Face à la rocade L2, les damnés de l’autoroute n’entendent plus se laisser faire
Depuis ce mercredi, les habitants du lotissement des Castors de Servières vivent au croisement de l'autoroute A7 et de la nouvelle rocade L2. Après des mois de négociations avec l'État et la société de réalisation, ils ont décidé de passer à l'offensive en demandant la désignation d'un expert judiciaire.
L'une des bretelles d'accès à la rocade surgit sous les fenêtres de Cevat Ozel.
Ce mercredi, certains habitants des Castors de Servières (15e) ont entendu de joyeux klaxons. Pas ceux des habituels bouchons qui s’étirent sous leurs fenêtres, en surplomb immédiat de l’autoroute A7 mais les tut-tut-tut guillerets des automobilistes qui empruntaient pour la première fois la rocade L2. L’autoroute urbaine ouvrait ce jour-là au trafic automobile dans le sens du Nord à l’Est.
“On sait que c’est un projet que les gens attendent depuis un siècle et que ça va simplifier la vie des Marseillais, explique Chadia Ouartani qui habite la traverse du mazout. Nous, nous subissons la L2 depuis 2014. Avec les travaux, on a subi l’enfer et je pèse mes mots. Maintenant on va vivre avec la pollution et le bruit et faire subir ça à nos enfants. Ce n’est pas possible”.
Un expert judiciaire aux Castors
Après des mois de négociations, 15 riverains des Castors ont décidé de porter leur affaire devant les tribunaux. Ils ont obtenu la nomination d’un expert judiciaire. Plusieurs fois depuis septembre, après le dernier arrêt de la cour administrative d’appel, il est venu constater ce que les riverains dénoncent depuis des mois (lire notre article).
“Il est déjà venu plusieurs fois aux domiciles de copropriétaires que je représente, explique Henry Bouchara, avocat des plaignants et de la copropriété. Il est encore venu le 12 octobre dernier pour constater cette fois-ci les dégâts causées à la copropriété du fait du chantier.”
L’expert judiciaire aura pour tâche de “décrire les désordres affectant les propriétés et les parties communes” et de préciser “le lien de causalité avec les travaux de réalisation de la rocade”, le coût et la durée des travaux qui seraient nécessaires pour y remédier. Et enfin de recueillir tous les éléments permettant à un juge de “déterminer les responsabilités encourues et de chiffrer les préjudices subis, y compris les nuisances éventuellement subies en raison du bruit et de la pollution”.
Chantier de nuit
Ce dernier point est crucial pour les habitants. Tous décrivent le “bruit infernal” des engins de chantier, parfois en pleine nuit durant les travaux. À de nombreuses reprises, ils sont directement intervenus pour les stopper, au grand dam de la société de réalisation de la L2, qui voyait le risque de retard – et donc de pénalités – se profiler à l’horizon. “Concernant le bruit, l’État avait pris des engagements très précis notamment la nuit, reprend Henry Bouchara. Cela ne devait pas dépasser 63 décibels et c’est au maître d’ouvrage d’apporter la preuve que ça n’a pas été le cas”.
Mais, au-delà de ces aléas d’un chantier colossal à leurs fenêtres, les habitants craignent les nuisances permanentes d’une rocade. “J’ai compté maintenant nous avons douze voies qui passent juste devant chez nous, s’énerve Kader Boulaouad. On a beau dire qu’on avait l’A7 et pas de murs anti-bruit avant, c’est pire aujourd’hui”.
Effectivement, traverse du mazout, la rumeur est constante. Cela vrombit, pétarade ou brinquebale selon la nature du véhicule. Pourtant la rocade de contournement ne fonctionne que dans le sens Arnavaux-Saint-Loup. La semaine prochaine, la société de réalisation doit procéder aux derniers ajustements pour permettre son fonctionnement dans les deux sens. Ce sont alors des dizaines de milliers de voitures qui emprunteront l’échangeur de Saint-Antoine.
Pour la société de réalisation de la rocade L2 (SRL2), Inouk Moncorgé, directeur général soulignait lors de la visite de presse précédant l’ouverture au trafic que “les Castors de Servières n’avaient jusque-là aucune protection autre qu’un grillage”. Il avançait aussi l’hypothèse qu’une fluidification du trafic grâce à la L2 permettrait de limiter les nuisances.
Nécessité de casquettes
“C’est peut-être vrai, reconnaît Chadia Ouartani. Mais l’autoroute était plus loin et il n’y avait que six voies. Ces murs ne coupent pas le bruit. Ce que l’on veut, c’est qu’ils posent des casquettes au-dessus”. Ces casquettes ont déjà été abordées lors de plusieurs réunions. À chaque fois, la SRL2 met en avant le cahier des charges du contrat de partenariat public-privé. Et les fameuses casquettes n’y figurent pas.
Un peu plus bas, juste au bord des Castors, habite Cevat Ozel. Cet artisan en bâtiment d’origine turque a racheté une ancienne ferme située à l’exact croisement entre la voie SNCF, l’A7 et une des bretelles d’accès à la L2. Si l’écran se prolonge un peu le long de sa maison, il s’arrête brutalement, lui laissant un accès direct à l’entremêlement de voies rapides et la rumeur qui s’en exhale. Un simple grillage le sépare de la route. Des pierres ont été placées sur le délaissé de voirie pour éviter l’installation de campements et rien de plus.
