Pourquoi la Ville va sûrement devoir revoir son plan écoles

Décryptage
le 6 Déc 2024
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Le méga contrat de construction et réhabilitation de 188 écoles passait sous l'œil de la justice administrative ce jeudi. Les bouées de sauvetage de la Ville et l'État, partenaires de ce volet du plan Marseille en grand, face au risque d'annulation, paraissent minces. Mais les chantiers déjà lancés devraient de toute manière être préservés.

La cour de l
La cour de l'école de Malpassé - Les Oliviers. (Photo : B.G.)

La cour de l'école de Malpassé - Les Oliviers. (Photo : B.G.)

Une annonce officielle imprécise, un texte de loi trop restrictif et des militants associatifs mécontents des choix municipaux : cette combinaison pourrait contraindre la Ville de Marseille à amender son “plan écoles du siècle”, monté avec l’État dans le cadre de Marseille en grand. Ce jeudi, au tribunal administratif de Marseille, l’audience se présente au milieu d’une série d’affaires d’expulsions du territoire, qui occupent habituellement des demi-journées entières de la juridiction. Sans avocat, armés de leur seule qualité de contribuables locaux, trois membres du collectif des écoles de Marseille défendent leur recours, déposé en 2023.

Dans la salle, ils trouvent une alliée exigeante en la personne de la rapporteure publique. Magistrate chargée d’éclairer le dossier au regard de la jurisprudence, elle écorne leur “argumentaire confus”, leurs “affirmations péremptoires” et leurs “arguments d’autorité”. Mais, au terme d’un exposé méthodique de plusieurs dizaines de minutes, comme l’a révélé Marsactu dès mardi, elle recommande au tribunal de casser le contrat entre la Ville et la société publique des écoles de Marseille (SPEM), créée spécialement avec l’État pour mettre en œuvre le plan.

Cela étant, la reconstruction de 188 écoles, soit 40 % du parc scolaire, présente un “intérêt général indéniable”. Aussi, pour assurer “une continuité de la mise en œuvre du plan et de la rénovation, qui a commencé”, elle suggère un délai de six mois dans l’application de l’annulation, qui “permettrait à la commune de corriger l’erreur qu’elle a faite”.

L’“erreur”, c’est d’avoir confié à la SPEM des missions incompatibles avec son statut. Invitant les trois juges à se “plonger quelques instants dans le monde des sociétés publiques locales”, elle zoome sur les quelques petits mots qui manquent à la SPLA-IN, “benjamine” de la famille. Contrairement à d’autres statuts, qui prévoient des missions plus larges, une société publique locale d’intérêt national comme la SPEM doit se cantonner à la construction et à la réhabilitation d’équipements. Cela exclut l’entretien post-livraison et “un seul discours de [la ministre, NDLR] Jacqueline Gourault ne peut venir ajouter à un texte qui ne mentionne pas ces compétences”, considère-t-elle, en réponse à l’argumentaire de la Ville.

Un contrat “illicite”

Derrière les petites lignes du code de l’urbanisme, son couperet tombe sèchement : “C’est l’objet même du contrat qui est illicite, de sorte qu’en le signant, la société contractante s’est engagée à effectuer des missions contraires à la loi”, expose-t-elle. Dès lors, le vice est “non régularisable”, sauf modification législative, qui ne dépend pas de la Ville. Reste à réécrire un nouveau contrat, expurgé de la maintenance.

Appelé à s’exprimer pour le trio de requérants, Arnaud Dupleix rappelle l’objectif de la démarche, qui est de pousser à une montée en puissance des services municipaux, que la sous-traitance de l’entretien à la SPEM ne permet pas. Mais il réserve ses critiques les plus lourdes pour l’État, et plus particulièrement Fin Infra, ce service du ministère des Finances “dont le rôle suscite de grosses interrogations”. D’un côté, il a expertisé le montage juridique et financier, comme le veut la loi. De l’autre, ses représentants siègent comme administrateurs de la SPEM au nom de l’État actionnaire.

