Marseille : Livre Noir fait du journalisme “chez nous”

Billet de blog
le 9 Mar 2024
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Marseille : Livre Noir fait du journalisme “chez nous”
Marseille : Livre Noir fait du journalisme “chez nous”

Marseille : Livre Noir fait du journalisme “chez nous”

Née en 2021, la chaîne YouTube “Livre Noir” s’inspire de l’ouvrage d’Éric Zemmour pour s’ériger en porte-voix d’une droite radicale. Se démarquant initialement par des interviews façon Thinkerview, elle s’est tournée vers des reportages immersifs sur le terrain, gagnant en popularité avec plus de 370 000 abonnés et 49 millions de vues. Leur prochain projet, un reportage à Marseille, se distingue par une collaboration inédite avec le syndicat Alliance Police Nationale. Le passé de “Livre Noir”, marqué par la diffusion de théories complotistes et d’une rhétorique victimaire, incite à la vigilance.

Collaboration avec Alliance

3 mars 24 : lancement de la campagne du Rassemblement National à Marseille, l’équipe se rend sur les lieux pour couvrir l’événement, notamment sur X, réseau social débridé par le conservateur Elon Musk. C’est à cette occasion qu’elle aurait pris contact avec le syndicat Alliance Police Nationale, en vue de ses futurs reportages.

L’importance accordée aux sources policières dans le discours d’Erik Tegnér, figure centrale de ce projet, suggère une volonté délibérée de légitimer davantage ses affirmations en s’appuyant sur l’autorité perçue de ces sources. Jordan Florentin confirme être sur le coup en ayant contacté “le responsable du service régional de Police Alliance”.

 

Faux journalisme et manipulation

Leur précédent reportage, “Grand Remplacement 2 : Marseille !“, se distinguait par son ton alarmiste visant à amplifier les peurs et les inquiétudes sociétales. S’inscrivant dans la lignée de l’idéologie complotiste du “grand remplacement” popularisée par Renaud Camus et Éric Zemmour, il prétendait démontrer que ce prétendu “remplacement” était déjà en cours à Marseille.

La vidéo empruntait des codes journalistiques pour se donner une apparence de crédibilité, se présentant comme un simple micro-trottoir. Cependant, il manipulait l’information et instrumentaliserait la peur pour diffuser une vision biaisée et stigmatisante de la ville.

Le montage se focalisait sur des anecdotes isolées et des perceptions subjectives pour construire une “réalité” fantasmée et apocalyptique. Il ignorait les données statistiques objectives et les analyses sociologiques sérieuses, préférant alimenter un climat de peur et de division.

Le “Grand Remplacement” n’est qu’une théorie complotiste sans fondement, utilisée par l’extrême droite pour justifier ses positions xénophobes et islamophobes. “Livre Noir” n’a fait que relayer cette propagande, instrumentalisant la peur et l’ignorance.

La question de l’instrumentalisation des forces de l’ordre pour servir un agenda politique partisan se pose, tout comme l’évolution des contenus et leur influence. Ceci pour le plaisir du sénateur Stéphane Ravier qui s’était déjà prêté au jeu de ce membre de la fachosphère 2.0.

Cops façon Ravier : un sénateur dans les quartiers

“Livre Noir” s’associe à Stéphane Ravier, sénateur Reconquête! et figure controversée de l’extrême droite française, pour un reportage immersif dans des “cités stupéfiantes” des quartiers nord de Marseille.

L’inspiration de la série “Cops” est assumée, promettant “des images inédites” et nourrissant un imaginaire anxiogène et stigmatisant. Le descriptif de la vidéo, visionnée plus de 700 000 fois, évoque un “regard lucide et éclairé” sur la “réalité” à Marseille et nourrit un imaginaire anxiogène et stigmatisant :

« Parce que Marseille c’est aussi – malheureusement – le trafic de stupéfiants, un taux de délinquance ahurissant, des quartiers entièrement possédés par les délinquants, et une islamisation visible de certains territoires. Pour un regard lucide et éclairé sur la réalité à Marseille, le sénateur (RN) Stéphane Ravier nous fait faire le tour de la ville, embarqués en voiture. Des images inédites de certaines zones et une tension palpable à certains moments ».