“Du côté des Castors, ils ont planté le long du mur des petits arbustes, dit-il dans un français rocailleux. Pour moi, rien n’a été fait. Pareil pour l’ancien mur du cabanon qu’ils ont détruit après m’avoir exproprié. Ils devaient le refaire à l’identique et ils ont tout laissé en l’état. J’ai placé des grilles moi-même pour pas que mes enfants y aillent.” Ces voisins des Castors disent que ce mur absent a aussi un effet sur l’écoulement des eaux qui ravinent “et emportent la terre”. “Et puis maintenant on entend le TGV qui passe, c’était pas le cas avant”, ajoute Chadia Ouartani.
Pour l’ensemble des habitants rencontrés, les avancées des travaux de la SRL2 dans le quartier ont subi un sérieux coup de frein depuis que leur différend a pris un tour contentieux. Un sol qui devait être enduit ne l’est plus, un grillage qui devait être posé est resté en l’état. C’est ce que constate Mohamed Yemloul, propriétaire de la première maison de l’avenue Gay-Lussac. Sa maison est désormais entouré d’un mur surmonté d’une ridelle métallique. “Mais ils ont laissé un écart entre le mur de chez moi et leur mur, se plaint-il. N’importe qui peut s’infiltrer dans la copropriété. Ma maison, c’est la maison de la L2 pour tout le monde, elle ne vaut plus rien”.
Sensation de mépris
En filigrane, derrière les échanges avec la rocade L2, pointe souvent le soupçon d’un intérêt financier qui viendrait justifier les procédures lancées par les propriétaires des Castors. “Mais oui, se défend Chadia Ouartani. Vous croyez qu’on fait ça pour des pâquerettes ? Je le fais parce que ma maison a perdu de la valeur. Si je veux partir pour que mon fils respire un autre air, c’est en étant indemnisée à la hauteur de notre préjudice”.
Il y a aussi, en bruit de fond, l’impression d’avoir été méprisés et par l’État et par la société filiale de Bouygues et d’un consortium bancaire. Cette sensation revient souvent dans les propos et la procédure en cours est aussi une réponse à cela. “Regardez le boulevard Gay-Lussac, pointe Kader Boualouad. Depuis qu’on a attaqué, la métropole est venu faire des travaux, refaire les trottoirs. En 30 ans, c’est la première fois que cela arrive”.
L’épisode de la fresque des Castors est exemplaire de cela. Dans le cadre du partenariat entre la société de réalisation et l’association Planète émergences le mur anti-bruit a été recouvert d’une fresque qui décline les mots “quartiers Nord”. Une assignation qui a eu le don d’ulcérer certains habitants. “Dans la France entière, tout le monde sait ce qu’il y a derrière ces mots, s’emporte Chadia Ouartani. Il y a la racaille et les kalachnikovs”. Après une réunion sous l’égide de la L2, le grapheur Sowat a accepté de revoir sa copie. “Il a peint les lettres Art et Or en doré. Cela met de l’or dans l’art mais ça n’efface pas les quartiers Nord”. Un peu comme la L2 qui traverse ces quartiers sans forcément leur apporter de bénéfice.
Commentaires
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Mais enfin… puisqu’on vous dit (la Provence en a fait sa Une il y a quelques jours) qu’on va “enfin mieux respirer à Marseille” … en y rajoutant une autoroute ?!
Attendez six mois, et les riverains de Sakakini se plaindront que les voitures (qui ont horreur du vide) y seront revenues en nombre et autant qu’avant…
C’est ce qu’on a constaté partout dans le monde : augmenter l’offre de voies n’a jamais fait diminuer le trafic. LA voiture est un gaz qui emplit tout l’espace qu’on lui donne !
On ne peut que plaindre les pauvres gens qui habitent là et comprendre qu’ils veulent être indemnisés pour le préjudice et pour pouvoir partir, pour pouvoir vivre plus longtemps !
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“augmenter l’offre de voies n’a jamais fait diminuer le trafic” c’est tout à fait ça !
Le but n’était pas vraiment de “vider” la ville des voitures, mais d’accéder plus facilement d’Aix à Aubagne, toulon…
Si “ils” avaient voulu vraiment détourner la circulation du centre ils n’auraient pas fait autant de sorties en ville (non prévues au départ et rajoutées ces derniers temps) qui ramènent une partie des véhicules en ville…
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L2 : j’imagine la même “saignée” autoroutière, dans le 12eme, au hasard… Inutile de faire preuve d’imagination, elle existe!… en sous-terrain…
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même pas ! pas du tout souterrain partout !. Mieux lotis que les quartiers nord, les quartiers du 12e sont à peine plus protégés. Le flot des voitures qui se déversent aux sorties de st barnabé et st jean du désert bloquent définitivement le quartier tous les soirs et tous les matins.
Une couverture protège davantage bois luzy et montolivet mais la L2 est à ciel ouvert à la fourragère contiguë avec une école élémentaire, un collège, un lycée public, et un privé …. et les nuisances sonores et la pollution de l’air sont maximum.
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