Préfet et caméras se bousculent pour voir les migrants de Calais

Actualité
le 26 Oct 2016
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Le premier bus de migrants venus de la jungle de Calais en pleine évacuation est arrivé à Marseille mardi matin. Dès l'après-midi, les journalistes étaient conviés à leur rendre visite en compagnie du préfet.

Préfet et caméras se bousculent pour voir les migrants de Calais
Préfet et caméras se bousculent pour voir les migrants de Calais

Préfet et caméras se bousculent pour voir les migrants de Calais

L’exercice est rigoureusement le même qu’en avril dernier lors de l’ouverture d’un centre d’accueil et d’orientation (CAO) à la Croix-rouge. Le préfet Stéphane Bouillon, dans une chambre un peu austère, avec à ses côtés Sylvain Rastoin, le directeur de l’association Sara, tentant d’échanger quelques mots in english avec des migrants fraîchement arrivés. Sauf que ce mardi la tension et les enjeux sont bien plus grands. Les nouveaux occupants de cette ancienne maison de retraite du quartier Saint-Jérôme (14e) sont parmi les premiers à avoir quitté la jungle de Calais, dont l’opération d’évacuation a commencé la veille.

Seize heures de bus plus tard, un bracelet de couleur bleue aux poignets, ils ont pris possession de grandes chambres équipées d’une kitchenette et d’une petite salle de bain. Ils sont trente hommes, Soudanais, Pakistanais et Afghans, présents dans ce qu’on appelle aussi un centre de répit, pour quelques semaines ou quelques mois, le temps de préparer leur demande d’asile et de voir quelles possibilités s’offrent à eux pour leurs “parcours migratoires”.

168 places disponibles dans le département

Pour le préfet il ne s’agit donc plus seulement de prouver qu’il est possible d’accueillir des migrants dignement, et une fois de plus sur des terres Front national, mais de prouver le bon déroulé d’une opération d’envergure nationale qui occupe, sature, les médias, à quelques mois de l’échéance présidentielle. La presse est au rendez-vous, avec tout ce que la région compte de calepins, de caméras et d’appareils photos crépitants, ceux de Marsactu compris, soit une bonne trentaine de journalistes.

Du côté des annonces : 5 CAO seront opérationnels à Marseille dans les jours qui viennent, dont celui-ci et celui déjà implanté à Croix-rouge. Les adresses des autres sont pour l’instant tenues secrètes, explique le préfet,“pour éviter les comités d’accueil”. Le nom du site de l’AFPA à la Treille a toutefois déjà filtré dans La Provence, en plus de celui de Vieille-chapelle dans le 8e arrondissement. En tout, 168 lits sont répartis dans les Bouches-du-Rhône, les centres d’Istres et de Port-de Bouc portant à 7 le nombre de CAO. Un centre spécialisé pour les mineurs isolés pourrait aussi ouvrir ses portes, “pris en charge par l’Etat mais animé avec le procureur de la République et le conseil départemental, en vue de leur prise en charge par l’aide sociale à l’enfance”, indique Stéphane Bouillon.

“La jungle c’est fini”

Une fois ces informations récoltées, les journalistes furètent à la recherche du migrant bon client prêt à raconter l’horreur de la jungle et satisfaire leurs rédacteurs en chef. Et se désespèrent vite de voir les rares d’entre eux à s’aventurer dans les parties communes fuir à leur vue. Effrayés par la foule qui se bouscule, les nouveaux résidents, pourtant pas réticents à l’origine, se carapatent dans leurs habitations.

On obtiendra quelques phrases. Ainsi, Shoka, 29 ans, qui en paraît près du double, originaire de Peshawar (Pakistan) raconte avoir “essayé, essayé et essayé” de passer en Angleterre depuis 4 ans, sans succès. “Aujourd’hui, je veux faire ma vie ici, à Marseille”, dit-il après avoir difficilement cherché à se souvenir du nom de cette nouvelle ville. La plupart des hébergés se connaît de la jungle, les plus habiles en anglais traduisent pour ceux qui veulent bien dire quelques mots, car les interprètes officiels manquent encore au centre.

“La jungle, c’est fini”, dit un autre qui se réjouit d’avoir ici l’accès à “toutes les commodités, tout est très beau”. Une douche, un coin cuisine, ils ne demandent pas plus. “Je ne voulais pas aller en Grande-Bretagne, mais j’étais à Calais car tous mes amis y étaient”, ajoute-t-il. Malgré le manque de mots pour se faire comprendre, on sent des parcours très différents. L’un d’eux montre un classeur où figure déjà un récépissé de demande d’asile, quand d’autres semblent avoir décidé de renoncer à l’Angleterre très récemment.

