Chocolat clown nègre, caricaturé mais en haut de l'affiche
Chocolat clown nègre, caricaturé mais en haut de l'affiche
Entretien avec Marcel Bozonnet comédien, metteur en scène, ancien directeur du Conservatoire supérieur national d’art dramatique et ancien administrateur de la Comédie-Française.
Pourquoi avez-vous pris la décision de réaliser une pièce avec la collaboration d’un historien, en l’occurrence Gérard Noiriel ?
Il se trouve que Gérard Noiriel est l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration et de l’identité nationale en France, et qu’il travaillait depuis un moment déjà sur le personnage de Chocolat. A ce propos, il avait organisé en 2009 une conférence-spectacle sur le sujet. Il a également écrit un ouvrage historique Chocolat clown nègre, qui sera imprimé aux éditions Bayard le 1er mars prochain. J’ai eu connaissance de ses recherches et de son travail, et nous avons eu le même désir de travailler ensemble, voilà un an et demi.
Pouvez-vous nous raconter brièvement l’histoire de Chocolat ?
Rafaël de Leïos dit Chocolat est né esclave à Cuba en 1864. Il a dix ans lorsqu’il est acheté par un Portugais. Arrivé en Europe, il se sauve alors qu’il travaillait dans les mines de fer de Bilbao. Adolescent, il devient porteur de bagages pour un artiste du Nouveau Cirque français, au 251 rue Saint Honoré, aussi prestigieux à l’époque que le Cirque d’Hiver aujourd’hui. Le Nouveau Cirque est particulier puisqu’il est doté d’une piscine destinée à un spectacle de patronymie nautique. A 18 ans, Chocolat est choisi par le directeur du cirque pour être le meneur d’une revue nautique, « La noce de Chocolat ». Il connaît alors le succès. En partie d’ailleurs grâce à cette façon africaine et métissée de bouger, ramenée de la Havane, qualifiée d’épileptique, de frénétique par le public. Cocteau appelle cela « l’Invasion américaine du rythme »…Il s’agit en fait du cake-walk, en quelque sorte l’ancêtre du hip hop. Pour la première partie de sa carrière, personne ne s’occupe de savoir si Chocolat est blanc ou noir. D’ailleurs à cette époque les blancs pensaient que les noirs étaient des blancs déguisés… Par la suite, le clown Footit fait son apparition. Ensemble, ils forment un couple de clowns illustrant parfaitement la théorie de Jules Ferry ( Il existerait des races supérieures qui auraient le devoir de civiliser les races inférieures ndlr.) : le clown blanc et « l’Auguste », l’homme-enfant un peu benêt.
Chocolat vu par les frères Lumières:
Chocolat semble prêter le flan à la moquerie, répondant de manière apparemment délibérée au « mythe du bon sauvage » ? Est-il en mesure de faire autre chose dans cette société coloniale ?
C’est vrai que Chocolat ne se contente pas de subir la situation, il devance largement la moquerie. Il connaît parfaitement l’idée que les gens se font de lui et il prend le parti d’en jouer. Il le veut bien ! Contrairement à ce que l’on a pu croire, il est à égalité avec Footit. Mais il choisit de se faire l’objet de la caricature. Chocolat n’arrêtait pas de "faire le con". Il était tout le temps en représentation, même en dehors des spectacles.
Avec un tel succès, comment expliquer que Chocolat tombe dans l’oubli ?
Les choses changent à l’époque de l’affaire Dreyfus, des pogroms de Russie. On commence à prendre conscience que la théorie des races inférieures n’est pas politiquement correcte, que cela relève du racisme. Du coup, on apprécie beaucoup moins le spectacle pour des raisons morales. Les gens n’ont pas envie de revenir sur un jugement qu’ils avaient porté, de se remettre en cause. Ils préfèrent délaisser ce spectacle, tout simplement. La chute de Chocolat est liée à cet ensemble de causes. Ajoutez à cela les débuts du cinéma, l’arrivée des spectacles sportifs, accélérant le déclin du cirque et mettant à l’affiche d’autres noirs…
Avez-vous pris, pour les besoins de la mise en scène, une certaine liberté par rapport à l’histoire ?
Pour commencer nous étions évidemment contraints de condenser un peu l’histoire de Chocolat. Bien sûr, nous avons pris des libertés mais en essayant tout de même de rester historiquement justes. Nous avons ajouté un peu de fantaisie, de tragique aussi, voilà tout.
Chocolat, clown nègre est une pièce aux sujets très actuels : les stéréotypes sur les minorités, le racisme. Au fond, votre pièce est politique. Mais pensez-vous qu’il est juste de comparer les comportements et les mentalités d’une époque avec le monde contemporain ?
