La chambre régionale des comptes plonge dans l’entre soi du Cercle des nageurs de Marseille

Décryptage
le 23 Sep 2022
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L'association à la tête du plus célèbre complexe aquatique de la Ville a vu ses comptes analysés par les magistrats financiers. Sans surprise, le Cercle des nageurs marseillais gère à la fois le club privé et les activités bénéficiant d'argent public, sans toujours tracer de limite claire.

Le cercle des nageurs, en surplomb de la plage des Catalans. (Photo : VA)
Le cercle des nageurs, en surplomb de la plage des Catalans. (Photo : VA)

Le cercle des nageurs, en surplomb de la plage des Catalans. (Photo : VA)

Ahhh… Le Cercle des nageurs de Marseille, ses notables en sortie de bain éponge, son restaurant avec vue panoramique sur les manants des Catalans, ses subventions publiques renouvelées chaque année sans ciller. La chambre régionale des comptes (CRC) épingle à son tableau de chasse une institution marseillaise, qui, depuis un siècle, brille dans les bassins olympiques tout en réunissant une grande partie de la bourgeoisie marseillaise.

Autant le dire d’emblée, le rapport définitif que la CRC vient de rendre public ne contient pas d’éléments scandaleux sur la gestion du Cercle entre 2015 et 2020. Il n’y est même pas question de la subvention d’1,8 million d’euros envisagée en 2018 par le conseil départemental pour financer de nouveaux vestiaires. Son retrait quasi immédiat par Martine Vassal devant le tollé suscité la rend invisible aux yeux de la chambre.

Un demi-million d’argent public par an

En revanche, le rapport documente avec précision la gestion de cette association qui a consommé en moyenne un demi million d’argent public chaque année pour un budget global qui tourne autour des cinq millions d’euros sur la période observée. Ville, département et région contribuent au soutien au sport de haut niveau, même si la municipalité a choisi, depuis 2020, de retirer ses 250 000 euros de subventions annuelles.

La chambre note les tarifs prohibitifs pour entrer au cercle : 2000 euros, puis 1550 euros par an.

Le Cercle des nageurs conserve, dans sa gestion comme dans son organisation, le caractère privé d’un club de notables où on entre par cooptation, nécessitant un droit d’entrée de 2000 euros et une cotisation annuelle moyenne de 1550 euros. Pas de quoi permettre “l’adhésion de membres issus de catégories sociales moins favorisées”, note la chambre.

Cette critique, Paul Leccia, président du Cercle depuis 32 ans, la balaie d’un revers de la main, en précisant dans sa réponse au rapport que certains membres choisissent l’accès au club “au détriment de vacances ou d’autres dépenses”.

Le bien-être des sociétaires, plus cher que le sport de haut niveau

Cette particularité notable déteint forcément sur la gestion du club. En effet, le palmarès sans égal du Cercle justifie sans nul doute de placer en tête de son objet social “la pratique du sport de haut niveau”, une mission dont ses membres sont censés être solidaires. Mais, en opérant une analyse fine de sa comptabilité, la chambre ne place pas ce domaine en tête des charges de l’association.

Si elle est coûteuse en personnel, la présence des nageurs et poloïstes coûte moins que les installations utilisées par les membres sociétaires. La chambre en fait la liste : “le bassin extérieur à l’eau de mer, des cours d’aquagym et de yoga et pilate (…) mise à disposition d’un sauna, d’une salle de musculation, d’un terrain de beach-volley, de pétanque, de beach-soccer et d’une salle de foot indoor”.

Même dans l’usage des bassins, les nageurs d’élite sont minoritaires avec 14% de présence dans l’eau contre 15 % dédiés à la formation et 68% au bon plaisir des membres.

La chambre estime “le coût de l’activité dédiée aux membres à 3,3 millions d’euros”. Rapporté aux 3 224 membres en 2020, cela fait un total de plus de 1000 euros par tête, à rapprocher de l’adhésion annuelle de 1550 euros.

Ventilation opaque d’argent public

Or, l’absence d’une comptabilité précise empêche de connaître l’affectation d’argent public et donc, in fine, de savoir s’il va bien à des missions d’intérêt général, par exemple la formation des quelque 900 écoliers marseillais ou le sport amateur de haut niveau :

“Actuellement, rien ne garantit que les ressources publiques soient utilisées pour les missions de service public du club. Cette présentation pourrait être très utile pour présenter une information transparente au conseil d’administration et l’éclairer dans ses décisions de gestion.”

