Volte-face de l’État sur la “coopération” des hôpitaux psychiatriques aux expulsions

Actualité
le 4 Jan 2018
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Face au tollé des syndicats de psychiatres, le ministère de la Santé a retiré une requête adressée à sept établissements de santé des Bouches-du-Rhône. L'agence régionale de santé leur demandait de servir de relais avec la préfecture pour délivrer des obligations de quitter le territoire à leurs patients en situation irrégulière. Il s'agirait d'une "initiative locale", sans consignes du ministère de l'Intérieur.

Crédit Photo © AP-HM
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Demander au personnel des hôpitaux psychiatriques de signifier une expulsion à leurs patients en situation irrégulière. C’était le sens d’un courrier de l’agence régionale de santé (ARS) adressé le 7 décembre aux directeurs des établissements du département. Dénoncée dans un communiqué commun par deux syndicats de psychiatres, cette requête de “coopération” vient d’être retirée “à la demande du ministère de la Santé”, a finalement indiqué  l’ARS PACA, confirmant une information de LCI. “C’est la bonne nouvelle du début d’année, car il y a bien longtemps qu’on n’écoute plus trop les psychiatres : il faut réagir, cela peut porter ses fruits. Ce qu’on peut regretter c’est qu’on aurait pu se rencontrer avant”, réagit Alain Abrieu, chef de service à Édouard-Toulouse et vice-président de l’union syndicale de la psychiatrie, pour qui “cette circulaire a surpris tout le monde”.

Le courrier concernait spécifiquement des patients internés sans leur consentement, suite à une décision du préfet ou du maire d’une commune :

Dans la mesure où ces patients sont pris en charge par vos équipes, je vous informe que mes services vous communiqueront, en même temps que l’arrêté préfectoral de levée des soins sans consentement, la décision d’obligation de quitter le territoire ainsi qu’une notification à faire signer par le patient.

L’ARS devait ensuite se charger “de la transmission à la préfecture”. Amplifiée ce jeudi par un article du site Streetpress, la contestation des syndicats considérait que “cette collusion entre des agences chargées de la santé et des décisions de police intérieure est déjà regrettable, mais l’utilisation des hospitalisations en SDRE [soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’État, ndlr] pour repérer et contrôler des personnes non désirées sur le territoire, est très inquiétante“.

“Pas de consignes” dit le ministère de l’Intérieur

Après avoir été priés de les soigner, les hôpitaux étaient donc censés “devenir auxiliaires de la (non) politique d’immigration”, poursuivait ce communiqué du syndicat des psychiatres des hôpitaux et de l’union syndicale de la psychiatrie, refusant de “devenir des agents administratifs pour le compte du ministère de l’Intérieur”. Interrogé par l’AFP, le président du SPH Marc Bétremieux a relayé la surprise des professionnels puisque que “le préfet a tous les éléments” concernant les patients hospitalisés sans consentement, “déjà repérés”.

“Nous ne sommes absolument pas concernés par cette initiative purement locale de l’ARS. Il n’y a pas eu de consignes”, nous assure cependant une porte-parole du ministère de l’Intérieur. Même son de cloche à l’ARS, qui indique que l’instruction était “une initiative de l’ARS qui concernait uniquement les établissements des Bouches-du-Rhône”, à savoir Édouard-Toulouse, Sainte-Marguerite, La Conception et Valvert à Marseille, Montperrin à Aix, ainsi que les hôpitaux de Martigues et d’Arles. Les syndicats craignaient “que cette démarche ne s’étende ou n’ait déjà été étendue à d’autres régions”, écrivait mardi le site spécialisé Hospimédia, qui a révélé cette circulaire.

“Cela aggraverait la défiance”

Le processus décrit dans le courrier supposait pourtant que l’ARS soit destinataire des obligations de quitter le territoire (OQTF) émises par la préfecture, puis les fasse remonter. L’agence n’a pas souhaiter préciser la genèse de cette mesure et de ce ciblage et s’est refusée à tout autre commentaire, de même que la préfecture des Bouches-du-Rhône. En l’absence de communication, difficile d’évaluer le nombre de personnes que cela aurait pu concerner. “Je n’en ai aucune idée. Ces situations où la personne doit être reconduite à la frontière ou autre, ce n’est pas une question que l’on se pose”, balaie Alain Abrieu, qui sait seulement qu’environ 150 personnes sont passées par son établissement l’année dernière via une hospitalisation SDRE.

Au-delà des questionnements éthiques, il s’inquiète d’un fonctionnement qui accréditerait l’idée “d’une psychiatrie qui enferme, qui est en collusion avec la police. C’est comme quand Gérard Collomb évoquait cet été l’idée que les hôpitaux psychiatriques signalent les djihadistes. Cela ne rime à rien car cela aggraverait la défiance. Si un patient sait que l’on peut répéter ce qu’il nous dit à la police, il ne nous dira plus rien.”

Le médecin estime que l’État est de plus en plus vigilante sur les conditions de sortie de l’hôpital : “Même si cela peut dépendre des régions, on a constaté que les préfets se couvrent de plus en plus, avec des exigences sécuritaires accrues”. Cette polémique s’inscrit aussi dans la foulée du refus d’une quinzaine d’associations nationales d’accueillir des contrôles d’identité au sein des centres d’hébergements d’urgence, comme souhaitait l’imposer le ministère de l’Intérieur.

Actualisation le 4 janvier à 17 h 27 – ajout des précisions du ministère de l’Intérieur – puis à 20 h 30 – réaction d’Alain Abrieu.

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