“À Arles” l’anti-guide touristique qui esquinte la vitrine culturelle

Échappée
le 14 Jan 2023
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Orchestré par François Bégaudeau et le collectif Othon, le livre "À Arles" dresse le portrait sans concession d'une ville qui, en misant sur le tout culture, exile les travailleurs hors ses murs.

Imaginée par l
Imaginée par l'architecte Frank Gehry, la tour Luma, siège de la fondation Hofmann dont un des rédacteurs fait consciencieusement le tour. Photo : Coralie Bonnefoy.

Imaginée par l'architecte Frank Gehry, la tour Luma, siège de la fondation Hofmann dont un des rédacteurs fait consciencieusement le tour. Photo : Coralie Bonnefoy.

Il y a la tour Luma, les arènes et le Rhône. La Camargue qui lui donne son ampleur. Un maire “vu à la télé”, Patrick de Carolis, à la mesure de l’ambition commune : faire de cette ville moyenne, une capitale culturelle au rayonnement international. Dans un siècle lointain passé, il y a eu Buffalo Bill, parrain du folklore local et des corons en brique pour accueillir les prolétaires du sel.

Tout ceci est à Arles et dans le grand territoire qui fait de cette commune pauvre la plus vaste de France. Tout ceci est aussi rassemblé dans un drôle d’ouvrage à la couverture bistre en papier toilé, sobrement intitulé À Arles (Éditions Divergences) et signé du collectif Othon, dont les noms des membres apparaissent à la ligne du dessous.

Une bande de lettreux

L’histoire que ce livre ne raconte pas est celle d’une bande de copains, née sur les bancs de la fac de lettres de Nantes dans les années 90, au croisement de l’amitié, de l’amour du cinéma et d’un ancrage “à gauche”, disent certains, “marxiste”, précisent d’autres. Plus de 30 ans et quelques films plus tard, le collectif Othon (en hommage à un film de Jean-Marie Straub) continue d’exister, d’évoluer au fil des rencontres. Ici, c’est un livre. “Parce que, pour faire vivre l’amitié, il faut faire des choses ensemble”, raconte Stéphanie Vincent, membre de la première heure, désormais installée à Marseille.

À Valenciennes d’abord et maintenant à Arles pour ce nouvel opus, les 11 auteurs et copains ont imaginé une nouvelle manière d’être créatif ensemble, en interrogeant la ville. “Cela vient d’un désir, d’un goût pour l’essence même de la politique qu’est la ville”, raconte François Bégaudeau, écrivain, critique et cinéaste, “tête de gondole” et porte-parole du collectif. Nous avons déjà consacré plusieurs films documentaires à cette question de l’organisation de la ville à Montreuil, ou à Cergy“.

Arles à la chorale

Récit choral, “parfait anti-guide touristique, sans carte, ni image”, dixit Julien Ollivier, nouveau co-auteur, le livre s’appuie sur un dispositif résumé en couverture :

Onze rédacteurs.rices investissent une ville française moyenne. Chacun.e y déambule une semaine, y cible quelques lieux ou institutions, y rencontre des habitants lambda, y rencontre ou non de habitants moins lambda. (…) De texte en texte, une ville se dessine, singulière et exemplaire, à nulle autre pareille mais prise comme toute autre dans le mouvement général.

Arles est à la fois singulière et passablement banale. On y trouve comme ailleurs la piétonisation du centre-ville historique, l’embourgeoisement entre les murs et la relégation des pauvres hors les murs, le pari du tourisme à 360°, le poids des Airbnb… “Elle est aussi un révélateur d’enjeux contemporains, prolonge Stéphanie Vincent. C’est à la fois une ville musée et une ville pauvre. Elle illustre ce que le capital peut faire à une petite ville. La ville en général est un endroit incroyable pour voir les transformations d’une société“.

C’est lors d’une tournée des libraires pour son ouvrage En guerre que François Bégaudeau se fait raconter Arles par une libraire revenue à Arles : l’arrivée de Maja Hoffmann, l’empreinte d’Actes Sud, la transformation du centre-ville. Il propose donc à ses potes que l’acte 2 se fasse aux antipodes de Valenciennes.

L’homme à la roue

Nous étions en vacances ensemble dans le Sud, poursuit le porte-parole. Une partie d’entre nous est donc partie trois heures en ville pour une première observation, le point de départ d’une idée“. Celles-ci sont mises en commun le soir à la veillée. On s’y échange les contacts à interroger, comme une rédaction, débarrassée de toute ambition de neutralité. “Notre protocole prévoit que chacun y aille au moins une fois, entre quatre, cinq ou six jours“. David Deneufgermain circule sur une mono-roue électrique. Il revient plusieurs fois à Arles, juché sur son engin. Ce psychiatre valenciennois prend prétexte d’une installation de son cabinet pour aller à la rencontre des Arlésiens.