Ce vernis de “club de notables” imprègne aussi la vie associative du Cercle des nageurs. Ainsi le vote en assemblée générale est corrélé à l’ancienneté dans le club : avec 20 ans de carte au CNM, on obtient ainsi dix voix en AG. Cela permet à ces 316 anciens sur les 2509 membres dotés du droit de vote de détenir à eux seuls les deux tiers des suffrages. Ce qui s’avère d’autant plus pratique pour obtenir le quorum, fixé à un quart des voix.

Gestion à la papa

Un flou entoure également les organes de gouvernance : le conseil d’administration est doté des mêmes prérogatives que le comité directeur, émanation du conseil. En scannant la gestion du club depuis 2015, la chambre n’a retrouvé que quatre procès-verbaux de réunion de ce comité directeur qui se retrouve pourtant tous les mois. Pour se justifier, la direction met en avant le fait que ces réunions se tiennent “d’une manière informelle, à l’occasion de déjeuner”.

Le conseil d’administration compte sept femmes contre dix-sept hommes.

Par ailleurs, contrairement aux dispositions du code du sport qui prévoit “l’égal accès des femmes et des hommes aux instances dirigeantes”, le CNM ne compte que sept femmes contre dix-sept hommes en son conseil, un déséquilibre qui s’accentue au sein du comité directeur avec une seule femme pour six ou sept hommes. La direction du Cercle promet de faire des efforts en promouvant la parité, mais souligne que ses statuts ne contiennent aucune disposition discriminatoire à cet égard.

Un fonds et des réductions

Enfin, la chambre scrute avec attention la gestion d’un outil de financement du club, créé en 2010 sous la forme d’un fonds de dotation, destiné à “soutenir et développer des activités d’intérêt général”. Or, pour les rapporteurs de la chambre, cette notion d’intérêt général est interprétée “de manière extensive” par le fonds comme par le club. On trouve ainsi des dépenses de formation ou d’achat de matériel ou des soutiens à des stages à l’étranger des sportifs. Or, en termes de fiscalité, la notion d’intérêt général impose que “le fonds ne fonctionne pas au profit d’un cercle restreint de personnes”. Pour la chambre, cela ne peut pas être le cas à partir du moment où seuls les membres du club, voire une partie d’entre eux, en bénéficient.

A contrario, la direction assure pour sa part que le fonds vient financer la partie “non lucrative” de son activité, le sport de haut niveau et la formation. L’argument ne satisfait pas la chambre qui insiste sur le caractère fermé de l’adhésion au club et le risque juridique de ne pas satisfaire les critères d’intérêt général alors que les dons qui abondent ce fonds donne lieu à des réductions d’impôts. Sans surprise, ce sont les membres eux-mêmes qui alimentent ce fonds. Le club leur propose de verser 1000 euros au club et 1000 euros au fonds de dotation, dont ils récupèreront la moitié via un crédit d’impôt. Une forme de cercle vertueux…

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Payer 2000 € pour avoir l’honneur de faire des longueurs dans le même couloir qu’Alexandre Guérini, ça vaut le coup !

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  2. Bertrand LAVILLE Bertrand LAVILLE

    Le principal problème du Cercle provient de ses statuts qui sont restés, peu ou prou, les mêmes qu’à sa fondation en 1921, quand le Cercle n’était qu’une réunion de copains, sans quasiment aucun budget, alors qu’aujourd’hui celui ci est de 5 millions d’euros, et devrait nécessiter la rigueur d’une Entreprise.

    Exemple: Celui qui a le pouvoir réel est le Président. Cela serait une bonne chose s’il existait des contre pouvoirs.
    Or, le Président est élu par un Conseil d’Administration composé de 24 membres, dont la quasi totalité de ceux ci ont été choisi par cooptation par… le Président !!!

    La réalité est donc la suivante: le Président est élu par les électeurs qu’il a lui même choisi !!! Et ceci depuis 1921.
    Résultat: une stabilité à toute épreuve, 3 Présidents en 101 ans ! Defferre et Gaudin sont battus à plate couture!
    Le Cercle a eu la chance insigne que ces trois Présidents aient été des hommes exceptionnels, mais qu’en sera-t- il du prochain?
    Si c’est un margoulin, il aura tous les pouvoirs statutaires pour privilégier des intérêts contraire à ceux du Cercle.
    Et bien sûr, aucun des trois n’ont voulu sécuriser les statuts, au risque de voir leur pouvoir contesté, y compris par des moyens border line lorsqu’ils se sont sentis menacés.

