Neuf friches cherchent entrepreneurs ambitieux pour “reconquérir” le quartier des Crottes
Euroméditerranée espère faire fleurir une flopée de "tiers lieux" transitoires d'ici l'été 2019 et accroître l'attractivité d'un territoire pour l'heure laissé à l'abandon, avant les futurs grands chantiers. Mais les nombreuses contraintes de l'appel à projet ont de quoi décourager les candidats.
Le site de "l'enclos", comme huit autres, doit être mis à dispositions d'entreprises ou d'associations à partir de mars 2018 . Situé en lisière du quartier populaire des Crottes, il est pour l'heure recouvert des gravats issus de la démolition du bâtiment préexistant
Move aux Crottes. Le rapprochement des deux termes frôle le pataquès. Les Crottes est un vieux quartier industriel et ouvrier, aujourd’hui en déshérence (lire notre article). MOVE est une démarche que porte Euroméditerranée, abréviatif de Massalia Open Village Experience. Sous ce nom alambiqué, un appel à candidatures vise à confier six bâtiments et trois terrains du quartier des Crottes (15e) à autant d’acteurs privés ou associatifs, moyennant un loyer décoté. Les futurs occupants doivent proposer avant la mi-décembre une programmation libre sur un ou plusieurs des sites, qu’ils devront ouvrir avant juin 2018 s’ils sont retenus. Le délai est court, l’ambition grande.
Pour l’établissement public d’aménagement (EPA), il s’agit d’ “initier une reconquête” du quartier populaire des Crottes en amorce du pharaonique projet Euroméditerranée 2 (voir notre carte des enjeux). Situés à proximité de la station de métro Bougainville, les sites proposés sont d’anciennes friches industrielles, acquises par l’Établissement Public Foncier PACA (EPF) en prévision des chantiers à venir.
L’envergure de l’appel à projet, qui concerne 8500 m² de surface de plancher et 9000 m² de terrains, pourrait transformer le visage des Crottes. Mais sans une vision allant au-delà de la simple mise à disposition de terrains, le “Massalia Open Village Experience” pourrait se limiter à un saupoudrage d’acteurs privés, dans un quartier qui se vide lentement de ses entreprises et d’une partie de ses habitants.
“Activez Euroméditerranée”
Avec MOVE, l’aménageur souhaite s’inscrire dans la lignée d’expériences d’urbanisme dit “transitoire”, qui renvoient à “une occupation temporaire d’un lieu où est attendu un projet urbain” comme l’explique Juliette Pinard, doctorante au Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS). Ce type d’occupation est déjà en cours avec ICI Marseille, à quelques centaines de mètres à peine, ou encore au jardin Levat, en attendant le projet “Quartier libres“. “L’idée de gestion de la vacance est ancienne, poursuit la chercheuse. Mais ce qui est nouveau avec l’urbanisme transitoire, c’est la manière dont l’aménageur va s’en servir en accompagnement d’une stratégie immobilière”.
Il s’agit bien de préfigurer l’arrivée des futurs programmes de bureaux et de logements, avec cette injonction presque incantatoire qui ouvre le dossier de consultation : “Activez Euroméditerranée“, écrit en lettres capitales. “L’enjeu est de recréer de la destination là où on aura le Marseille de demain”, précise un urbaniste de la société de conseil Le Sens de la Ville, qui a épaulé l’aménageur dans la conception de MOVE. “Les occupants pourront être des start-up qui cherchent des locaux ou des acteurs culturels, comme des écoles de musique, des entreprises du secteur de l’événementiel”, énumère-t-il. Le dossier de candidature demande ainsi aux candidats des propositions qui soient en adéquation avec “l’esprit du projet urbain”, et qui apportent une “valeur ajoutée au quartier”.
La mise à disposition des neufs sites ne serait que la “saison 1” d’une série d’actions MOVE, à en croire le règlement de consultation. Dans les cartons : l’ouverture d’une “centrale de réservation” pour permettre de privatiser certains lieux vacants ou celle d’“une maison du projet” qui pourra accueillir des événements et expositions.
Un objectif : créer de l’activité économique
Laure-Agnès Caradec, présidente d’Euroméditerranée, n’y va pas par quatre chemins : “l’objectif de MOVE, c’est de faire venir l’activité économique“. Celle qui est également adjointe au maire de Marseille ambitionne de voir les occupations transitoires se déplacer ensuite aux rez-de-chaussée commerciaux des futurs programmes immobiliers, par exemple “sur la rue des “makers”, dans le quartier des Fabriques [NDLR : projet immobilier porté par des filiales de Bouygues]“.