L’épisode suivant, mi-drolatique mi-dramatique, de son séjour arlésien raconte sa fuite alors qu’il “visite” en “roue”, comme il dit, le Trébon, quartier populaire, théâtre d’un règlement de comptes “à la marseillaise” qui a laissé un adolescent mort sur le bitume. L’arrivée de la roue et du Valenciennois est diversement appréciée sur place.

Drapeau rouge et têtes blanches

S’il se prend au jeu de l’écriture collective, le lecteur cherche dans le texte les marqueurs qui racontent d’où parle chaque rédacteur. Le psychiatre à la roue est le plus récurrent. D’autres n’interviennent qu’une fois. C’est le cas de Julien Ollivier. Prof marseillais et pièce rapportée, il est parti sur les traces du “parti disparu”, en prenant un Airbnb à Salin-de-Giraud, étrange coron de briques où le patron paternaliste de l’usine Péchiney a sa statue. Le prof marseillais terminera dans une “ferrade” du PCF où les militants communistes tentent de gagner une rosette à la tombola et célèbrent l’espoir de la Nupes, entre têtes blanches.

On aime le réel urbain et social. Cela amène à un texte précis, sans effet de style à deux balles.

François Bégaudeau

La drôlerie se niche dans les détails du réel, mis en scène avec délectation et sans afféteries stylistiques. “On se connaît depuis longtemps. On a même écrit ensemble un journal, du temps où on gérait un cinéma à Nantes, raconte François Bégaudeau. Cela produit une certaine harmonie dans les options d’écriture. Et on aime le réel urbain et social. Cela amène à un texte précis, sans effet de style à deux balles. Personne ne fait son malin“. Le texte, marqué d’une belle unité, se dévore comme une enquête où les subjectivités s’emperlent.

Place des hommes

À Arles se situe à l’endroit où se croisent les humanités. L’humanité marchande de Paul et Virginie, patrons d’agence d’intérim qui racontent le rapport au travail dans cette ville où le chômage est là et le labeur, ailleurs. En fin d’ouvrage, il y a aussi Vincent, ancien punk, travailleur de la sécurité dans les musées. Il est en colère, Vincent. Souvent dans le récit qu’il fait de la vie nocturne, il propose aux gens qui le niflent : “viens tu vas me parler au bord du Rhône“. Le rendez-vous des quais où on s’échange des coups. “T’étais sérieux avec ton histoire du Rhône ?”, interroge le rédacteur du collectif Othon. “Tu préfères que je lui dise vas-y pisse moi dessus, je suis un poteau électrique ?”, rétorque Vincent.

Vincent ne veut pas se salir les mains. Un peu plus loin, il force une meute d’étudiants qu’il croise à descendre du trottoir. “Ce sont ces mecs-là qui m’empêchent de dormir (…), ils louent à l’année des apparts dans le centre, personne n’y habite, c’est juste pour faire des soirées.” Vincent vit dans un ancien mas découpé en studios et ne dort plus vraiment. Et son jugement sonne comme l’envers de la carte postale arlésienne : “c’est un cauchemar, cette ville”.

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Commentaires

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  1. Magnaval Magnaval

    Le clown Begaudeau et sa bande de bourgeois donneurs de leçons qui croient comprendre une ville en y passant 4 jours…

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  2. Titi du 1-3 Titi du 1-3

    Sociologie 2.0 = sociologie à 2 balles.

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  3. MarsKaa MarsKaa

    Une expérience littéraire, un jeu entre copains, des gens de passage “à Arles” qui regardent, écoutent, décrivent, jugent… ok, sûrement une expérience intéressante à leur niveau, mais quel intérêt pour nous ? Pourquoi cet article Marsactu ? Parce que Begaudeau ?

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, nous avons reçu ce livre à la rédaction et sa lecture a été un grand plaisir. Il est drôle, pertinent parfois agaçant. Il nous a semblé intéressant de partager cette expérience avec nos lecteurs.

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    • MarsKaa MarsKaa

      Merci pour votre réponse Benoît.

