CRITIQUE DU PROJET DE RÉNOVATION DU CENTRE-VILLE

Billet de blog
le 4 Nov 2023
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Dans « Marsactu » de vendredi 3 novembre, Marie Lagache proposait une réflexion critique sur les insuffisances du projet de rénovation urbaine du centre-ville de Marseille. Je suis allé voir, à mon tour, les documents qu’elle évoque dans son article.

 

Un trois-fenêtres du centre-ville aux persiennes closes. (Photo : B.G.)
Un trois-fenêtres du centre-ville aux persiennes closes. (Photo : B.G.)

Un trois-fenêtres du centre-ville aux persiennes closes. (Photo : B.G.)

Qu’est-ce que « l’aménagement du centre-ville » ?

Le projet d’aménagement dont il est question est né d’une urgence : il s’agissait de la situation imposée aux pouvoirs publics par l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne. Mais, comme toutes les catastrophes, cet événement était aussi une occasion pour repenser les insuffisances de la politique urbaine de la ville et pour imaginer une autre politique. Il est, à cet égard, significatif que le document s’intitule « du diagnostic au projet » : cela veut bien dire qu’avant, il n’y avait eu ni diagnostic ni projet pour l’urbanisme du centre-ville. Ne parlons pas, pour le moment, des autres quartiers de Marseille. Par ailleurs, en situant le projet « au cœur des stratégies métropolitaines », le document d’orientation pointe une des difficultés de l’urbanisme marseillais d’aujourd’hui : la confrontation entre les pouvoirs, ceux de la ville et ceux de la métropole, auxquels il faut ajouter les pouvoirs nationaux de l’exécutif. La première signification de l’aménagement du centre de Marseille est, ainsi, politique : il s’agit d’une mise à l’épreuve des compétences des pouvoirs. Une autre signification de l’aménagement du centre se situe dans le temps : il s’agit du constat que, si des immeubles se sont effondrés rue d’Aubagne et ont connu des accidents comparables rue de Tivoli, c’est en grande partie en raison des insuffisances de la politique d’urbanisme de la municipalité et de la métropole – voire de l’absence d’une véritable politique d’aménagement pendant des années. Ce qui frappe aujourd’hui, à la lecture des documents consacrés à la planification de l’aménagement du centre-ville, c’est qu’il n’y a toujours pas de véritable politique. L’insertion du projet dans son contexte se réduit à un ensemble de modalités institutionnelles, fonctionnelles, mais le « diagnostic » ne propose pas ce qui devrait constituer la première étape d’un véritable projet : une sorte d’état des lieux. Comme le dit Marie Lagache, c’est un album de photos dont la stratégie est absente. En effet, la « stratégie » proposée se réduit à l’évocation du « génie phocéen » (comme c’est beau…), ainsi qu’à la désignation de trois ambitions qui se réduisent à des noms, à des titres : « une capitale ouverte et radieuse », « une centralité populaire et accueillante » et « un centre-ville mosaïque et résilient », sans que ces mots désignent autre chose que des comparaisons avec d’autres grandes villes : Izmir, Lisbonne et Medellin, Athènes. Peut-être au lieu de faire l’objet d’une exposition de photos, le projet d’aménagement du centre-ville devrait-il consister dans une véritable étude des conditions de l’habitat et des activités économiques du centre, proposer des projets précis concernant des quartiers particuliers du centre (rue d’Aubagne, Bourse, cours Julien, etc.), se fonder sur des idées concernant des sites du centre.

 

L’absence d’un véritable projet

C’est ce qui frappe dans ces documents : il n’y a pas de projet. Les points sur lesquels s’appuient les documents, comme « un déjà-là à sublimer » se réduisent à des photos et à l’énoncé de thèmes d’intervention, comme « la convergence des approches patrimoniales et bioclimatiques » sans que soient réellement définis ces points, et, surtout, sans que soient précisées les modalités des interventions prévues. La « centralité métropolitaine singulière » se réduit à des cartes postales qui représentent un plan de 1584 à côté d’une photo de la tour Méditerranée, mais aucune précision n’est donnée quant à la façon dont les « ambitions » du projet seront réalisées. Il n’est précisé nulle part, par exemple, en quoi consistera précisément la « lutte contre l’habitat indigne et dégradé », en dehors d’une simple liste, sans description réelle, de mentions d’interventions à court terme et à long terme. C’est ainsi que le projet présenté propose une liste des interventions déjà mises en œuvre, mais sans aucune approche critique, sans aucun bilan, avec des idées : les « causes profondes » de la tragédie de la rue d’Aubagne sont évoquées, mais aucun lien n’est fait entre la connaissance de ces causes et leur articulation à l’élaboration du projet d’aménagement du centre-ville. Enfin, le document intitulé « du diagnostic à la stratégie » présente un « plan de résilience » réduit à des images et à des mentions de villes qui ne sont pas Marseille et dont on ne voit pas comment elles s’articulent au projet d’aménagement du centre-ville.

 

Que pourrait être un véritable projet ?

C’est bien beau, la critique, mais, me dira-t-on, « que faire ? ». D’abord, il est nécessaire d’articuler davantage la population présente du centre-ville de Marseille à ce que pourrait devenir celle du futur centre. En particulier, il est nécessaire de montrer comment la politique de la ville et de la métropole s’articulera au marché de l’immobilier et, en particulier, préciser comment les modalités de l’aménagement du contre-ville permettront d’éviter qu’il ne devienne un espace de « bobos », comme le sont devenus les centres des grandes villes partout dans le monde et comme il est en train de devenir ici. Par ailleurs, il est urgent de mettre en œuvre un véritable « diagnostic » critique sur les raisons pour lesquelles l’habitat du centre de Marseille s’est autant dégradé. Cela est dû à la fois à des raisons politiques (l’absence de véritable politique urbaine pendant les années Defferre et Gaudin), à des raisons sociales (la désertion du centre abandonné vers les quartiers des périphéries, qui ne sont pas de véritables quartiers car, dans ces espaces, il n’y a pas de véritables vies de quartiers, et à des raisons économiques : les entreprises et les commerces et les investisseurs ont quitté le centre et les propriétaires n’ont pas les moyens ni la volonté de s’engager dans la rénovation de leurs immeubles. Enfin, sans doute un véritable projet devrait-il se fonder sur une véritable connaissance du centre qui ne soit pas celle d’experts qui n’y vivent pas, mais sur l’expérience de la vie urbaine dans le centre et sur un débat, sur une confrontation, sur des débats, avec celles et ceux qui y vivent. Il faut rendre à l’urbanisme dans le centre-ville sa véritable signification politique : celle de la vie de la polis, de la ville.

 

Commentaires

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  1. RML RML

    J’ai lu aussi ces documents et mes impressions recoupent les vôtres. Mais, ce document, qui est tout de même un vrai travail quoi qu’on en dise, correspond bien à l’air du temps…
    Quant à vos propositions, il m’a semble qu’il y manque un élément : la transformation du centre ville en plate-forme hôtelière style airbnb ou conciergerie (la conciergerie étant en passe de devenir le modèle dominant). Ce n’est plus ici l’invasion des bobos qui est en train d’arriver mais une vraie transformation qui siècle continue rendra tout le reste de vos propositions obsolètes dans moins de 3 ans

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