Marathon d’amours
Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Pour ce week-end de lancement, il s'est livré à un vrai marathon.
La maison où on passe. Compagnie Skappa. photo : Caroline Dutrey
La sirène a retenti, il était donc midi juste, il a descendu les escaliers de l’Opéra en soufflant dans son cor anglais, est monté sur la grande table, a empoigné une longue trompe, de jeunes cuisiniers l’ont rejoint, debout sur des chaises ils ont battu la crème en rythme, d’autres ont apporté des choux, un autre grondement de la sirène et on a dégusté, nous tous, ce public de la rue, leur chantilly faite en musique : le marathon de Quel amour ! était lancé par la Partition pour batterie de culs de poule…
Ce n’était qu’un échauffement, le vrai signal de départ a eu lieu, nuit tombée, sur le Vieux-Port : l’incroyable Groupe F, roi des spectacles pyrotechniques, a mis le ciel en feu. Ça jaillissait de la mer, noire elle aussi, deux hommes blancs suspendus dans le ciel crachaient flammes et feux. Deux autres semblaient flotter dix mètres au-dessus de l’eau, mais dansaient aussi sur des flammes. Cela jaillissait de partout, l’espace entier devenait multicolore, et à un moment un cœur s’est dessiné avec les étoiles du feu. On était quelques milliers et beaucoup ont marché jusqu’au Mucem.
En bas de ce musée qu’on voit rarement de nuit, une disc-jokey aux ailes blanches dansait sur Vertige de l’amour, la si émouvante chanson de Bashung devant un parterre conquis, quelques couples dansaient, d’autres grignotaient. Au deuxième étage l’Agence de Voyages Imaginaires faisait rire et rêver un public qui affichait volontiers des sourires énamourés. Bérénice en tutu rouge écoutait Titus en costume impeccable, rayé noir et rouge, pour un amour impossible –et tellement drôle. À côté, dans un petit cirque ovale, une boxeuse et un boxeur en tenue de combat enfilaient leurs gants avant le premier round, les coups partaient, ouille, elle tombait, aïe, se relevait, cognait et ce match les rapprochaient tant que le combat se concluait par un tendre baiser. Les artistes de l’AVI, comédiens, musiciens et animateurs, faisaient encore de cette première journée de Quel Amour ! un moment aussi étonnant que joyeux.
Le samedi soir suivant, c’est à la Friche la Belle de Mai que se poursuivait le feuilleton de Quel Amour ! Expositions, tables rondes et, le soir venant, les animateurs des 1001 Nuits, accueillaient sur le toit terrasse à 18h11, heure précise du coucher du soleil, pour un moment de lecture collective. Dans ce panorama urbain qu’on surplombait, le coucher de soleil s’apercevait sous le manteau gris sombre du ciel nuageux. On y entendait, lus par les amateurs de la troupe, quelques phrases de la conteuse Sheherazade ou des morceaux de conversations collectées partout en ville. Monique, par exemple, qui “habitait au 61” racontait à Danièle comment sa maman montait travailler par la “rue bleue” vers la manufacture des tabacs devenue la Friche.
Musiques de toutes sortes, débats et signatures d’auteurs avant, au Cabaret Aléatoire, un montage des images captées par Antoine d’Agata “au cœur des ténèbres”, au Japon, au Cambodge, au Mexique ou ailleurs. Un choc. Violent. Dix-huit écrans vidéos à partir de morceaux de ses films (et des bouts pris ailleurs) : une prostituée asiatique qui souffre de brûlures sur son ventre infligés par un homme ; un couple qui fornique dans un bordel, le cadavre de Che Guevara longuement filmé ; des étoiles sous lesquelles on lit “l’humanité devient un cauchemar“, “ces cris qui s’échappent du monde” ; un bidonville au ralenti, un homme nu, des corps avachis longuement regardés. Des images accompagnées par la musique brutale au rythme lancinant lancée par les deux gars de la Bande Adhésive : elle secouait les os et tout le corps sous des rayons lumineux qui éblouissaient. À peine supportable, d’un pessimisme horrible, mais d’une étonnante puissance.
Le dimanche matin, devant des images du film de Fassbinder L’amour est plus froid que la mort (1969), la poétesse Liliane Giraudon lisait un long passage de son L’amour est plus froid que le lac : “ça commence au printemps un jour de rêve”, la douceur était revenue.
Mais elle avait été présente, tout le week-end et très intensément, lors du parcours théâtral proposé par la compagnie SKappa et associés : La Maison où l’on passe. On était accueillis dans « une maison des plaisirs » d’une réjouissante ambigüité par un pianiste et la maîtresse de maison dans un salon d’hôtel… de passes. Avant de visiter, deux par deux, les chambres : dans l’une, allongés sur un lit, on entendait des chuchotements, à peine audibles, devant des images d’enfance. Dans une autre on était accueillis par une infirmière jouant avec les mots évoquant désir et âme pour inventer un diagnostic-poème qu’elle tapait à la machine. Ces instants devenaient magiques et d’une incroyable douceur. On était bien dans Quel Amour !, mais cette fois on y ajoutait volontiers un point d’interrogation : il s’agissait bien d’amour. Mais duquel ?
La suite de la saison le dira peut-être à chacun d’entre nous.
Commentaires
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Mais il fallait être aux Bernardines et au Gymnase pour rencontrer la nouveauté et le sens de la fête : deux nuits blanches déjantées, joyeuses, amoureuses, 5000 personnes aux anges. Un peu triste la Friche.
Fallait oser se rendre dans ces lieux, certes plus conventionnels, mais tellement créatifs pour l’occasion.
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Roméo et Juliette de Preljocaj à la Cirée, très beau également.
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*la Criée …
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Petite précision : Pour le spectacle à midi pile devant l’opéra, il ne s’agissait pas de cor anglais (qui ressemble à un hautbois, à peine plus grand), mais d’un cor des Alpes (en épicéa, plus de 3m de long). Les autres cors présents étaient des cors d’harmonie (cuivre en forme d’escargot), que les anglo-saxons appellent “french horn”.
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Désolé : je désignais par cor anglais, ce french horn, ce qu’en matière de jazz (où souvent on connait mal ce genre de vocables), on croit être un cor anglais. Mais je ne le confondais pas avec avec le cor des Alpes que le musicien, debout sur la longue table, a ensuite empoigné
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