Roms, entre deux expulsions, quelle insertion ?

Enquête
le 4 Juil 2016
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Habituées des expulsions à répétitions, les populations roms peinent à s'insérer dans le monde professionnel. Dans un squat rue de Lyon, 20 familles se préparent à retourner à la rue, et les démarches entreprises par plusieurs adultes sont menacées.

Mariccia et Vasile, dans le squat rue de Lyon. (Crédits LC)
Mariccia et Vasile, dans le squat rue de Lyon. (Crédits LC)

Mariccia et Vasile, dans le squat rue de Lyon. (Crédits LC)

Rue de Lyon (15e), un peu en retrait de l’axe routier le hangar d’un ancien concessionnaire automobile à l’abandon se fait discret. Dans le lieu aux grands espaces et au sol plastifié, plus de berlines rutilantes mais quelques véhicules, un espace dédié au stockage de la ferraille, puis quelques caravanes, installées à distance les unes des autres, des chaises et tables de jardin à leurs côtés. Un tout petit village rom à l’intérieur d’un bâtiment. Plusieurs femmes en robes colorées et parsemées de paillettes passent la serpillière de concert. “On n’a que ça à faire !”, plaisante l’une d’elle.

Derrière des vitres, à l’intérieur de ce qui devait être le bureau d’un vendeur, Tamba, qui joue le rôle du chef de village pour la vingtaine de familles installées ici, est assis sur un lit, dans la petite pièce qui lui sert de salon et de chambre, avec son épouse et ses petits, dont le dernier a quelques mois. “Le rendez-vous hier, ça s’est bien passé ?”, lui demande Jane Bouvier, fondatrice de l’association L’école au présent, et infatigable soutien de Roms à Marseille. La veille, Tamba, ce costaud bonhomme d’une quarantaine d’années au regard franc, passait un entretien pour intégrer un chantier d’insertion. “Oui, ça va, on verra”, marmonne-t-il sans grand entrain.

Une expulsion à venir

Sa préoccupation est tout autre. Bientôt, c’est presque sûr, une expulsion s’annonce. L’avis officiel n’est pas encore arrivé, mais les associations n’ont plus guère d’espoir. Depuis un an Tamba a pourtant géré le lieu d’une main de fer pour en faire le lieu de vie, précaire, mais correct qu’il est aujourd’hui. “Il a toujours refusé de nouveaux arrivants pour ne pas perdre le contrôle et pour ne pas dépasser 20 familles sur le site. On pourrait vraiment faire des choses, mais on les remet dans la précarité. Il faut que des lieux comme ça soit stabilisés, ce groupe s’autogère”, explique Jane Bouvier. Dans quelques jours ou semaines, il faudra donc repartir à la rue, sous un soleil de plomb comme lors de l’expulsion de la caserne Masséna un an auparavant, et passer des jours voire des semaines avant de trouver un nouveau lieu sûr où se stabiliser. Alors, le chantier d’insertion n’est plus vraiment la priorité.

Pour les associations, l’expulsion à venir est d’autant plus dure à accepter que ce squat remplit tous les critères de bonne foi : bien tenu, sans désagrément pour le voisinage et surtout avec 18 enfants scolarisés dans les écoles du quartier, et fait encore plus rare, plusieurs adultes en cours d’insertion professionnelle. “Nous allons faire en sorte que toutes les personnes qui ont engagé des parcours d’insertion, avec des enfants scolarisés ou en situation de grande vulnérabilité se voient proposer une solution. On n’y parvient pas toujours, mais on essaye”, promet sans trop d’assurance le préfet pour l’égalité des chances Yves Rousset.

“Si on ne fait pas la manche et les poubelles, il n’y a rien pour nous”

L’expulsion devrait en tout cas fragiliser ces parcours pourtant si durement acquis. Mariccia, jeune femme enthousiaste de 28 ans vit à Marseille depuis 2008. Ce n’est que 6 ans après son arrivée sur le territoire français qu’elle a pu accéder à une formation dite pré-professionnalisante. “C’est important pour moi”, dit-elle dans un sourire. Seule pour assumer ses deux enfants de 6 et 8 ans, accéder au marché du travail “classique” serait pour elle un tournant décisif, car d’après elle, “si on ne fait pas la manche et les poubelles, il n’y a rien pour nous”. Bianca, 17 ans, est sa camarade de classe. “La formation est bientôt finie, et après je vais chercher du travail, j’ai déjà des CV, j’ai envie de travailler”, explique-t-elle, son visage doux et juvénile éclairé par cet espoir. “Une expulsion ce serait un peu dur”, confie-t-elle en regardant vers le sol.

Incertitudes sur la formation

La formation suivie par Mariccia et Bianca est assurée par l’Association départementale d’études et de formation (ADEF). Constituée de plusieurs modules de deux mois chacun, elle peut durer jusqu’à 10 mois au total, avec pour objectifs “acquérir, réacquérir ou développer les savoirs généraux” notamment par la maîtrise du français, mais aussi “faciliter l’accès à une formation qualifiante et/ou à une insertion professionnelle” et “agir en citoyen(ne) de son cursus de formation et de son environnement”, précise le site internet de l’association. Sur le livret de suivi de Mariccia, on voit sur la couverture une photo de Michel Vauzelle, ex-président de région, laquelle finance ce cursus nommé “ETAPS” pour “espace territorial d’accès aux premiers savoirs”. 