Euroméditerranée espère voir les lauréats travailler directement au service de sa propre image. L’appel d’offre exige ainsi qu’ils fassent figurer “le logo de l’EPA et le label MOVE” sur tous leurs supports de communication, et qu’ils informent “Euroméditerranée des sollicitations de la presse”.
Un appel à candidatures conçu en vase clos
Parmi les étapes fondatrices de MOVE, le site internet d’Euroméditerranée renvoie à un atelier organisé en avril dernier. Celui-ci visait à “s’appuyer sur les porteurs de projets locaux”, explique un membre du Sens de la Ville. La rencontre était co-animée par Codesign-it, un collectif qui se présente comme développeur de “projets d’innovation collaborative”, et dont les membres travaillent notamment pour la Française des Jeux, Eurocopter ou Cartier. Plusieurs collectivités, des promoteurs immobiliers comme Eiffage immobilier ou encore l’association Yes We Camp avaient été conviés. Mais peu d’entreprises ou d’associations du périmètre de l’appel à candidatures. “Il s’agissait d’un atelier de travail qui n’était pas public et pour lequel Euroméditerranée avait sélectionné les acteurs”, souligne le chef de projet au Sens de la Ville.
Cette sélection a priori a suscité de la frustration au sein de structures laissées sur le carreau. D’autant que le compte-rendu de l’atelier d’avril rappelle qu’il visait à “co-construire” ou à “fédérer la communauté” autour de l’initiative MOVE. “On a découvert il y a un mois l’existence de cet atelier, on ne savait pas”, regrette ainsi le gérant de STD Pro, entreprise adaptée spécialisée dans la numérisation. Ses imprimantes ronronnent pourtant depuis deux ans dans “l’Entrepôt”, un des lieux de la consultation, dans le cadre d’une convention avec l’EPF propriétaire. La société devra partager ses locaux avec le futur lauréat. “On parle de faire du lien, de la synergie, mais on ne nous invite pas”, regrette le chef d’entreprise. Comme lui, aucun de la dizaine de commerçants interrogés dans le périmètre de l’appel à candidature n’indique avoir été informé de cette réunion.
Le pastiche d’un appel d’offre similaire à La Défense
Pour concevoir MOVE, l’urbaniste du Sens de la Ville évoque comme source d’inspiration des “exemples à l’échelle nationale qui ont rassurés”. Le chef de projet cite notamment les Grands Voisins – une occupation transitoire de l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul à Paris-, ou encore Play Groues à Nanterre, où fablabs et espaces de coworking verront bientôt le jour. Ce dernier était porté par l’Epadesa, en charge de l’extension du quartier de La Défense. L’actuel directeur général d’Euroméditerranée, Hugues Parant, était alors à sa tête.
“La conception de l’appel à projets de MOVE est la même qu’à Nanterre”, constate ainsi Nicolas Détrie, directeur de Yes We Camp. Le collectif est connu depuis longtemps à Marseille et actuellement actif sur les projets de Coco Velten et de Foresta. Il a participé aux Grands Voisins comme à Play Groues, où il anime une friche de 7000m² en organisant entre autres des ateliers de construction et de jardinage, des concerts, des expositions…
Son directeur est mitigé quant à son expérience à La Défense : “sur Play Groues, c’est vrai que pour l’instant ce n’est pas très convaincant, juge celui qui a contribué à planter des potagers au pied de l’arche de La Défense. L’Epadesa a une vision trop libérale et se tourne plutôt vers des acteurs innovants qui créent de l’attractivité“. L’association occupe aussi une ancienne imprimerie aux Crottes, rebaptisée Salengro, aux côtés du collectif Etc et du Cabanon Vertical. “On fait partie de ceux qu’Euroméditerranée a sollicités”, atteste son directeur.
“Euromed, c’est pas des poètes”
Les collectifs présents à Salengro restent encore frileux concernant MOVE, alors qu’ils viennent de recevoir un courrier leur demandant de quitter les lieux avant la fin de l’année. La vision urbaine portée par Euroméditerranée pose ainsi question au sein du collectif. “Euromed fait de la ville qui ne correspond pas à ce que l’on défend“, assène Nicolas Détrie entre les raquettes de ping-pong et les post-it multicolores de son bureau des Crottes. C’est pas des poètes.” Un autre usager de Salengro est lui plus direct : “le principe du projet urbain porté par Euromed est assez violent. En interne, les avis sont partagés pour savoir si on doit travailler avec eux ou non”.
