Soleam, bras cassé de la métropole dans la rénovation du centre-ville

Info Marsactu
le 4 Mar 2021
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Dans un rapport encore provisoire, la chambre régionale des comptes étrille le bilan de l'opération "Grand centre-ville" pilotée par la Soleam. Elle constate des chiffres faméliques sur la lutte contre l'habitat indigne à Marseille entre 2010 et 2018.

Propriétés publiques depuis parfois plusieurs décennies, ces immeubles sont peu à peu devenues des ruines. Photo : V.A.
Propriétés publiques depuis parfois plusieurs décennies, ces immeubles sont peu à peu devenues des ruines. Photo : V.A.

Propriétés publiques depuis parfois plusieurs décennies, ces immeubles sont peu à peu devenues des ruines. Photo : V.A.

Trente-et-un. Même écrit en toutes lettres, le bilan de l’opération “Grand centre-ville”, portée par la Soleam n’en est pas moins d’une maigreur affligeante. 31, c’est le nombre de logements neufs produits par la société publique locale dans le cadre de cette opération de 2010 à 2018. Ce vaste chantier de rénovation urbaine du centre ancien devait pourtant déboucher sur la production de 1400 logements neufs en dix ans. Quant à la rénovation du bâti existant, le bilan est tout aussi maigre : 14 logements améliorés sur les 2000 prévus. En fait, en matière d’habitat indigne, pas grand-chose n’a été fait durant cette période, amenant la métropole à relancer l’opération “Grand centre-ville” pour cinq ans.

Ce bilan fort sévère est l’un des chapitres du rapport encore provisoire que la chambre régionale des comptes (CRC) consacre à la Soleam, société publique locale, née de la disparition de la société d’économie mixte Marseille aménagement dont le bilan dans la rénovation du centre-ville était déjà famélique.

Ce rapport dont Marsactu a pu consulter une version provisoire doit encore faire l’objet d’une réponse circonstanciée de la part de la direction de la Soleam ainsi que de ses tutelles, la métropole et la Ville. Certains éléments chiffrés du bilan pourraient donc être améliorés (voir Les coulisses au bas de l’article).

En l’état, le bilan est particulièrement dur pour une société censée être le bras armé des collectivités dans la rénovation du centre ancien. Il illustre fort bien la politique de façade menée par Jean-Claude Gaudin sur ce thème et les à-coups que la Soleam a dû subir du fait du pilotage à courte vue de la Ville puis de la métropole.

Trop d’ambition, peu d’action

35 pôles prioritaires, 1000 hectares de périmètre, 235 millions euros de budget et dix ans de chantier. En 2010, l’opération “Grand centre-ville” affichait des objectifs “ambitieux”, destinés à effacer le bilan fort mitigé de la municipalité en la matière. Or, comme le note d’emblée la chambre, cette ambition est très tôt déconnectée de la réalité. Sur les 35 points prioritaires du périmètre, il est ainsi prévu de mener de front les études et les chantiers. Dans la plupart des cas, ceux-ci ne démarreront donc jamais.

Dès la première année, les budgets prévus ne sont pas dépensés.

Pour le ravalement de façade, une injonction à faire des travaux à destination des propriétaires est prévue dès 2011, suivie d’un délai de six mois avant la mise en œuvre de travaux d’office. Rien de tout cela n’a été fait. Au contraire, dès 2011, l’ambitieux projet présente des retards importants. 8,2 millions de dépenses étaient prévues cette année-là. “Celles-ci allaient se limiter à 1,2 million et correspondaient uniquement à la rémunération forfaitaire versée par la Ville à la Soleam. Les autres dépenses représentaient 7000 euros TTC”, note la chambre.

“Absence de décideur identifié et légitime durant trois ans”

Fin 2018, lors du point d’étape contractuel prévu dès le début de l’opération, le retard initial a continué de se creuser : sur les 189 millions d’euros de dépenses prévues, seuls 49 millions avaient été engagés dont 13 millions pour la seule rémunération de la société. La vente d’immeubles qui devait contribuer à l’équilibre économique de l’opération patine sévèrement : 3,9 millions obtenus contre 75 millions prévus en 2018. Qui plus est, sur cette somme, la vente de l’immeuble des Feuillants, où se construira un hôtel de luxe en représente les trois-quarts, avec 2,7 millions.

Rechercher les causes d’une telle errance ne demande pas un flair de chien truffier : le comité de pilotage de l’opération s’est réuni cinq fois entre 2011 et 2015 (et pas une fois en 2014, année électorale). En 2015, la communauté urbaine remplace la Ville dans le pilotage de l’opération : un comité de suivi a lieu en 2016 puis aucune autre réunion jusqu’en 2019. Les rapporteurs de la CRC en tombent des nues et tapent du poing: “La Soleam a été confrontée à une absence de décideur identifié et légitime durant trois ans.”