“On est surpris que cet organisme spécialisé puisse commettre une telle erreur”, euphémise-t-il, convaincu qu’il a “mal orienté la Ville” en poussant pour que l’entretien soit délégué à la SPEM et, en cascade, à des sociétés privées. “On croit entendre que ce ne serait que les performances énergétiques, mais quand on regarde le tableau en annexe du contrat, on voit que cela concerne les espaces verts, la sécurité incendie, des choses très larges, jusqu’aux ampoules.” L’avocat de la Ville Mathieu Noël, pour le cabinet Parme Avocats, pousse effectivement ce pion à sa suite : ce volet ne serait qu’“accessoire”, à peine “3 % du volume financier” du contrat. Une évaluation surprenante quand on sait que les élus ont voté sur la base d’une enveloppe de plus de 300 millions d’euros, soit 20 % du montant global…

Pour une adresse…

Face au démontage minutieux de la rapporteure publique, la meilleure chance de la Ville est d’attaquer le point faible du recours : son caractère tardif, plus d’un an après la signature du contrat. La rapporteure publique avait elle-même “hésité” sur le sort à donner à cet argument, rappelle Mathieu Noël. La recevabilité ne tient pour elle qu’à un fil : pour toute mention de l’endroit où consulter le contrat, l’avis officiel de signature ne comportait que l’adresse de l’hôtel de Ville. Trop limité pour lancer le compte à rebours des deux mois pour faire un recours, selon elle. “Amplement suffisant pour un requérant comme monsieur Dupleix, habitué des demandes de communication de documents administratifs, reprend Mathieu Noël, en référence aux nombreux recours déposés par cet ancien élu du Printemps marseillais. J’ai du mal à croire que pour une adresse un peu vague, on puisse admettre une demande hors délai sur un plan aussi important pour le service public de l’éducation.”

Et pourtant si, pour la rapporteure publique. Ce qui illustre a minima la légèreté de la Ville dans les formalités de sécurisation juridique d’un dossier aussi sensible. Les publications ultérieures ont d’ailleurs été plus consciencieuses, allant jusqu’à indiquer le numéro de téléphone portable de l’agent chargé de recevoir les demandes de communication…

Défense “absurde”

Alors que la pendule tourne, la défense piétine sur cette question du délai de recours non respecté. Le président peine à suivre la logique et rabroue l’avocat, de plus en plus sèchement. Mais c’est sans commune mesure avec le sort réservé au représentant de la préfecture. Face à son “raisonnement absurde”, le président lui intime d’accélérer un exposé qui “hérisse le juriste qui est en [lui]”.

Reste, pour la Ville, à limiter les conséquences qui se profilent, en tentant d’obtenir un délai plus long avant l’annulation effective. “Quatre-vingt-six opérations sont lancées, six mois c’est trop court pour déboucler les marchés”, plaide Mathieu Noël, qui réclame “au moins un an”. Quitte à noircir le tableau ? Alors que le jugement n’est attendu que dans quelques semaines, la Ville se refuse à tout commentaire sur la procédure, a fortiori une présentation de la manière dont elle se retournerait. Un élément protège a priori le plan d’un coup de frein trop brutal : l’annulation ne viserait que l’accord-cadre, le contrat qui sert ensuite de base à la signature de “marchés subséquents”, les différentes “vagues” de construction (25 pour la première, quasi terminée, 33 pour la deuxième, 42 pour la troisième). Ce schéma en cascade fait qu’une résiliation par la justice n’aurait “aucune conséquence” sur les marchés de construction déjà “entrés en vigueur”, précise l’accord-cadre.

De quoi assurer les livraisons prévues jusqu’à 2028. Pour la suite, il faudra revoir la copie. Le tout avec un nouveau directeur général. Comme l’avait révélé Marsactu en juin, Vincent Bourjaillat était sur un siège éjectable depuis plusieurs mois. Benoît Payan et le préfet Christophe Mirmand ont choisi ce jour de l’audience au tribunal administratif pour appuyer sur le bouton stop. Ils ont nommé Nicolas Andreatta en remplacement.