Le discours de “Livre Noir” et de Ravier s’articule autour de clichés récurrents: trafic de drogue, délinquance, quartiers “possédés” par des délinquants, et “islamisation” de certains territoires et bien entendu de mimer JUL.

Miniature de la vidéo “Dans les cités de Marseille avec Stéphane Ravier”

Cette vision essentialiste et binaire de la société française nourrit des fantasmes anxiogènes et stigmatise une population entière.

Le reportage instrumentalise la peur et l’ignorance pour diffuser une vision biaisée et alarmiste de Marseille. La réalité complexe de la ville est réduite à une caricature simpliste, occultant les données objectives et les analyses sociologiques sérieuses.

“Livre Noir” et Ravier utilisent les codes du journalisme pour diffuser une propagande politique. Les “images inédites” promises ne servent qu’à illustrer un discours préconçu et à légitimer une vision xénophobe et islamophobe de la société.

L’opportunité de la censure

Si certains Youtubeurs engrangent des dizaines de milliers d’euros mensuels, la réalité est tout autre pour la plupart des créateurs, dont Livre Noir, dont les revenus semblent plafonner à quelques centaines d’euros, selon les estimations de ce calculateur de revenus YouTube.

Lorsque YouTube a bloqué la chaîne Livre Noir, soi-disant en raison du troisième épisode de “Grand Remplacement à Molenbeek“, l’opportunité était trop belle pour eux. La “censure” est devenue une forme de reconnaissance, leur permettant de se joindre au cercle fermé des “journalistes victimes” aux yeux de leur communauté. Ils ont ensuite affirmé (sur une page depuis supprimée de leur site) que le blocage était en réalité lié à des contenus impliquant l’influenceur identitaire Papacito, exclu de YouTube et en proie à des démêlés judiciaires.

Derrière leur façade de défenseurs de la liberté d’expression prétendument sous-financés, on découvre que Livre Noir bénéficie de financements importants, estimés à 300 000 euros au démarrage, provenant de l’entourage de l’élue d’extrême droite Marion Maréchal. Des revenus qui dépassent largement ceux suggérés par leurs abonnements à 4,99€/mois.

Après l’échec de la campagne présidentielle de Zemmour à laquelle ils étaient associés, et le départ de Jordan Florentin qui a rejoint Boulevard Voltaire, la chaîne Livre Noir cherche à se maintenir. D’ailleurs Jordan Da Rocha, de son vrai nom, voit l’obtention de la carte de presse comme un idéal, leur permettant de légitimer leurs “reportages objectifs” de terrain tout en bénéficiant d’avantages fiscaux, évoquant vaguement une réduction d’impôts de 30%.

Le malware Livre Noir

Comme le ferait un malware, il s’agit de modifier le système d’exploitation tout en bénéficiant des ressources de la machine pour subsister.

Cette stratégie d’infiltration viserait à changer de l’intérieur, un paysage médiatique qu’ils considèrent dominé par la “propagande” de gauche depuis des décennies, selon les dires de Jordan.

Une rhétorique qui rappelle celle de l’autre Jordan, celui du Rassemblement National, cherchant à “pirater le logiciel de l’Europe” tout en profitant des ressources de l’Union Européenne.

Dans ses vidéos, ils usent de conclusions ambiguës, comme un remerciement aux habitants de Marseille détourné pour contourner les questions sur le droit à l’image, ou un appel à soutenir des “victimes” suivi d’une affirmation sur l’importance vitale de leur action pour la “sécurité”. Cela rappelle la stratégie de l’autre Jordan qui, en tant que tête de liste du Rassemblent National, veut pirater le logiciel de l’Europe, comme le ferait un malware tout en bénéficiant des ressources de la machine pour subsister.

Un discours qui fait écho aux consignes du RN lors de meetings, où ils encouragent leur audience à clamer “on est chez nous”, véhiculant un sentiment identitaire. Repris en cœur cette phrase terminait souvent les meetings du Front National, comme un mantra.

En commentaire sur les réseaux sociaux, on peut lire :

« Mais si nous ne sommes pas chez nous, chez qui sommes-nous ? ».

Comme si certains pouvaient hésiter la remise en question de cette rhétorique excluante qui tend à nier la pluralité des identités et des origines qui font de Marseille, la cité phocéenne et non un laboratoire des idées rances.

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