“Pas là à contre-coeur”

“Je m’attendais à voir des gens contraints, mais comme ce sont les premiers partis, ce sont aussi les plus volontaires. J’étais étonné de voir qu’ils ne sont pas là à contre-cœur”, constate le directeur de l’association Sara, Sylvain Rastoin. Le personnel de l’association fait part aussi d’une bonne première impression. “À leur arrivée on a bien vu que les mines étaient fermées, mais après le petit-déjeuner et l’installation dans les chambres, on a vu des sourires, ils ont pris des photos, pour les envoyer à d’autres camarades qui sont ailleurs en France je crois”, se réjouit Marjorie Avena, la responsable des CAO pour l’association. Les travailleurs sociaux s’inquiètent davantage de la foule de journalistes qui s’éternise en fouillant le centre à la recherche du bon témoignage.

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Un des rares résidents à vouloir répondre aux questions face caméra. (LC)

“Tu es dans le champ !”“j’étais en train de poser une question !” ou encore, “je viens d’arriver, on peut reprendre du début ?”, la meute médiatique n’y va pas par quatre chemins et le malaise est général. Le personnel de la préfecture tente d’encadrer mais tient à ce que les images soient faites. Le personnel du centre ne parvient plus à échanger sereinement avec les résidents pour poursuivre l’évaluation de la situation de chacun et les journalistes s’écharpent entre eux quand ils n’abordent pas les migrants avec un manque de tact qui dépasse parfois la seule maladresse. “Mais ce monsieur, il n’arrive pas de Calais ?”, lance l’un d’eux à la vue de l’occupant d’une chambre“Si, si, mais il a pris une douche”, lui répond une voix masculine non-identifiée, tandis qu’un cameraman frappe à la porte d’une salle de bain pour interroger un migrant en train de se raser.

À chaque instant, l’opération de com’ menace de virer au pugilat et le préfet Bouillon repart donc pour un nouveau tour de questions-réponses pour meubler. “Ça fait un peu foire aux monstres”, s’agace un travailleur social. Après avoir accepté de répondre à quelques questions, un jeune homme qui s’est retrouvé entouré d’une dizaine de caméras et de flashes finit par s’asseoir seul, le regard hébété et le dos voûté. D’autres journalistes profitent de la vue imprenable sur la cité voisine pour scruter le plan stup’ juste sous les fenêtres de la résidence. Mais tout ce petit monde finit par être gentiment poussé vers la sortie. “Marseille, ce n’est pas comme Calais, c’est très calme”, assure un migrant pakistanais, à qui il en faut apparemment un peu plus que ça pour être impressionné.

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Commentaires

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  1. Renardsauvage Renardsauvage

    Bienvenue à tous ces jeunes hommes qui reviennent de loin. Je suis pour que notre ville accueille dignement ces personnes déplacées qui auraient certainement désirė demeurer dans leur pays. Soyons un peuple fraternel et compatissant, gardons notre énergie pour nous relever. Bonne chance à tous.

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  2. marseillais marseillais

    Je m’associe 100% avec vous Renardsauvage
    Notre pays retrouve un peu de dignité perdue autour de ces migrants

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  3. Martial Maurette Photographe Martial Maurette Photographe

    J’en reste au vrai « angle » de l’article; la façon dont se joue « …le bon déroulé d’une opération d’envergure nationale qui occupe, sature, les médias, à quelques mois de l’échéance présidentielle… » « …ceux de Marsactu compris, soit une bonne trentaine de journalistes. » « …, la meute médiatique n’y va pas par quatre chemins et le malaise est général. » (Manque d’infos ; des noms !)
    « …À chaque instant, l’opération de com’ menace de virer au pugilat… »
    Rien n’a changé donc, depuis 1980 ?
    Aucune pudeur, aucune retenue, « …informations (…?…) récoltées, les journalistes furètent à la recherche du migrant bon client prêt à raconter » et toujours en vue de faire les « cartes postales » écrites ou visuelles, attendues ( ! ) par les rédactions.
    « Les adresses des autres sont pour l’instant tenues secrètes », explique le préfet, “ pour éviter les comités d’accueil”.
    Ok, c’était prévisible ce spectacle accrédité. Surement un premier chapitre, coloré, et dans le temps, dans le fond, nous finirons par avoir, d’après un ou deux vrai auteur concerné, des articles investis, dignes et respectueux du « problème ».

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