Soudanais du Sud, Omar a découvert Dublin en arrivant en Sicile

Actualité
le 31 Jan 2017
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Plusieurs dizaines de personnes ont manifesté lundi devant la préfecture pour demander le déblocage de la situation de migrants de Calais logés à Marseille. Depuis leur arrivée il y a 3 mois, les demandes d'asile de plusieurs d'entre eux sont bloquées, car leurs empreintes ont déjà été prises dans un autre pays.

Soudanais du Sud, Omar a découvert Dublin en arrivant en Sicile
Soudanais du Sud, Omar a découvert Dublin en arrivant en Sicile

Soudanais du Sud, Omar a découvert Dublin en arrivant en Sicile

“Préfet ! Respecte les promesses de Calais !”, interpellait lundi midi une banderole brandie sous les fenêtres du représentant de l’État par plusieurs dizaines de manifestants, migrants et soutiens. Parmi la quinzaine de migrants à manifester se trouve Omar, 23 ans. Il est Soudanais du Sud et a connu Calais pendant près moins de quatre mois. Le temps d’un espoir.

Les “promesses de Calais” font référence aux arguments utilisés pour convaincre les habitants des campements de quitter ces derniers lors de leur démantèlement en octobre dernier. Il s’agissait dans un premier temps d’offrir à chacun une place en centre d’accueil et d’orientation (CAO) et ensuite de pouvoir formuler une demande d’asile sur le sol français. Cette dernière promesse s’assortissait de nombreux “si” et du conditionnel. C’est aujourd’hui, trois mois plus tard, à cet endroit que le bât blesse.

“Non au dublinage” est un autre des slogans inscrits les panneaux du rassemblement. Le règlement Dublin III est au cœur de la situation inextricable dans laquelle se trouve de nombreux déplacés de Calais. Sont sous le coup d’une procédure “Dublin” les personnes souhaitant demander l’asile et dont les empreintes ont été prises dans un autre pays que la France. Ce règlement européen veut en effet qu’une demande d’asile soit formulée dans le premier pays de l’UE traversé, et pas ailleurs. Lorsqu’un demandeur d’asile se rend en préfecture pour déposer sa demande, ses empreintes sont confrontées au dossier Eurodac qui répertorie celles récupérées dans toute l’Europe. S’il s’avère qu’il est déjà présent dans le fichier, son dossier est bloqué et une procédure de “réadmission”, c’est-à-dire de renvoi, vers l’autre pays est enclenchée. Tout ceci, Omar la découvert en posant le pied en Europe et le doigt dans de l’encre en Sicile.

En Italie “On peut rien faire pour vous, allez-vous-en !”

Il y a à peu près un an, Omar a quitté son pays à cause, “du manque de sécurité”, explique-t-il en arabe à une membre du collectif El Manba qui s’occupe de traduire. Il a rejoint la Libye et traversé la Méditerranée pour arriver en Sicile. C’est à son débarquement, le 29 juillet 2016 précise-t-il, qu’il est contraint de faire enregistrer ses empreintes digitales. Un moment qui va peser lourd sur la suite de son parcours. “Après, on nous a dit “On peut rien faire pour vous ici, allez-vous en”, se souvient-il. Il a donc poursuivi sa route vers le nord : Gêne, Milan, Vintimille, puis Nice, Marseille et de là, un TGV pour Paris.

Calais, il en avait entendu parler et cette ville s’est imposé à lui comme un point d’arrivée. Il ne rêvait pas spécialement d’Angleterre, assure-t-il. “Je cherchais un pays où être bien, où avoir l’asile”. À Calais, il sait qu’il pourra trouver un campement où vivent beaucoup de ses compatriotes et des organisations pour lui expliquer les démarches. “Si j’avais trouvé de l’aide et un logement en Italie, j’y serais resté”, explique le jeune homme.

Lorsqu’à l’automne, le démantèlement du campement se prépare, il assiste avec de nombreux autres migrants aux réunions d’information, organisées par les services de l’État, notamment l’OFPRA, l’office français pour les réfugiés et les apatrides, en charge d’instruire les demandes d’asile. Comme plusieurs de ses camarades soudanais, il assure avoir entendu les officiels expliquer que l’OFPRA ne ferait pas cas de la procédure Dublin et examinerait rapidement les demandes de tous les habitants du camp bientôt répartis dans plusieurs villes de France.

