Pierre Dharréville (PCF) : “Le Parlement s’est regardé le nombril pendant 15 jours”

Interview
le 3 Août 2017
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À l'occasion de l'examen à l'Assemblée de la loi "confiance dans l'action publique", Marsactu interroge les nouveaux députés du département, toutes tendances confondues, sur ce texte censé renforcer la transparence et limiter les conflits d'intérêts. Élu dans le sillage du communiste Gaby Charroux, dans la circonscription de Martigues, Pierre Dharréville regrette que le texte cible les parlementaires, oubliant "le pouvoir de l'argent".

Photo DR.
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Ce jeudi, l’Assemblée examine à nouveau le projet de loi pour la confiance dans la vie politique – anciennement dans l’action publique… Si le principal point d’achoppement avec le Sénat reste la suppression de la réserve parlementaire, les critiques de l’opposition se concentrent surtout sur ses lacunes. Député PCF de la 13e circonscription (Martigues et le sud-ouest de l’étang de Berre), Pierre Dharréville a défendu en séance publique de nombreux amendements tentant d’élargir le texte au monde de l’entreprise. Comme trois autres députés LR, En marche et Modem (le dossier de notre série est ici), il détaille ses positions sur les points clés du texte et sur le rôle de parlementaire.

Moralisation, confiance, transparence, régulation : au fil des gouvernements et même des appellations successives de cette même loi, plusieurs termes sont employés. Au fond, quel est l’enjeu ?

Pierre Dharréville : L’enjeu, c’est qu’il y a une crise politique et démocratique profonde dans ce pays. Hélas je pense qu’on ne trouvera pas de réponse satisfaisante dans le texte qui nous a été proposé parce que le périmètre en a été extrêmement restreint. On a fait beaucoup de bruit sur un certain nombre de choses mais à l’arrivée la montagne accouche d’une souris.

Mais la question, la crise, est bien de confiance ?

Oui, parce que les gens ont le sentiment que de toute façon leur avis n’est pas écouté. Et que quand on leur demande de l’exprimer il n’en est pas forcément tenu compte. Je fais référence au référendum de 2005 qui a été une rupture de confiance sérieuse, parce qu’on avait voté non au traité constitutionnel européen et qu’à l’arrivée il s’applique. Un des points d’orgue de cette crise se situe là. Elle est liée à un autre élément, c’est que nous connaissons une régression sociale généralisée depuis 15 ans et que les politiques mises en œuvre ne font que creuser le sillon du libéralisme. Cela fait des dégâts monumentaux.

Difficile de ne pas souscrire à un texte qui vise à plus de transparence. Comment votre groupe s’est positionné ? Quel a été votre objectif ?

Une position ne peut jamais être résumée à un vote [l’abstention en l’occurrence, ndlr]. Sur les trois sujets principaux abordés – l’usage de la réserve parlementaire, l’emploi de collaborateurs par les députés et l’utilisation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) – nous étions favorable à de nouvelles mesures de contrôle. On a bien vu pendant la dernière période qu’il y a eu un certain nombre d’abus inacceptables, d’autant plus qu’on est en train de baisser les allocations familiales pour celles et ceux qui en ont le plus besoin… Après, on peut discuter des modalités.

Votre groupe s’est quand même montré très réservé sur la suppression de la réserve parlementaire. Vous avez soutenu un amendement créant une “dotation de soutien à l’investissement des communes”, dont la liste serait proposée par le Parlement…

Il ne s’agissait pas de conserver le pouvoir actuel du parlementaire sur cette petite enveloppe [130 000 euros par an et par député, ndlr]. La question c’était surtout de savoir à quoi allaient être réaffectées les sommes et comment. Tel que c’est fait, et ça a contribué à notre vote, c’est une mesure d’austérité supplémentaire. On était pour un mécanisme qui permette d’une manière ou d’une autre de ne pas priver les associations qui font œuvre utile pour la société, les communes qui ont des besoins. Parce qu’on est en permanence sollicités politiquement. Les élus que je rencontre me disent qu’ils n’ont pas les moyens de faire face, de développer les projets d’investissement nécessaires, d’assurer le fonctionnement d’un certain nombre de services publics utiles, etc. Mais en réalité le problème est plus large : quelle est la prise qu’ont les parlementaires sur le budget de l’État, quand on le discute, et surtout quand on est un élu d’opposition ? La réserve parlementaire ne suffit pas à régler cette question. C’est presque dérisoire.

Cette question de la réserve parlementaire pose aussi plus largement celle du rôle du député, tiraillé entre le représentant d’un territoire, du terrain, et de la Nation. Comment vous situez-vous entre ces deux pôles ?

Il faut être enraciné dans une réalité pour faire la loi correctement et défendre l’intérêt général. La Nation est aussi composée de territoires avec leur histoire, leurs enjeux, leurs attentes et leurs dynamiques propres. Je me sens profondément porteur des aspirations d’un peuple avec qui j’ai cheminé depuis des années. Je sais d’où je viens. Je viens d’un territoire populaire, industriel, de service public, avec une diversité. J’ai envie d’être aussi le porteur de tout cela, avec la sensibilité qui est la mienne.

Mais concrètement, on voit des pratiques assez différentes selon les députés, certains se concentrant sur des questions écrites sur des enjeux très locaux, d’autres étant davantage dans le travail de commissions d’enquêtes, de rapports…

Je pense qu’il ne faut pas opposer les choses. Les questions qu’on se pose quand on fait la loi, elle naissent de ces réalités de territoire. Et toutes les questions ne se résolvent pas dans la loi, c’est pour cela que c’est important de pouvoir interpeller le gouvernement. Les gens attendent cela de moi quand même ! Hier [mardi, ndlr] j’ai fait un aller-retour express à Istres car il y avait un incendie grave qui est venu lécher les habitations avec des gens qui sont dans l’inquiétude, dans la colère aussi et parfois dans la détresse. Mon rôle c’est d’être à leur côté. Mais aussi d’en tirer quelques leçons, de regarder comment se déroule l’action publique, de contrôler l’action du gouvernement là-dessus, voir si les mesures prises sont suffisantes, adaptées.