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    • polipola polipola

      Merci, c’est une super idée de nous avoir partagé la découverte de ce livre 🙂

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  4. Manipulite Manipulite

    Loufoque. Bouvard et Pecuchet à Arles avec des bobos de Valenciennes ! À vélo pour écrire un livre de copains venus en vacances dans le Sud, écouter les braves gens pour les affranchir de leur asservissement au grand capital. Très années 70.

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  5. Hyvertm Hyvertm

    Les quelques erreurs d’écriture ne facilitent pas la lecture d’un article déjà un peu « perché ». Sans doute à l’image du sujet… c’est dommage!

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  6. GingerPoco GingerPoco

    Bof. C’est pareil à Nantes, Rennes, Bordeaux ou Lisbonne ! Les pauvres sont relégués en banlieue. Leurs apparts défraîchis et croulants sont rénovés pour faire du Airbnb, que nous utilisons tous ! C’est un système et ce n’est pas propre à Arles. D’habitude vous êtes plus percutants Marsactu, je suis un peu déçue.

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    • polipola polipola

      plus percutants ? Marsactu propose un livre qu’ils ont trouvé intéressant. J’espère (au moins) que vous l’avez lu pour balancer une telle critique.

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  7. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Un grand merci à Benoit Gilles pour cet article qui fait honneur à Marsactu malgré ce que semble exprimer les quatre premières réactions précédentes !

    Et pour celles et ceux qui ne satisfont pas seulement des nombreux articles encensant la fondation Luma et sa tour (copies / colles des communiqués de presse et des propos de ses promoteurs) on peut, pour se faire une opinion, aller voir les trois liens suivants dont un sur Télérama, l’autre sur la Libre Belgique et un troisième sur le média culturel Artistik Rezo.

    https://www.telerama.fr/debats-reportages/ouverture-de-la-tour-luma-a-arles-le-projet-flou-de-maja-hoffmann-6922346.php

    https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/08/31/la-tour-luma-a-arles-nenlaidit-elle-pas-le-monde-XOA3K4C2MVBQTLIRMLN3OEBPRU/

    https://www.artistikrezo.com/art/la-tour-luma-un-projet-controverse.html

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    • julijo julijo

      l’article sur le site artistikzero correspond bien avec ce livre du collectif othon.

      en passant en arles, j’ai remarqué évidemment cette tour, sa présence est assez déconcertante dans le paysage urbain arlésien. je me suis bien promis d’aller y faire un tour.

      mais il n’y a pas que cette tour, et arles est réellement et statistiquement parmi les communes les plus pauvres de france.

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  8. leb leb

    J’ai beaucoup de mal à comprendre ces critiques répétées envers la tour Luma qui est assez loin d’être un échec architectural et artistique. Il y a une forme de défiance qui fleure bon le poujadisme.

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    • Patafanari Patafanari

      Une sorte de déviance qui pue le fascisme, ouais!

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  9. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    à Patafanari
    14 janvier 2023 à 17h10

    En fait le vrai fascisme consiste à énoncer de simples affirmations ou qualificatifs sans aucun argument ni démonstration. “Il duce a sempre ragione” !

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  10. MarsKaa MarsKaa

    Mon commentaire était une réaction à l’article de Marsactu, pas au livre et à son contenu que je n’ai pas lu.
    Il se trouve que la réponse de Benoît Gilles, auteur de l’article, me donne plus envie de lire ce livre que l’article…

    Ce qui m’a agacé dans l’article c’est, non pas le sujet du livre -bien au contraire c’est ce qui m’a attiré à lire cet article- mais les auteurs du livre, leur présentation, leur façon de parler d’eux même, et de leur expérience littéraire, leur façon de procéder sur place, la place et le rôle qu’ils se donnent pour observer un territoire (et ses habitants) en souffrance.

    Or l’article parle plus des auteurs (qui ne m’intéressent pas, voire qui m’insupportent, a priori) que du sujet du livre, qui lui est intéressant : comment cette ville a évolué avec l’emprise d’acteurs extérieurs et comment va-t-elle mal aujourd’hui.

    Mais la démarche et la personnalité des auteurs, leur regard, tels que présentés dans l’article tout du moins, m’ont paru participer du même mouvement, celui d’acteurs extérieurs à la ville dArles qui en font leur terrain de jeu.

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  11. Christian Christian

    Avis personnel : rien de ce que je lis ici ne me donne envie d’acheter ce livre qui, si l’on se fie aux éloges qui en sont faits, semble superficiel et racoleur par rapport à ce qu’est vraiment cette ville en profondeur.

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  12. didier L didier L

    Ils étaient en vacances dans le sud … tout est dit !

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