Le comité technique qui réunissait l’ensemble des partenaires a cessé de se réunir dès 2013. Par la suite “les demandes de décisions stratégiques” adressées au directeur général des services d’alors, Jean-Claude Gondard, sont restées sans réponse. Mais la société publique locale a de quoi s’en satisfaire car elle est tout de même été grassement payée pour tout cela.

“Les rémunérations de la Soleam (…) constituaient le principal pôle de dépenses de la concession et plus du quart des budgets des opérations (…), preuve d’une concession qui génère davantage de coûts de fonctionnement et d’études que de réalisations concrètes.”

Au Panier, l’abandon et le figuier

La chambre s’attarde sur le bilan particulier de plusieurs des 35 pôles de l’opération. Elle se focalise notamment sur l’histoire de l’îlot Abadie-Hôtel-Dieu, constitué de plusieurs immeubles en très mauvais état situés autour de l’ancien établissement de soins.

La plupart d’entre eux sont des vestiges du domaine géré par Dominique Sanchez, marchand de sommeil du Panier, condamné à une peine de prison ferme au début des années 2000. L’ensemble des travaux a été confié au bailleur social Nouveau logis provençal. Fin 2019, la chambre constatait qu’aucun travaux n’avait été entrepris par ce bailleur, sans que la Soleam ne déclenche la moindre demande de pénalités à son encontre :

“Ainsi près de dix ans après le lancement de l’opération “Grand centre-ville”, le pôle Abadie-Hôtel Dieu était dans la même situation qu’en 2011 d’un point de vue architectural : une dent creuse étant toujours présente et siège, désormais, d’un imposant figuier, tout en ayant généré un déficit d’environ un million d’euros pour les finances publiques.”

La Plaine, projet phare

La rénovation de la place Jean-Jaurès est tout à la fois symptomatique et symbolique de la dérive de l’opération “Grand centre-ville”. Au départ, le projet de rénovation de la Plaine ne fait pas partie des projets d’aménagement des espaces publics. Au contraire, il comprend essentiellement des opérations sur le logement, devenues obsolètes quand le seul réaménagement de la place a été décidé. Avec 17 millions d’euros de budget hors taxes, “c’est la principale opération du « Grand centre-ville»”, notent les rédacteurs de la chambre.

Cette rénovation a connu de multiples rebondissements, entre les errances de la construction et les tensions liées aux diverses oppositions. Dans la foulée des premières tensions et des premiers ateliers de concertations, on apprend ainsi qu’en 2016 un vol a eu lieu dans les locaux de la Soleam au moment de la passation du marché de maîtrise d’œuvre. Le projet n’a ensuite pas cessé de déraper par défaut d’anticipation concernant à la fois des points techniques et des questions de sécurité du chantier.

La chambre s’étonne notamment que la pose d’un mur de béton ait pu se faire, sans qu’un nouveau marché public ait été lancé. Le prestataire choisi pour localiser les réseaux et protéger les arbres se retrouve donc à monter un mur de béton pour éloigner les opposants au projet, entraînant un surcoût de 420 000 euros.

Les rédacteurs du rapport soulignent que ces “dégradations n’étaient pas totalement imprévisibles”, d’autant plus que les frais de communication autour du chantier ont flambé entre 2015 et 2018, passant de 40 000 euros à 190 000 euros, notamment pour concerter les différentes parties prenantes. La Soleam était donc pleinement consciente des “vives résistances exprimées à l’encontre du projet”.

Un avenir incertain pour la Soleam

Joint par Marsactu, l’actuel président de la Soleam, Lionel Royer-Perreaut ne souhaite pas commenter sur le fond un rapport encore confidentiel même s’il reconnaît que celui-ci “permet de reposer un certain nombre d’orientations” comme “un point d’appui de sa gouvernance”.

L’élu à multiples casquettes sait que l’avenir de la société qu’il préside est soumis aux aléas de la commande publique des collectivités “au service” desquelles elle travaille. Ainsi la montée en puissance de la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) qui englobe une grande part des questions de rénovation du centre de Marseille pose la question de la pérennité de la Soleam. “Les deux outils doivent être complémentaires, insiste Lionel Royer-Perreaut. Nous savons que la SPLA-IN va connaître une longue montée en puissance, nous devons être présents dans l’intervalle“. Avec, on l’espère, plus de résultats concrets.

