Soupçons de corruption de fonctionnaires au marché de la Plaine : la Ville ouvre une enquête

Info Marsactu
le 14 Fév 2024
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Des forains disent avoir été contraints de payer des pots-de-vin à des placiers municipaux pour pouvoir déballer et vendre leurs marchandises sur la place Jean-Jaurès. Une enquête est en cours au sein de la direction du pôle espace public de la Ville de Marseille.

Le marché de la Plaine. (Photo : C.By.)
Le marché de la Plaine. (Photo : C.By.)

Le marché de la Plaine. (Photo : C.By.)

“On n’est pas des voleurs, nous. On vient, on déballe et on veut juste travailler.” Debout derrière son petit stand qui ne mesure guère plus de quatre mètres de long, Karima (*) soupire. Elle fait partie de ces forains dits “journaliers” qui vendent de manière ponctuelle sur le marché de la Plaine, place Jean-Jaurès. La jeune femme y propose ses produits cosmétiques depuis plus de 18 mois. Et, comme Khadija (*), qui vend des pantoufles, elle se dit victime de demandes récurrentes de pots-de-vin de la part de deux des trois placiers, des agents municipaux, rattachés à ce marché.

“Moi, depuis le début, je donne 10 euros à chaque marché. Et puis, un jour, le placier a dit à mon mari qu’il ne voulait ni un billet gris (cinq euros), ni un rouge (10 euros) mais un billet bleu (20 euros) pour qu’on puisse déballer”, relate la jeune femme. Khadija confirme le système. Depuis sa première installation en 2022, elle explique avoir “donné 30 euros” à chaque fois qu’elle a voulu déployer son étal : “C’est simple, le placier fait semblant de biper ta carte de forain sur ton téléphone et toi, tu mets les billets dessous.”

“Pour travailler, faut donner des sous”

Ces commerçantes ne bénéficient pas du droit de vendre à l’année, comme les forains dits “fixes”. Mais, en tant que journalières, elles doivent posséder une autorisation pour travailler, une “carte” délivrée par le service des emplacements de la Ville de Marseille. Or, comme elles en témoignent, ces cartes tardent parfois à être délivrées, voire ne le sont jamais. “Mais pendant ce temps-là, pour travailler, il faut donner des sous aux placiers”, résume Karima. “Sur la Plaine, nous sommes une vingtaine à subir ça. Et on veut que ça s’arrête”, embraye Khadija qui explique avoir choisi de dénoncer la situation “le jour où le placier a voulu [la] faire dégager pour mettre quelqu’un qui acceptait de payer 50 euros par marché pour l’emplacement”. À Marseille, un étal sur un marché coûte 2,74 euros du mètre linéaire, soit 16,44 euros pour un stand moyen de six mètres.

Vous vous rendez-compte de ce que ça fait 20, 30 ou 50 euros par marché? C’est du proxénétisme, du racket!

Nahema Zemour, représentante des forains

Nahema Zemour présidente du syndicat des commerçants non-sédentaires de Marseille et des Bouches-du-Rhône et Titin Sanchez, du syndicat des marchés de France, se montrent solidaires de leurs collègues journaliers. “Des histoires de bakchich, il y en a toujours eu. Mais là ça dépasse tout ce qu’on a connu avant. Vous vous rendez-compte de ce que ça fait 20, 30 ou 50 euros par marché ? C’est du proxénétisme, du racket !”, s’irrite Nahema Zemour. Titin Sanchez affirme de son côté que plusieurs alertes ont été communiquées au service des emplacements, au sein de la direction des espaces publics de la Ville de Marseille : “Là, on parle d’un problème de passe-droits : payer un droit d’entrée, c’est grave ! Ces infos, on les a fait remonter au service il y a plusieurs mois. Mais on n’a pas eu l’impression que ça bougeait. Comme si les alertes restaient au niveau du service, mais n’allaient pas plus haut.”

Rappel déontologique

La cheffe du service des emplacements de la Ville, Laurence Cohen, est au courant de la situation. Elle déambule ce mardi matin entre les travées du marché de la Plaine et admet que son service a été “alerté, d’abord oralement, par des forains qui, en contrepartie d’un placement, donneraient un billet au placier”. La responsable assure que les trois placiers du marché ont été réunis “pour entendre leur version” et “pour leur rappeler les dispositions réglementaires et la charte déontologique qui s’imposent à eux”. Les deux agents principalement incriminés, “démentent les faits”.  Elle ajoute : “Nous sommes prudents. Je n’ai personnellement jamais été témoin d’un échange d’argent. Pour l’instant, nous recueillons les témoignages des forains comme des placiers. Et si cela se révèle exact, des sanctions seront prises.

