Le recours aux travailleurs détachés crée des tensions dans la cokerie d’ArcelorMittal

Actualité
le 12 Jan 2022
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Depuis près d'une semaine, plusieurs salariés de la SAF, sous-traitant d'ArcelorMittal, sont en grève devant l'usine de Fos. Ils dénoncent le recours aux travailleurs détachés, moins payés, pour la réalisation de travaux dans la cokerie, au milieu de fumées toxiques.

Le plancher d
Le plancher d'enfournement de la cokerie en 2012. (Photo extraite du rapport "Programme sic-2015" de l'APCME)

Le plancher d'enfournement de la cokerie en 2012. (Photo extraite du rapport "Programme sic-2015" de l'APCME)

Chez ArcelorMittal, on parle d’eux comme des “premiers de cordées”. Une partie des salariés de la SAF, la Société artésienne de fumisterie, qui travaillent dans l’usine de Fos-sur-Mer, sont en grève depuis jeudi 6 janvier. Ce jour-là, lorsqu’une équipe de métallos de la SAF, qui travaille à temps plein sur le site d’ArcelorMittal, prend son poste, elle ne trouve pas de planning d’organisation des heures supplémentaires. Dans un communiqué, la CGT, à l’initiative du mouvement, détaille : “Nous avons appris de manière brutale que la direction avait décidé de nous retirer une partie de notre travail pour confier ces missions à des travailleurs détachés.”

Depuis, ils sont une trentaine, comme Ludovic Christin, délégué syndical CGT, à tenir un piquet de grève devant l’usine et comptent tenir au moins toute la semaine. “Nous travaillons toujours cinq jours sur sept, mais ce que l’on nous a retiré, ce sont les travaux d’étanchéité des portes des fours de la cokerie que l’on faisait en heures supplémentaires ou le week-end”, explique-t-il. Un travail payé double, dont la perte engendre, estiment les grévistes, une réduction de près de 400 euros sur la fiche de paie.

Nouveau contrat

Depuis peu, ArcelorMittal, l’un des plus gros pollueurs du département notamment à cause des émanations de fumées provenant de sa cokerie, a entamé des travaux de remise en état de ses fours. Un travail au plus près des fumées toxiques, qui ont valu à l’industriel d’être plusieurs fois pointé du doigt. Pour la pollution de l’air qu’elles engendrent, d’abord, mais aussi pour les conditions de travail de ses hommes, salariés ou sous-traitants. “Cela fait trois ans que l’on travaille dans les fumées, sans contrat, avec des bordereaux à la journée et une pression de dingue sur le dos. Et c’est comme ça qu’on nous remercie ?”, s’indigne encore Ludovic Christin.

Son employeur, lui, a une autre explication. “Les résultats obtenus sur les mesures relatives à la nouvelle activité “étanchéification” des portes de fours n’étaient pas stables dans la durée, en grande partie à cause d’absences, de retards et non-respect des horaires de travail (incluant les week-ends) de la part d’une minorité et ne permettaient pas de garantir les exigences techniques et réglementaires de notre client, malgré de nombreux
essais d’organisation”, écrit dans un communiqué diffusé ce mardi la SAF. Raison pour laquelle, poursuit l’entreprise, la direction a décidé “un mode de fonctionnement différent avec un redéploiement de tous les salariés SAF sur les tâches qu’ils effectuaient initialement et à sous-traiter cette activité.”

Selon nos informations, ArcelorMittal et la SAF viendraient tout juste de renégocier le contrat qui les lie.

Mais dans les couloirs des administrations de ces industriels, on raconte l’histoire un poil différemment : ArcelorMittal et la SAF viennent de signer un nouveau contrat qui s’étale sur cinq ans. “Le contrat a été renégocié entre Arcelor et la SAF. C’est pour cela qu’il y a dû avoir une réadaptation, glisse-t-on. Mais le montant annoncé de la perte de salaire est clairement exagéré. Et puis, le droit du travail n’impose pas à l’employeur de garantir des heures supplémentaires.” Rachetée il y a quelques années par le groupe portugais LizMontagenes, la SAF est notamment connue pour avoir largement recours à des travailleurs de ce pays.

Les mêmes règles pour tous ?

ArcelorMittal assure que sa direction respecte la législation française pour tous les travailleurs sur son site, qu’ils soient salariés directement par l’industriel ou par un sous-traitant, Français ou étrangers : “Les dispositions du droit du travail s’appliquent à tous : rémunération minimum légale, durée du travail, repos compensateur, paiement des heures supplémentaires, jours fériés, congés payés…”

Une affirmation battue en brèche par les grévistes. “C’est faux !, s’exaspère Ludovic Christin. Ils restent peut-être au niveau du Smic français, mais ils sont moins payés que nous et ils n’ont pas les mêmes avantages.” Dans leur communiqué, les grévistes disent ne pas être en opposition avec leurs collègues portugais, qui lorsqu’ils travaillent dans leur pays bénéficient d’un salaire minimum moindre. “Au contraire nous souhaitons défendre le respect des conditions de travail (…) pour tous !”, écrivent-ils.

Image d’un travailleur de la cokerie en octobre utilisant un masque à bec et non ventilé, comme cela est de rigueur. (Photo : DR)

Et si ArcelorMittal martèle que tout le monde “bénéficie des mêmes règles de protection, tant sur le plan de la santé et la sécurité au travail qu’au niveau du respect du droit du travail”, sur place, on ne constate pas tout à fait cela. En novembre dernier, la CGT a d’ailleurs alerté l’inspection du travail sur l’utilisation de masques à bec au lieu du masque ventilé, plus protecteur, comme c’est censé être le cas, par les travailleurs portugais. “Depuis, c’est rentré dans l’ordre, je pense qu’ils savaient qu’on allait faire du bruit”, ajoute Ludovic Christin. Pour l’heure, la direction affirme qu’un dialogue ne pourra avoir lieu que si la grève cesse.

S’ils ont recours à eux plutôt qu’aux Français, c’est forcément qu’ils ont des intérêts financiers.

Sandy Poletto, CGT ArcelorMittal

Dans l’usine, cette grève des salariés de la SAF est soutenue par les syndicalistes d’ArcelorMittal. “Normalement, on voit des travailleurs détachés arriver quand il y a des travaux ponctuels à faire sur quelques mois. Mais là, les Portugais sont là à l’année, commente Sandy Poletto, secrétaire général CGT chez ArcelorMittal. Et s’ils ont recours à eux plutôt qu’aux Français, c’est forcément qu’ils ont des intérêts financiers.” Des intérêts cachés derrière des écrans de fumées.

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Commentaires

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  1. Andre Andre

    Un des premiers avantages pour l’employeur qui a recours aux travailleurs déplacés est que les cotisations sociales sont versées selon les règles du pays d’origine. Une manière d’organiser le “dumping” social au sein de l’UE, en toute légalité.

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