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Commentaires

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    • PromeneurIndigné PromeneurIndigné

      Summun jus, summa injuria » citation de Cicéron maître du barreau au temps de la République romane. Ceci signifie que l’application excessive du droit conduit à l’injustice En l’espèce c’est le cas de ces chicayas ,qui vont ralentir la réhabilitation l’entretien et la construction des écoles communales ,délaissées par Gaudin pendant ses 25 ans de règne

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    • toto toto

      Rusticus in asinus sedet.
      Moi aussi j’ai fait latin au collège.
      Mais au moins j’ai compris que tout filer au privé est une mauvaise idée.

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  1. Patafanari Patafanari

    Ça va dans le sens de la désimperméabilisation des écoles. Des sols et même des toitures.

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  2. PromeneurIndigné PromeneurIndigné

    Summun jus, summa injuria » citation de Cicéron maître du barreau au temps de la République romane. Ceci signifie que l’application excessive du droit conduit à l’injustice En l’espèce c’est le cas de ces chicayas ,qui vont ralentir la réhabilitation l’entretien et la construction des écoles communales ,délaissées par Gaudin pendant ses 25 ans de règne

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    • toto toto

      Avez-vous bien lu l’article ?
      Les requérants ont attaqué la ville parce que l’entretien des écoles allait être confié au privé. Il ne s’agit pas de chicayas mais de choix politiques. La municipalité actuelle n’a pas été élue pour continuer l’oeuvre de Gaudin en privatisant à tours de bras.
      Le plus lamentable c’est que l’adjoint au bâti des écoles a obtenu son mandat grâce au combat contre les PPP de Gaudin. Arrivé aux responsabilités, il fait la même chose. Désespérant.

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    • Patafanari Patafanari

      Peut-être s’est il rendu compte qu’avec les municipaux rien ne se passerait. Tempus edax rerum.

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    • Marc13016 Marc13016

      FIN INFRA a peut être enfumé ces pauvres élus marseillais qui ne voient pas venir le danger au delà d’un petit mandat de 6 ans …
      Vae victis.

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  3. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Alea jacta est.

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  4. Marc13016 Marc13016

    Étonnant, ces orientations printanières …
    – Un coup on confie massivement l’entretien des écoles (futures) au privé. Et à du gros groupe privé qui va spolier les compétences techniques des agents municipaux, selon les citoyen-ne-s de Marseille. (merci à eux pour leur argumentaire dans l’AGORA).
    – Un coup on ré-intègre la restauration scolaire dans le public, en virant la DSP de la SODEXO pour créer des cantines à échelle humaine et proche du local.
    Le printemps marseillais aurait il perdu son âme ? Ressaisissez vous, Messieurs (Dames).

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    • toto toto

      heu en fait pas tout à fait pour la sodexo…
      L’écrasante majorité des écoles dépendra tjs de sodexo ou d’un autre grand groupe. Le reste dépendra du privé sur des lots plus petits. Seule la facturation reviendra dans le giron municipal.
      Donc là aussi c’est du foutage de gueule derrière la campagne de com.

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    • BRASILIA8 BRASILIA8

      Si le contrat est en parti annulé .L’entretien sera confié aux entreprises privées qui répondront aux nouveaux appels d’offres sachant que celles qui auront construit seront avantagées car ayant une bonne connaissance des bâtiments et des besoins en entretien et maintenance
      La Ville n’a aucun intérêt à faire cela en régie avec son personnel car ces travaux seraient du fonctionnement ( pas bon pour le budget) et non plus de l’investissement , bon pour l’image d’une Ville dynamique et qui investit