Trois mois que rien n’avance

Omar a choisi de prendre l’un des bus affrétés par l’État à destination de Marseille car il avait déjà traversé la ville. “Je ne voulais pas vraiment partir, mais c’était quand même un soulagement de savoir qu’on aurait un logement et la promesse que mon dossier serait traité en France”. Depuis la fin du mois d’octobre, Omar vit donc dans un des CAO de la ville, une petite structure qui accueille jusqu’à 20 personnes et permet aux déplacés de Calais de se reposer et d’élaborer leur dossier. Sauf que, comme une part très importante de ses camarades, depuis son installation à Marseille, absolument rien n’a avancé.

Du fait de son statut de “dubliné”, sa demande d’asile en France est gelée. Il n’est pas dans l’illégalité mais il doit en revanche aller pointer à la préfecture tous les mois. À chaque fois, il demande des informations sur son dossier. “Nous on ne sait pas”, lui répondent les fonctionnaires au guichet. Impossible de savoir si un renvoi vers l’Italie est en préparation ou si, au contraire, une levée du blocage de sa demande est en cours.

L’État tente pourtant, après plusieurs semaines de flou, de montrer des gages de bonne foi. Mi-janvier, le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux a annoncé lors d’une visite de CAO en Bretagne l’examen “d’un certain nombre de situations” touchant au règlement Dublin par l’OFPRA, et assuré que “les engagements pris à Calais seront tenus”. Omar a eu des nouvelles de plusieurs autres Soudanais dont la procédure a été débloquée, dans d’autres villes de France, il a l’impression que la roue tourne pour eux, mais pas pour lui.

Si nous appliquions le règlement Dublin drastiquement, une camionnette de police serait déjà là”, relativisait au printemps le préfet délégué pour l’égalité des chances Yves Rousset, lors de l’ouverture du premier CAO à Marseille, promettant d’appliquer la procédure “avec discernement”. Contactée, la préfecture assure aujourd’hui qu’aucune demande de réadmission dans un autre pays n’a été délivrée pour les personnes provenant de Calais, c’est à dire qu’aucun renvoi effectif n’a eu lieu, sur les 196 personnes arrivées depuis octobre dans le département.

Des cas débloqués et d’autres qui piétinent

Du côté des CAO, les travailleurs sociaux n’ont pas de prise sur le parcours du dossier des personnes qu’ils suivent. Cependant, l’association SARA, présente dans quatre CAO marseillais, assure que la préfecture a déjà débloqué plusieurs cas de “dublinés”“Quand nous avons pris la gestion des CAO, on ne nous a jamais dit que toutes les procédures Dublin seraient annulées, mais on nous a assuré qu’il y aurait une bienveillance face à ces cas, et nous avons pu le constater. Nous n’avons eu aucune situation de retours forcés. Finalement, les procédures Dublin ont pris beaucoup moins de place que nous les craignions au début”, détaille le directeur de SARA, Sylvain Rastoin. S’il y a bien eu trois personnes renvoyées en Italie depuis ses centres, c’est, explique-t-il, parce qu’elles avaient déjà obtenu l’asile là-bas. Autrement, l’association constate que dans la plupart des cas, si le pays où les empreintes ont été enregistrées ne donne pas suite rapidement, les procédures Dublin sont levées, “en quelques semaines”.

Reste que ces “quelques semaines” peuvent s’éterniser, comme dans le cas d’Omar, sans qu’il ne puisse comprendre pourquoi. Si son dossier venait à être débloqué, il serait ravi de suivre le parcours de tous les demandeurs classiques : obtenir une place en centre d’accueil des demandeurs d’asile, apprendre le français, puis s’intégrer. “France inch allah”, répond-il quand on lui demande en français s’il souhaite rester. En attendant, il tourne en rond dans le CAO, un lieu pensé pour être de transition plutôt que pour y passer des mois. “Calais c’était quand même mieux, je n’avais pas le poids de l’attente pour savoir si je vais être refoulé ou pas”, lâche Omar.

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