Autre point de crispation, l’absence d’aide financière de la part de l’aménageur, qui attend pourtant beaucoup des futurs occupants. “Au final, Euromed ne fait pas grand-chose : ils mettent à disposition des terrains vides”, pointe ainsi Nicolas Détrie, qui estime que le projet n’est “pas un bon deal“. “Ils font une petite remise aux normes et basta, je ne vois pas comment on va pouvoir entrer dans les clous. C’est ambitieux mais sans moyens”, renchérit le gérant de STD Pro, qui compte tout de même présenter sa candidature. L’ingénierie de projet a un coût”, rappelle-t-il. Une manière de dire que tout le monde n’est pas en mesure de monter un dossier en six semaines, le délai de réponse prévu.
Du côté de l’établissement public, on assume l’absence de soutien financier. “Notre vocation, ce n’est pas de soutenir des projets” , tranche Laure-Agnès Caradec. Tout juste pourront-ils “accompagner les occupants en allant chercher des structures comme ICI Marseille et les faire dialoguer entre elles”. Le choix des futurs occupants sera connu en mars 2019. La visite des sites prévue ce vendredi a finalement été annulée, “car il n’y avait pas suffisamment d’inscrits” indique Euroméditerranée. Une nouvelle visite est programmée le 11 décembre prochain, si des porteurs de projet ambitieux se font connaître d’ici là.
Actualisation le 4 décembre à 17h50 : suppression de l’identité du chef de projet du Sens de la Ville.
Commentaires
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Appel à projet en huit clos ; euro-méditerranée s’entoure de copains, le président de la start-up associative Yes We Camp est l’ancien directeur d’Euromed : Jean-Michel Guénod, quand à son directeur s’attarder dans les quartiers nord tient du miracle.
Pour l’association etc celle ci à été créé par le fils d’un urbaniste “dans la place” à Aix en Provence.
Quand à Olivier du cabanon verticale il fait fuir les plus téméraires avec sa manière d’être “le chef” !
Cela ne nous change pas des fils de que l’on retrouve dans le spectacle.
Quand des associations moins introduites se proposent, elles n’ont pas leur place, je pense à l’association Art stock qui balader par Euromed finis par s’installer à Toulouse. Ou bien CUVE qui n’a pas eu d’autre choix que de se réfugier dans un sous sol au Jardin Levat, après une rapide entrevue dans l’atelier qu’occupé par le trio infernal.
Euromed à de l’or à ses pieds mais regarde le nez en l’air, et finira sans doute par mettre la main au portefeuille pour installer des idées, des associations qui ne sont en définitive que le reflet de ce qu’elle recherche, et qui finiront par faire de la merde.
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En clair Euromed = Euromerde!
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On hésite à répondre ou laisser glisser ce commentaire dont on devine facilement l’auteur, triste éconduit de plusieurs dynamiques marseillaises. Allons-y pour quelques précisions sur les incriminations relatives à Yes We Camp 🙂
Celui qui assure les fonctions de direction de la structure passe surtout dans son bureau aux Crottes, puis à Paris pour les Grands Voisins et autres projets en cours. Il s’est engagé fortement pour le projet Foresta (Grand Littoral), où il “s’attarde” davantage que sur nos projets à Nanterre et Montreuil par exemple. Il y a plusieurs passé la nuit avec ses enfants.
Jean-Michel Guénod, également cité dans ce commentaire, a eu le courage d’apporter son crédit professionnel pour nous aider à obtenir l’autorisation du Port de Marseille pour réaliser le projet 2013 à l’Estaque. Il s’est retiré en 2016, en encourageant le projet de “conseil collégial” souhaité par les membres de Yes We Camp.
Yes We Camp est une association, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de parts sociales, elle n’appartient à personne, ne peut être achetée ou vendue.
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Bonjour, merci pour cet article, qui interpelle l’ensemble des parties concernées sur la nature des intentions de ces dispositifs transitoires.
Je complète ici le positionnement de Yes We Camp.
Sur Nanterre aux Groues, ou aux Grands Voisins, ou encore ici avec Move, ce qui nous intéresse est de contribuer à créer une ville plus inclusive, artisanale et participative. Ces occupations temporaires sont intéressantes si elles permettent de faire des expériences d’implication, de mise en capacité et de vivre-ensemble ; donc qu’elles aient des objectifs “citoyens”, et pas seulement de création d’attractivité et d’activité économique.
Les projets qui nous motivent le plus sont ceux qui, à l’image de Coco Velten, allient initiative publique (objectif d’intérêt général), implication participative et économie locale de marché.
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Il y a des mises à jour à faire sur la carte des enjeux. Je sais que vous avez autre chose à faire mais je veux bien participer 😉
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