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  5. Marc13016 Marc13016

    @BRAZIL, pour ce qui est des budgets de fonctionnement, réputés être “mauvais” dans la gestion publique : le montage prévoit des loyers que va verser la Mairie à la SPEM. Ces loyers relèveront du budget fonctionnement aussi, j’imagine. En tous cas, la SPEM, elle, paiera la maintenance sur ses budgets de fonctionnement, surtout s’ils est réalisée par des marchés subséquents passés à postériori des travaux. Ou alors ils auraient trouvé la formule magique pour transformer du fonctionnement en investissement, et ça m’étonnerait.
    Et Quid de la perte de contrôle du patrimoine bâti des écoles, arguments avancé par nos amis citoyens de Marseille ? Et du cadre privé qui porte à la maximisation des bénéfices, pas du service (public) ?
    Décidément, c’est de la haute stratégie, ces choix de gestion. ça mérite mieux qu’une réunion à Bercy, je crois.

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    • Marc13016 Marc13016

      Pardon… si elle (la maintenance) est réalisée par des marchés subséquents …..
      Soyons précis, le sujet est suffisamment complexe !

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  6. Citoyen-ne-s-de-marseille.fr Citoyen-ne-s-de-marseille.fr

    La gestion reviendra à la régie avec son personnel, bien entendu avec des contrats classiques de maintenance des équipements tels que le chauffage, ascenseur, SSI, … une gestion de patrimoine classique en somme. Charge à la ville de doter en moyens humains et matériels sa régie et son personnel. Le Printemps Marseillais avait dans son programme la mise en place d’agents de maintenance en charge d’écoles (assurer la maintenance préventive, l’entretien courant, l’accompagnement des entreprises et des bureaux de contrôles, la réception de travaux).

    Le coût de la SPEM fait partie du budget de fonctionnement, sous forme de loyer (la forme actuelle est un marché de partenariat ne pas oublier). Au plus fort des prévisions, le loyer se monterait à plus de 70M€ par an. Les loyers seraient payés sur une période de 30 ans (2055 de mémoire).

    Nous faire croire que ce n’est pas un marché de partenariat, c’est nous mentir, même si celui-ci est un marché de partenariat entre la ville et sa société publique, il n’en demeure pas moins que c’est un marché de partenariat avec le surcout de l’entretien et de la maintenance.

    Faire des écoles neuves ne suffit pas, le plan école ne doit pas se résumer au simple bâti scolaire comme le faisait Gaudin contraint et forcé sur la fin de sa mandature. Une école c’est aussi du temps scolaire, des ATSEM, des AESH, des animateurs, du temps périscolaire, du temps extrascolaire, des centres sociaux, des abords des écoles, de la restauration scolaire, une pause méridienne, une garderie du matin, et peut être une réponse à un manque d’équipements publics (bibliothèques, gymnases, ….) ou autres services aux habitants (déserts médicaux, …).

    Bref de toutes façons, la forme juridique choisie par la ville et l’état : une SPLA-IN ne permet pas de faire de l’entretien et de la maintenance. C’est ballot, mais c’est logique, sinon nous verrions apparaitre des sociétés certes publiques mais surtout opaques (la gestion se résume à un conseil d’administration) pour gérer du patrimoine. Bref …

    Dans cette affaire FIN INFRA apparait à trois endroits : comme conseiller, comme valideur (c’est FIN INFRA qui valide les évaluations préalables au marché de partenariat), et comme administrateur (le directeur Jean Bensaïd est administrateur de la SPEM)… FIN INFRA est une cellule du ministère des finances d’une vingtaines de personnes pas plus, qui font la promotion des marchés de partenariat auprès des collectivités, s’ils pouvaient tout privatiser, ils le feraient. voilà une petite vidéo de Jean Jean au salon Paris INFRAWEEK de novembre dernier à Paris. Pour la petite histoire, il y a 10 ans, FIN INFRA s’appelait MAPPP, Mission d’Appui aux Partenariats Publics Privés… ça ne s’invente pas. Donc faire confiance aveuglément à FIN INFRA, cela devrait être catégorisé comme une faute dans un monde qui défend les services publics.

    Le directeur de Fin Infra :
    https://www.youtube.com/watch?v=7dN2gFyBX2s

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