Sur l’IRFM, vous êtes en accord avec le système proposé qui revient à des remboursements par notes de frais ?

On verra à l’usage. Quand on est un élu de la Nation on a forcément des frais. Il faut qu’ils soient raisonnables et contrôlés. Mais en même temps que ces contrôles ne viennent pas entraver la liberté du parlementaire, dans la mesure où c’est utile à son mandat. Je vous signale toutefois que mon prédécesseur Gaby Charroux va rendre de l’argent [du compte bancaire] de son IRFM, qui n’a pas été utilisé pendant son mandat … De même, sur les collaborateurs, il y avait des dérives, qui étaient surtout liées à des emplois fictifs. Là aussi il faut du contrôle. Le fait qu’on se penche là-dessus ne me pose aucun souci et je vous réponds volontiers. Le problème, c’est que le gouvernement a refusé d’étendre des dispositions aux ministres, aux hauts fonctionnaires. Les mesures prises ont visé principalement le Parlement. Comme si la crise de la politique était principalement liée au Parlement. C’est une manière d’affaiblir encore une fois le pouvoir législatif. Et quand le président de la République et le premier ministre réunissent le Parlement, une des principales choses qu’ils ont à nous dire, c’est que l’on va réduire le nombre de parlementaires, que l’on va réformer la procédure parlementaire, faire passer des lois en commission…

La loi pour la confiance dans “l’action publique” est d’ailleurs devenue dans la “vie politique”…

Ce glissement sémantique a adapté le titre du texte à sa réalité. Au bout du compte, le Parlement s’est regardé le nombril pendant 15 jours et on ne s’est pas occupés des problèmes majeurs qui grèvent l’exercice de la démocratie dans notre pays, le pouvoir de l’argent qui s’insinue partout, l’influence des lobbies, le comportement d’un certain nombre de dirigeants, le poids de la finance dans nos institutions… Quand on prend les choses de cette manière, on décide de dire : “Les responsables politiques -pris de manière globale- ce sont eux qui s’accaparent les richesses.” Et donc les inégalités sont d’un côté entre une classe politique – je ne sais pas ce que c’est, moi je ne me reconnais pas là-dedans – et de l’autre une classe des citoyens… Pour moi la lutte des classes, elle n’est pas là ! Pour moi elle est entre une petite fraction qui sont les forces de la finance, les grands propriétaires, les grands actionnaires et qui effectivement sont très représentés dans les milieux politiques, et puis de l’autre côté le monde du travail, de la création, y compris des petites entreprises, des sous-traitants.

Vous avez défendu le fait que les aides publiques aux entreprises faisaient partie du sujet. Et notamment un amendement sur l’interdiction de distribuer des stocks-options dans les entreprises ayant bénéficié d’aides publiques dans les deux années précédentes.

Quand une entreprise touche de l’argent public et qu’elle rémunère des actionnaires, cela pose un problème. Plus largement, quand on est un actionnaire d’une grande multinationale, on n’a pas simplement un titre de propriété, on a un pouvoir social. Un pouvoir sur la vie des gens, des salariés de l’entreprise et sur l’environnement. L’exemple de Madame Pénicaud [ministre du Travail, ndlr] est une illustration assez ordinaire du système dans lequel nous vivons et où quelqu’un peut faire une plus-value d’un million d’euros en achetant et revendant des stock-options parce que c’est un privilège qui lui est accordé. Je pense que cela aussi alimente la crise de confiance, parce que quand la politique refuse de s’attaquer à ça, elle se disqualifie. À chaque fois que nous avons posé ces questions, il nous a été répondu que ce n’était pas le sujet.

Régulièrement, les responsables politiques sont confrontés à la question de l’attitude à adopter face aux révélations médiatiques ou à des affaires judiciaires, avant même une éventuelle condamnation. Qu’en pensez-vous ?

Je sais que cela peut paraître bateau de répondre cela, mais il faut préserver la présomption d’innocence. À partir du moment où une enquête est ouverte, où la justice n’a pas tranché, on ne peut pas condamner les gens. Ou alors sur quelle base ? Cela veut dire qu’il n’y a plus de justice républicaine.

Mais la question est aussi celle du temps de la justice, d’affaires qui s’étirent sur des années quand à d’autres moment des condamnations fermes sont délivrées en quelques jours, en comparution immédiate.

C’est à chacun de mesurer suivant la gravité des faits incriminés, suivant les responsabilités, suivant la manière dont ils se sentent de continuer ou pas à les assumer… Il peut y avoir des discussions collectives là-dessus. Il y a sans doute des moments où ce type de situation peut rendre extrêmement difficile l’exercice d’un mandat. À ce moment-là il faut se poser des questions et c’est une question politique. Mais cela peut aussi se prêter à des tas de manœuvres.

Ce que j’ai dit précédemment sur la présomption d’innocence n’est valable que si la justice est la même pour tous, qu’il n’y a pas de justice à plusieurs vitesses. Deuxièmement, cela pose la question des moyens de la justice pour faire face au nombre d’affaires qu’elle a à traiter. Quand il faut attendre des mois, parfois des années, avant d’être jugé, quel sens ça a ? Il y aura des dispositions à prendre pour que la justice soit plus efficace et plus indépendante aussi. Cela permettra d’apporter des réponses aux questions que vous soulevez.

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Julien Vinzent
Journaliste.

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