Nous sommes vigilants et nous prenons ces alertes très au sérieux. Nous ne laisserons rien passer.

Roland Cazzola, élu à l’espace public

Les alertes ont été transmises au directeur du pôle espace public de la Ville et à Roland Cazzola, conseiller municipal délégué à l’espace public. Ce dernier confirme les signalements. “Le sujet n’est pas nouveau, regrette-t-il. Lorsque que je suis arrivé en fonction et que nous avons remonté le marché de la Plaine en 2022, il y avait déjà des suspicions. Donc sur la demande des forains, nous avons recruté trois nouveaux placiers qu’on ne pouvait pas soupçonner de quoi que ce soit. Là, de nouveau, ces rumeurs resurgissent. Nous sommes vigilants et nous prenons ces alertes très au sérieux. Nous ne laisserons rien passer.” L’élu confirme à Marsactu l’ouverture d’une enquête interne sur le sujet, qui pourrait aboutir le cas échéant “à une saisie de l’inspection générale des services”.

Au gré des étals, ce mardi, les discussions reviennent volontiers sur le sujet. “Il faut assainir tout ça, remettre de la règle et du contrôle pour que les marchés se passent bien pour tout le monde”, plaide un commerçant. Un autre, qui n’exonère pas les forains de toute responsabilité, déplore que la pratique ait également lieu dans d’autres marchés de la ville.

Plusieurs représentants des syndicats des commerçants non-sédentaires demandent d’ailleurs à être reçus par Benoît Payan, le maire de Marseille, pour évoquer le sujet avec lui. Michel Marin, président du syndicat des marchés de France, veut croire qu’il n’y a pas de fatalité : “Il y a eu des situations similaires dans d’autres villes de France et les choses ont évolué. Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas à Marseille.” 

(*) Son prénom a été modifié

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Tiens , l’Amérique vient d’être re-découverte.
    Cette pratique sur les marchés marseillais existe depuis des lustres, elle est incriste dans le catalogue des us et coutumes marseillais des petits avantages de certains municipaux.
    Le charme marseillais, sans doute.

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    • Coralie Bonnefoy Coralie Bonnefoy

      Bonjour,
      Si vous avez pris le temps de lire cet article avant de le commenter, vous noterez que personne – ni les forains, ni les services municipaux, ni l’élu chargé de ces questions, pas plus que Marsactu d’ailleurs – ne re-découvre ici l’Amérique. Toutefois la difficulté, au de-là des rumeurs et des on-dit bien aisés à propager, reste que la réalité des faits s’avère généralement compliquée à objectiver. Ce que fait cet article en recueillant des témoignages – rares – de forains qui dénoncent ces agissements. C’est d’ailleurs le nombre et la concordance de ces témoignages qui permet aujourd’hui l’ouverture d’une enquête administrative interne dont l’instruction est en cours.

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    • polipola polipola

      Merci Coralie Bonnefoy de cette réponse très juste et pertinente.

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  2. vékiya vékiya

    ne plus laisser la décision aux placiers mais travailler en amont sur un plan validé serait peut être une solution, après avoir viré ces deux crapules.

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  3. Mars, et yeah. Mars, et yeah.

    Ou alors on passe au 21ème siècle : gestion par caméra avec reconnaissance des plaques et facturation ad hoc via une IA. C’est comme ça dans nombre de grandes villes… civilisées.

    Mais nous tenons bien plus à ressembler au Bengladesh, ça évite de devoir faire des efforts.

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    • Vand Vand

      On vous laisse volontiers partir rejoindre ces villes “civilisées” orwelliennes, et continuerons quant à nous à préférer le Bengladesh français… Bon voyage.

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    • Patafanari Patafanari

      Mieux vaut un peu de gratte entre « amis» que de payer par nos impôts l’oeil omniscient du Moloch politique qui se réserve le monopole du racket des ses « administrés « .

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    • Mars, et yeah. Mars, et yeah.

      Libre à vous de préférer la situation actuelle. Libre à moi d’accepter les règles en restant ici malgré un fonctionnement qui ne me convient pas.

      En revanche, je vous laisse votre agressivité et votre rapidité à me demander de partir, attitude qui n’a rien de démocratique ni d’honorable. Comme le fonctionnement du Bengladesh tiens.

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  4. RML RML

    Quelque chose m’échappe…cette histoire de “carte”…si je comprends bien, ces pots-de-vin ne sont possibles que parce que la fameuse carte n’est pas délivrée.
    Résoudre le problème de cette délivrance ne réglerait il pas tout?

