absence de politique urbaine. Et cette absence de politique urbaine s’est accompagnée, comme toujours, d’une absence d’intervention de l’État et des pouvoirs publics. En réalité, à Pissevin comme dans les quartiers Nord de Marseille, l’action des autorités de l’État est réduite à la surveillance et à la répression. Comme les quartiers Nord, Pissevin, est un quartier où l’État ne sait que surveiller et punir, pour reprendre les termes du livre de Michel Foucault. Et cela met en mouvement un engrenage dont on ne peut pas sortir, entre la violence de l’État et celle des trafics.  Mais ne nous trompons pas :  ce n’est pas parce que nous pouvons encore nous promener de Marseille à Nîmes que la guerre s’est interrompue à Marseille. Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, encore un jeune de 17 ans, « connu », dit l’A.F.P., « pour affaire de stupéfiants », a été retrouvé mort par balles dans une cité des quartiers Nord. Ce nouveau meurtre porte à plus de quinze le nombre de morts à Marseille de la guerre de l’emprise depuis le début de l’année. Les fusillades de Pissevin et de Marseille ne font que répondre à la violence et à l’inculture de l’État et de la société qui prennent bien soin de tenir ces quartiers loin des regards et des préoccupations des sociétés urbaines « comme il faut », qui vivent, elles, dans des quartiers aménagés. Jamais la guerre des classes n’a été plus évidente et plus violente que dans la guerre des bandes qui s’appellera bientôt la guerre des gangs. L’étendue du domaine de l’emprise, qui s’étend au moins de Marseille à Nîmes, est aussi une aggravation des formes de la violence.

Un marché qui grandit

Cette extension du domaine de l’emprise est, en même temps, donc, ce que l’on peut appeler une extension du champ des batailles, des affrontements : il s’agit, pour la guerre de l’emprise, de s’étendre, d’étendre le territoire des acteurs de la violence. Le marché du trafic connaît la même extension que la violence. C’est que les bandes marseillaises n’avaient pas assez de place à Marseille et sont, donc, en train d’aller chercher de nouveaux quartiers du côté de la périphérie de Nîmes. Comme si occuper de plus en plus de surfaces était une façon de montrer sa force, à la, manière des « grandes surfaces ». En effet, à bien réfléchir, en termes de politique de la ville et d’aménagement urbain, cette extension des zones de trafic et des espaces de mort figure une sorte continuité urbaine entre Marseille et Nîmes, à la manière des zones commerciales. L’extension du domaine de l’emprise s’inscrit, en ce sens, dans la même logique que celle du commerce : il s’agit de prendre le plus de place possible pour réduire la concurrence et pour montrer sa « force commerciale ». Le marché des stupéfiants est comme celui de la consommation ordinaire : il s’agit d’étendre les zones commerciales et de manifester la violence de l’emprise du commerce qui, comme celle du marché des stupéfiants, détruit les quartiers et les espaces d’habitation. Les marchés illicites exercent la même violence que les marchés considérés comme légitimes : il s’agit toujours de la violence des marchés et du libéralisme.

L’inertie des pouvoirs

La seule réponse des pouvoirs dits publics à la mort et à la violence a été d’envoyer des policiers, répondant, ainsi, à une violence par une autre. Prisca Borrel, dans Mediapart (26 août 2023) évoque « soixante ans d’inaction politique ». Dans les années soixante, les autorités de l’État – je ne parle même pas de pouvoirs – ont montré leur impuissance face à ce qui devenait le problème de la ville, du logement et de l’urbanisme en construisant des tours au rabais n’importe comment, en entassant les populations dans des espaces qui n’avaient de quartiers que le nom, et c’est aujourd’hui que les populations paient la facture – pas l’État. L’État, lui, a quitté les périphéries, il a construit les tours des quartiers Nord et de Pissevin et il est vite parti, en catimini, en se disant que c’était bien assez pour les classes populaires. L’invertie des pouvoirs a plutôt été du mépris. Il ne s’est pas tellement agi d’inaction, mais d’ignorance. Comme si les espaces des « Z.U.P. » n’existaient pas : comme elles n’avaient pas de nom, on les désignait par des sigles, et puis « la zone », on connaît : c’était le nom des quartiers de la périphérie de Paris quand les quartiers périphériques de la capitale ont commencé à se construire et à déconstruire la banlieue, le lieu du ban, de l’exclusion.

Le déni de la société

Depuis ces années soixante, la société a refoulé les espaces périphériques des villes, les zones et les banlieues, elle ne leur a pas donné le regard qui leur aurait permis d’exister. Et, par conséquent, comme elles n’existaient pas, pour les pouvoirs, celles et ceux qui les habitent n’ont pas existé non plus, on leur a dénié leur identité. Avant de vivre à Marseille et d’enseigner bien au chaud dans des universités, j’ai enseigné dans un collège à Garges-lès-Gonesse, une banlieue du Nord de Paris, à côté de Sarcelles. Comme les périphéries des quartiers Nord de Marseille et de Pissevin de Nîmes, cette localité avait été déniée par l’État qui ne l’avait peuplée que de tours, de barres et d’espaces dans lesquels il s’est agi d’entasser les populations. Mais, à ce déni de la société, à Pissevin, dans les quartiers Nord de Marseille ou à Garges, Sarcelles et environs,  les populations, ignorées, ont fini par ne pas trouver d’autres réactions que la violence et la mort. C’est la société toute entière qui est responsable des morts de Pissevin et des quartiers Nord de Marseille. Il y a deux sortes de mort : il y a la mort de celles et de ceux qui se font tuer, et il y a la mort de la ville dans ces quartiers. C’est bien pour cela qu’il y a une véritable urgence à agir. Sans quoi les morts et les emprises vont continuer à peupler les espaces urbains et à empêcher que l’on puisse les habiter.

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