La pièce est une ombre projetée sur notre époque. Je veux dire par là que si l’on ne peut pas établir de comparaison directe avec l’Histoire, celle de Chocolat – telle qu’elle est présentée – nous informe tout de même sur notre société de manière indirecte. On fait parler Chocolat, on le rend vivant. Il n’est pas uniquement une affiche! Dans la pièce on lui attribue d’ailleurs cette réplique savoureuse : « On se fout de ma gueule mais je reste en haut de l’affiche ». Mais enfin… Son histoire est révélatrice d’un racisme qui perdure en France dans la mesure où l’on n’honore pas les gens de couleur. Il est tout de même bien étrange qu’il ne soit pas connu, alors qu’il est le premier artiste noir à fouler le sol français ! On ne trouve pas le moindre centre culturel à son nom. On commence seulement avec Joséphine Baker à considérer les gens métissés…L’injustice demeure. Chocolat est enterré au Carré des Indigents alors que Footit est inhumé au Père Lachaise. La France a un problème avec son Histoire. La preuve, nous n’avons toujours pas fait la paix avec l’Algérie !
Vous êtes un homme de convictions, considérez-vous que l’art, le théâtre en particulier, peut être mis au service de celles-ci ?
Je suis profondément intéressé par la totalité du théâtre. Mais tout autant par les autres cultures et les autres civilisations. Je travaille tout simplement sur des trucs qui m’animent, des sujets qui traversent la société. Je me suis toujours intéressé à l’évolution de celle-ci et milite également pour la Syrie dont le sort m’inquiète. Je m’y suis rendu six fois. J’ai d’ailleurs l’intention de distribuer des tracts aux spectateurs lors de la représentation de Chocolat, clown nègre. Mon prochain spectacle s’intitulera Le Cherche-refuge. Le thème évoqué sera celui des réfugiés, exilés et indésirables. Je l’ai préparé avec un anthropologue, spécialiste des camps de réfugiés.
La dernière représentation du spectacle aura lieu ce soir, à 20 h 30, au théâtre du Gymnase de Marseille. Dépêchez-vous pour les dernières places. Renseignements au 0820 000 422 ou sur le site www.lestheatres.net. Tarif: de 22€ à 9€.
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Cette interview est hallucinante. “Cette façon africaine et métissée de bouger, ramenée de la Havane”? De quoi parle-t-il exactement? Y a-t-il une facon africaine de bouger? Et si elle vient de Cuba, pourquoi est-elle africaine?
“Pour la première partie de sa carrière, personne ne s’occupe de savoir si Chocolat est blanc ou noir. D’ailleurs à cette époque les blancs pensaient que les noirs étaient des blancs déguisés.” Ceci ne peut pas etre serieux. Balayer d’un revers de la main des siecles d’exploitation, d’esclavage et de violence raciste en disant que “les blancs pensaient que les noirs etaient des blancs deguises” est honteux.
Et pourquoi s’obstiner a surnommer “Chocolat” (sic) un artiste dont le nom est Rafaël de Leïos?
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Évidemment, le metteur en scène ne considère pas qu’il existe “une façon africaine de bouger”, il rapporte juste la pensée d’une époque à propos de la danse “Cake-walk”. “rapportée de la Havane”, tout simplement parce que l’artiste venait de Cuba où il était né esclave africain. Le metteur en scène ne balaie rien du tout, il explique simplement et justement la pensée d’une époque (pleine de préjugés racistes, tout le monde en convient, Marcel Bozonnet le premier). Le metteur en scène a justement souhaité rendre hommage à un artiste injustement oublié.Chocolat est le nom de scène de Rafaël de Leïos, c’est tout simplement pour cette raison qu’il est utilisé.
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Mais a cette epoque – pardonnez-moi d’insister – qui pensait que “les noirs etaient des blancs deguises”? L’epoque dont on parle est l’apogee de l’empire colonial francais! Si Bozonnet est de bonne foi, alors sa formulation est extremement maladroite et s’ajoute malheureusement au racisme ordinaire qui vise la communaute francaise d’origine africaine. Cette interview me rend furieux et triste.
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Pour continuer cette conversation, cet article de rue89 cadre bien le debat: http://www.rue89.com/rue89-presidentielle/2012/02/04/pascal-blanchard-les-noirs-de-france-ne-sont-pas-des-victimes-228978 (a lire jusqu’au bout, le plus savoureux est a la fin)
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Dire que Chocolat est aujourd’hui oublié, ce n’est pas tout à fait vrai. Dans les livres sur l’histoire des clowns, il paraît comme un des clowns les plus importants de l’histoire. Voir, par exemple, “Les Clowns” de Tristan Rémy, où “Clowns” de John Towsen, qui sont les livres les plus importants sur l’histoire des clowns.
Jon Davison,
Clown et Historien de Clown
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