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Les coulisses de Marsactu
Le rapport de la chambre régionale des comptes concernant la gestion de la Soleam de 2010 à 2018 est un rapport provisoire. Il est censé rester confidentiel jusqu'à la présentation du rapport définitif devant les assemblées délibérantes dont la Soleam dépend. Dans l'intervalle, les deux institutions comme la Soleam doivent apporter une réponse dans les deux mois. Celles-ci peuvent venir amender le texte que Marsactu a pu consulter.
Benoît Gilles
Journaliste

Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    En toute lucidité, à quoi pouvions nous s’attendre de la part de la CRC. Un personnel politique indigne, une politique d’enfumage et d’annonce perpétuelle avec le vide comme résultat,une politique volontaire antisociale à l’égard des plus faibles, combines et arrangements avec la promotion immobilière baséesmsur le laisser pourir.
    Vassal a la même politique avec les pauvres qu’avec les jeunes mineurs,la haine. Et ce pitoyable Lionel et autres lieux à marée basse qui se félicite presque de cette faillite pour sa nouvelle politique.Pitoyable.

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  2. Alceste. Alceste.

    Oups pourir est pourrir

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  3. mrmiolito mrmiolito

    Tout le monde déteste la SOLEAM. On le chantait en 2018, on le chantera encore, et à juste raison manifestement !

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  4. Mathieu Trigon Mathieu Trigon

    Il y a quand même une question qui vient naturellement et qui n’a jamais de réponse : Où passe le pognon ? Quand on voit les sommes qui auraient du être dépensées, et qui sont bien sorties de la poche des contribuables, les budgets votés et l’absence quasi totale de réalisation et donc de dépenses, on s’interroge sur le phénomène d’évaporation. La rédaction de Marsactu, auriez vous un début de réponse ?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Merci de poser cette question, elle m’a aussi sauté aux yeux. 31 logements neufs produits et 14 logements rénovés en 9 ans… mais une Soléam grassement rémunérée (plus de 26 % des fonds engagés fin 2018) : pour qui et pourquoi ?

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    • Zumbi Zumbi

      1 figuier à 1 million, c’est à inscrire au Guiness des records ! Maintenant on en est sûr : Lionel, Martine et Jean- Claude ont laissé une trace dans l’Histoire Universelle de Marseille.

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    • Avicenne Avicenne

      les dirigeants de ces SEM ne sont jamais soumis à une évaluation annuel de leurs résultats comme pour toutes sociétés dignes de nom avec des objectifs annuels parfaitement définis.
      Le ratio entre les dépenses de fonctionnement et les résultats n’est pas ” pitoyable ” mais criminel aux regards de la finalité des dépenses ” lutter contre le logement insalubre ” !!
      La SOLEAM est toujours Marseille-Aménagement, avec son lot d’indifférents, d’incompétents, de profiteurs etc , Elle a juste changée de nom ! le plus cruel est qu’il y a des sommes non utilisées.
      Tant que la CRC n’aura pas les moyens d’ester en justice voire de sanctionner, ses rapports demeureront lettres mortes et nous, nous continuerons à enrager et à voter pour ces pingouins.

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  5. Jacques89 Jacques89

    235 M€ en 10 ans pour 69 collaborateurs et… 31 réalisations ? Effectivement, ça pose quelques questions. La plus importante étant de se demander à quoi peut bien servir de monter des sociétés publiques locales pour ce type d’investissements ? Et quand on voit la répartition des « actionnaires », Métropole mais aussi Marseille, Cassis, La Ciotat, Aubagne, Gémenos… Si des villes ont des projets qui conduisent à « mettre au pot 2 fois » quel intérêt ? Noyer le poisson ou justifier des interventions hors compétences… ou les deux ?

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  6. MarsKaa MarsKaa

    Contre-feu ? Le site “made in Marseille” fait un article à point nommé sur les projets de la Soleam pour de l’habitat social en centre-ville, article qui fait la retape de son président. Extrait : “Selon Lionel Royer-Perreaut, le bailleur social 13 habitat va réhabiliter 16 immeubles achetés à la Ville de Marseille pour créer 69 logements sociaux dans le centre. La proportion de logements “très sociaux” est en négociation avec la municipalité, pour ce projet estimé à « 12 millions d’euros ».”…

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  7. raph2110 raph2110

    Est-ce que dans une vraie démocratie, il ne serait pas normal de rendre annuellement des comptes aux habitants de façon transparente ? Est-ce que dans une véritable démocratie les fameux conseils citoyens ne devraient pas être représentés dans le comité de pilotage ?
    Peut-être qu’il se pourrait alors dans cette démocratie qu’une forme de régulation s’opère plutôt que de devoir attendre 10 ans pour avoir un rapport ?

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    • Alceste. Alceste.

      Nous avons avec cette institution métropolitaine effectivement une atteinte à la Démocratie.Ce système est mauvais.
      Mauvais dans son principe,dans son fonctionnement,ses conséquences.

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