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  3. Pierre-Henri Morand Pierre-Henri Morand

    Profitant de cet instructif article, une petite question incidente (non polémique, juste pour savoir). Nageant avec mon fiston aux Catalans, on s’est arrêté 2 min sur le rocher que l’on voit bien sur la photo en face du CNM. On s’est fait virer comme des malpropres car on était, m’a t-on dit, dans un espace privé. Etant donné qu’il y a un bras de mer entre les bâtiments du CNM et ce petit éperon rocheux, qqun a une info sur la domanialité du truc ?

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    • Regard Neutre Regard Neutre

      Cet éperon fait partie intégrante du domaine public maritime ouvert à tous…Le CNM ne peut en revendiquer une affection privée.

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  4. barbapapa barbapapa

    Il y a peu, le CNM a construit de la barrière anti-pauvres entre ce bout rocher et la côte, mais il a du déconstruire… Sous les lettres CNM, il y a presque 400 m2 de béton solarium bâti sur l’eau !… Au total mépris de la loi littoral, il est impossible d’avoir un accès piéton ici… et plus loin, encore plus proprio tu meurs, ce sont les militaires qui défendent jalousement non pas l’entrée du port de Marseille, mais leurs privilèges littoraux

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  5. julijo julijo

    j’ai toujours un grand plaisir à lire ce que produit la chambre régionale des comptes ! c’est souvent édifiant, toujours précis, et instructif.
    mais à quoi ça sert ce rapport ?????
    le cercle utilise de l’argent public, je suis contribuable, donc ça me passionne.
    je deviens cynique, mais, presque je préfèrerais ne pas savoir !

    et puis, je me dis que finalement c’est plutôt bien ce cercle…club éminemment privé, pour des vip-notables (ou qui croient l’être)
    ils se retrouvent entre eux, et n’enquiquinent personne.
    parce que je rejoins barbapapa, nager à côté de mumu….????

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  6. Marc13016 Marc13016

    Ce luxe, quand on compare à la déshérence des piscines de Marseille, ça fait frémir !
    Je serais curieux de savoir ce qu’elles reçoivent d’argent public, en comparaison.

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    • Bertrand LAVILLE Bertrand LAVILLE

      Je serais curieux de savoir combien de champions elles ont produit…

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    • Pascal L Pascal L

      m; lA

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    • Pascal L Pascal L

      M. Laville, le cercle ne produit aucun champion, il se contente de les acheter. Si vous êtes classé nationalement on vous y accepte vous et votre famille et grâce à cette petite combine, on peut présenter un club de riches comme une association qui produit des champions.
      Gros comme une maison mais ça marche, vous en êtes la preuve.

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  7. pbatteau pbatteau

    Un mouvement commence à se mettre en marche pour faire respecter la loi, ce que n’ont jamais fait depuis des décennies ni les représentants de l’État, ni la municipalité précédente, et que tarde à enclencher la municipalité présente (le phénomène est général dans le sud-est de la France). Mais tôt ou tard, le Cercle devra démolir quelques installations illicites sur la partie du rivage qui fait partie des « communs » (l’affaire est bien plus grave que celle du surplomb de Passedat). M. Leccia aura peut-être déjà été envoyé ad patres, mais comme je l‘ai réclamé à plusieurs reprises dans ce journal, il faudra bien, à l’instar de New York, qu’on puisse un jour circuler le long de ces rivages à pied et en vélo éventuellement. Au lieu de s’arcbouter sur des positions aux résonances maffieuses, le chenu dirigeant du cercle ferait mieux de mettre en œuvre, pour le temps qu’il lui reste, des actes positifs et visibles de bonne volonté qui faciliteront le moment venu une solution négociée plutôt qu’un conflit croissant de territoire, pimenté d’escarmouches récurrentes plus ou moins violentes, et dont lui ou ses successeurs seront nécessairement à terme perdants, à la fois de territoires et du soutien financier de la communauté .
    Le CNM est une belle institution et beaucoup de ceux qui en sont membres, même lorsque riches, sont des gens normaux éloignés de toute tentation clanique. Mais ceux-là feraient bien de faire pression de l’intérieur sur leur dirigeant pour éviter d’être contraints eux-mêmes un jour d’être entrainés dans un conflit Poutinesque, leur imposant de choisir entre l’allégeance à un clan fermé ou la fidélité à une communauté marseillaise à laquelle ils appartiennent aussi.

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  8. didier L didier L

    Au regard de l’état des piscines publiques à Marseille, cet article résume assez bien la réalité marseillaise. Très riche et très pauvre ” en même temps” comme dirait l’autre !

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