Mais les associations craignent que le changement de majorité ne remette un des atouts de cette formation en question : la rémunération. A compter de la rentrée prochaine, les personnes de plus de 25 ans pourraient ne plus être rémunérées durant le suivi du cursus. “Les gens ne vont plus y aller, regrette Roland Bourglan, militant aubagnais pour l’insertion des roms, ce genre de formation ne débouche pas directement sur un emploi, mais elle permet d’avancer, elle a suscité des espoirs”, avance-t-il, craignant que l’absence d’indemnités ne permette pas de convaincre les roms de renoncer à l’économie de la débrouille, sans perspective à long terme mais rémunératrice dans l’urgence.

“Il n’y a rien d’officiel, mais l’information circule”, reconnaît Philippe Génin, vice-président de l’Adef, tout aussi inquiet de voir ces élèves, “qui ne présentent pas plus de contraintes que les autres” assure-t-il, déserter les salles de formation. Contactée, la région n’a pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer la fin de la rémunération dans nos délais de publication.

“Le travail ça peut changer la vie”

Une des filles de Pitsu, dans le bâtiment désaffecté où sont installées 20 familles. (crédits LC)

Une des filles de Pitsu, dans le bâtiment désaffecté où sont installées 20 familles. (crédits LC)

Dans le squat rue de Lyon habite aussi Pitsu, 31 ans, père de famille à l’esprit vif qui s’exprime dans un français encore approximatif. Suivi par une Maison de la solidarité, il a commencé une formation en français il y a un mois et demi. “C’est tous les jours de 9 h à 5 h. C’est un peu dur, je n’ai pas le temps pour autre chose”, confie celui qui vivait depuis son arrivée à Marseille, il y a 6 ans, de la revente de la ferraille. Un des autres habitants du squat en a d’ailleurs fait son travail officiellement : il est devenu auto-entrepreneur ferrailleur. Pour Pitsu, ce sera peut-être un autre domaine, mais bientôt espère-t-il. “J’attends le travail. Le travail ça peut changer la vie, soupire-t-il jusqu’à rêver à voix basse d’avoir un jour une maison à lui, en montrant d’un geste de la main le grand hangar désaffecté sous lequel il élève ses enfants. C’est pas possible de rester toujours comme ça.” Et d’après lui, la Roumanie où il a grandi offre encore moins de possibles.

Jusqu’au 1er janvier 2014, les citoyens roumains et bulgares – principales nationalités des roms présents en France – n’avaient accès en France qu’à un certain nombre restreint de professions. Depuis ils ont accès à l’ensemble du marché du travail. Une perspective plus engageante, mais pas non plus un sésame. En France depuis 6 ans, Vasile, jeune homme fin aux sourcils foncés parle la langue sans problèmes. En Roumanie, il détenait plusieurs diplômes dans l’agriculture et le bâtiment, ici, il fait un peu de mécanique par-ci par-là. Dans quelques jours il passe un entretien pour un vrai emploi, trouvé par l’intermédiaire. “Je n’ai pas de stress, je suis confiant”, pose-t-il comme pour se rassurer.

Obstacles administratifs en cascades

Obtenir un contrat, même court, est une réelle bouée de sauvetage pour les Roms à la rue. En effet, après un CDD, il devient possible de demander les allocations familiales de la CAF, auxquelles ils n’ont pas droit autrement. D’où l’intérêt de chantiers d’insertion, transitoires, mais premières étapes d’un parcours professionnel, mais aussi administratif. À Aubagne en 2015, un collectif d’associations, dont Roland Bourglan faisait partie, a mené un chantier de nettoyage autour d’un campement qui a permis à 8 personnes d’ouvrir leur droits, mais aussi de trouver des emplois par la suite. Plusieurs entreprises, d’insertion ou non, sont prêtes à leur donner leurs chances assurent les associations.

Mais Roland Bourglan a remarqué un nouveau grain de sable dans la machine administrative, et il est de taille. Une réforme du mode de déclaration sociale oblige les employeurs à demander un numéro de sécurité sociale commençant par “1” ou “2”, soit des numéros définitifs, qui permettent de centraliser les informations. Or, la plupart des Roms ayant un numéro de sécurité sociale en ont des provisoires, qui commencent par d’autres numéros en l’attente d’une immatriculation définitive, ce qui peut prendre “entre 18 mois et trois ans en général”, précise Roland Bourglan. Impossible alors, pour les entreprises quelles qu’elles soient, de formaliser une embauche avec ces personnes. De même, les contrats d’insertion, les CUI, tendent à être réservés aux bénéficiaires du RSA. Ils deviennent alors hors de portée des citoyens européens n’ayant pas encore accès aux allocations de la CAF tant qu’ils n’ont pas travaillé.

“C’est catastrophique, on marginalise complètement, on coupe les voies d’accès”, peste Roland Bourglan qui essaye d’alerter les autorités sur ces problèmes, sans succès jusqu’ici. Caroline Godard, de l’association Rencontres Tsiganes, en a déjà vu les conséquences. Elle a tenté d’inscrire des personnes dans un chantier d’insertion de l’entreprise La Varappe, sans succès. “Il y a de la part des familles beaucoup d’incompréhension. On leur dit faites ci, faites ça, et rien ne se passe. Au bout d’un moment, ils vont revenir à faire comme avant”, désespère-t-elle. Les habitants de la rue de Lyon se préparent eux, à passer l’été à la rue, loin des salles de formation.

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