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    • petitvelo petitvelo

      On voit aussi dans l article un système badge en façade / billet en coulisse. Dans tous les cas le forain paie pour contourner des règles qui doivent avoir une raison d être. Il reste un corrupteur.

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  5. Alceste. Alceste.

    Coralie Bonnefoy, cherchez bien dans vos archives , vous trouverez ou retrouverez ce type d'”incidents”.

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    • julijo julijo

      vous êtes d’une mauvaise foi crasse.
      vous répondez à côté ! toujours, pour avoir le dernier mot ?

      la nouveauté de cet article, c’est qu’effectivement des témoignages viennent corroborer ce trafic.
      la déclaration de cazzola est claire pourtant. entre suspicions, rumeurs, et preuve il y a de la marge. a priori l’élu avait fait son boulot….ce n’était pas suffisant. on ne peut qu’espérer que cela se règle rapidement.

      mais, attention cazzola est un élu municipal, probablement bien copain avec payan…donc, à critiquer, à bannir, à mettre en cause…vous le faites régulièrement.
      vous me faites penser, à la grenouille de la fontaine…. et vous qui adooorez les citations, à bacon aussi.

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  6. Alceste. Alceste.

    Plongez-vous dans le passé marseillais, c’est une pratique qui a déjà existé, c’est tout et ce n’est pas une découverte sensationnelle, comme d’autres.Rappellez vous les ventes de billets dans les musées contre des billets d’invitations. Si l’élu fait son boulot et s’empare du sujet cela est parfait et normal, il n’y a rien d’extravagant à cela.
    Je critique volontiers la mairie actuelle, comme la precedente d’ailleurs,mais vous faites tout faux sur ce coup là.

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  7. MarsKaa MarsKaa

    Je n’ai pas compris si c’était du racket simple ou de la corruption qui vire au racket.
    Les journaliers qui dénoncent la hausse du bakshish ont-ils le droit d’installer leur étal ?
    Ďans tous les cas, pourquoi les placiers ne sont ils pas suspendus immédiatement ?

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  8. Massilia fai avans Massilia fai avans

    Personnellement, je ne comprends pas la fonction du placier en 2024. Dans la majorité des cas, les forains sont toujours au même endroit sur la place et depuis des années (certains sont sur le même emplacement avant et après les travaux de la place c’est très fort).
    S’il reste des places libres pour les non sédentaires, je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas un système de réservation classique et centralisé avec une autorisation pour exercer cette fonction (type rdv pour les papiers d’identité).
    A part permettre de pérenniser un système de corruption, je ne vois pas trop à quoi servent ces fonctionnaires. Marsactu a longuement documenté les sous effectifs dans les bibliothèques de la ville, ils ont même un nouveau poste tout trouvé.

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    • L.D. L.D.

      Bonjour bravo à Coralie Bonnefoy pour son article relatif à des soupçons de pratiques répréhensibles sur le marché de la Plaine.

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  9. neom neom

    Est-ce que Marsactu pourrait nous expliquer le fond du problème, c’est à dire sur quels critères les placiers sont-ils censés attribuer les emplacements aux forains qui n’ont pas de carte? Comment se fait-il que cela soit complètement arbitraire semble-t-il?

    Par ailleurs je ne comprends pas: Vous dites que ce sont les forains sans carte (en attente de délivrance) qui sont concernés mais pour payer leur bakchich ils font semblant de biper leur carte…

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  10. sb sb

    Ce qu’il faudrait aussi c’est que les placiers fassent respecter des espaces suffisamment larges entre les stands pour permettre aux riverains de traverser le marché en toute sécurité et avec aisance les jours de marché ! Avec une poussette c’est juste mission impossible. Et évidemment si ces allées pouvaient être dans l’alignement des passages piétons alors là ce serait vraiment merveilleux et juste un peu fûté !!! Et si les emplacements coûtent 50€ de backchiche pour ce prix on veut bien des avenues entre les stands. Que ce marché soit royal pour tout le monde !

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    • sb sb

      Je ne sais pas si c’est le fait de mon commentaire mais ce matin, jour de marché, j’ai pu constater qu’une avenue royale avait été créée entre les stands juste en face du passage piéton place Jean Jaurès pour traverser le marché et rejoindre le parking en toute logique.
      Incroyable !! Je me suis sentie comme une reine ou juste une citoyenne digne. J’ai remercié les forains pour cette largesse et bien sûr je remercie Marsactu d’être le média qui fait bouger – quoiqu’il arrive – les lignes marseillaises ! Cœur sur vous <3

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