Marzouki à Marseille : après la révolution naît l'oubli

Marzouki à Marseille : après la révolution naît l'oubli

Ils ont mené l'enquête au coeur des réseaux franco-tunisiens. Ils, ce sont deux journalistes de Mediapart, Mathieu Magnaudeix et Lénaïg Bredoux : au fil des pages de Tunis connection, on croise des personnalités locales comme le député PS et président de la région Michel Vauzelle, le sénateur et président du conseil général Jean-Noël Guérini ou la députée UMP et adjointe au maire de Marseille Valérie Boyer. La venue du président démocratiquement élu de Tunisie Moncef Marzouki à Paris puis à Marseille nous a permis de voir comment chacun gérait aujourd'hui les événements passés.

La première élue locale à se mettre en évidence, si l'on peut parler ainsi, aura été la députée de l'est de Marseille Valérie Boyer. Mercredi après-midi, elle a tout simplement boycotté le discours de Marzouki devant l'Assemblée nationale en le qualifiant de "pantin des islamistes", en référence à son alliance avec Ennahda, parti que Marzouki définit lui comme prémice d'un courant "islamo-démocrate", quand certains autres députés UMP quittaient l'hémicycle avec fracas. "Je ne regrette pas, commente l'élue. De toute façon, si j'y étais allée, j'aurais quitté l'hémicycle au moment où il s'est permis de critiquer l'attitude de la France alors que nous l'avons accueilli pendant longtemps et avons soutenu la révolution".

"Une expérience"

On avait pourtant cru que la France et son président Nicolas Sarkozy avait un peu tardé à choisir son camp. Dans Tunis connection, Valérie Boyer elle-même est signalée comme ayant représenté en 2008 l'Union pour la majorité présidentielle au congrès du RCD, le parti de Ben Ali. Une journée "totalement désagréable" où "personne ne [lui] adressait la parole" alors qu'elle avait "fait une journée de bagnole" et "interrompu ses vacances pour venir, à la demande du président".

"Je ne regrette pas. C'était une expérience", glisse-t-elle. Pas même ces propos rapportés par le journal interne du RCD et cités par Magnaudeix et Bredoux ? :

Nous sommes fiers de porter ce même rêve de civilisation, comme l'a souligné le président Sarkozy, qui est d'abord un message de paix. Je sais qu'avec notre président, vous partagez : persévérance, excellence, ambition et aujourd'hui défi.

"Honnêtement, je n'ai aucun souvenir de ça", répond-elle calmement aujourd'hui. "J'étais assise sur une chaise et je n'ai fait aucune déclaration", renchérit-elle sans exprimer de regrets ni démentir le contenu malgré nos relances.

Boyer n'est bien sûr pas la seule à s'être laissée aller à s'afficher avec le régime. Le PS a plus encore entretenu des relations étroites avec le RCD, membre comme lui de l'Internationale socialiste. Les patrons de collectivités étaient dans cette logique en première ligne et menaient des politiques dites de coopération déccentralisée. A cela, il faut ajouter le réflexe légitimiste mis en avant par Vincent Geisser dans nos colonnes en février 2011. "De manière générale, la diplomatie française est toujours fondée sur un rapport d’Etat à Etat, contrairement à d’autres diplomaties occidentales. Cette doctrine se retrouve à l’échelle des collectivités locales", déclarait alors le sociologue.

Realpolitik

L'argument de la realpolitik est repris par Michel Vauzelle pour justifier ses relations avec le précédent régime. On dialogue avec les institutions en place. La région comme le conseil général étaient en pointe, comme l'analysent les deux auteurs de Tunis connection :

L'exemple le plus flagrant des relations intenses entretenues par certains élus locaux avec la Tunisie de Ben Ali est certainement celui de la région Paca et du conseil général des Bouches-du-Rhône. Leur coopération est ancienne, facilitée par la proximité géographique et l'histoire commune du bassin méditerranéen. Elle a conduit le président socialiste du conseil régional à se rendre à Tunis pour parapher une nouvelle convention de collaboration avec le gouvernorat de la capitale. A cette occasion, Vauzelle a rencontré le secrétaire général du RCD, Mohamed Ghariani, mais aussi une des figures les plus détestées de Tunisie : Imed Trabelsi, le neveu de Leila Ben Ali[…] Ils ont même dîné ensemble le 16 juin 2010 à la résidence de l'ambassadeur de France.

Vauzelle a toujours nié, comme son entourage, avoir su à l'époque qui était cet encombrant convive. Et quand il a reçu Marzouki à l'hôtel de région ce jeudi, il était nullement question de revenir sur l'épisode. A cette question d'une possible proximité (et d'un soutien modéré aux opposants), posée par Marsactu puis par nos pointilleux confrères de Med'in Marseille, Michel Vauzelle a d'abord sorti son regard le plus noir puis préféré botter en touche sur l'air de "ne parlons pas du passé, parlons du présent qui arrive" (sic). Par contre, il s'est montré beaucoup plus loquace pour fustiger l'attitude de la droite et de Valérie Boyer. Michel Vauzelle "l'indigné" comme il aime à se définir a l'indignation (et le repentir) sélectifs. Magnéto Esther.

A l'entendre, il faut se concentrer sur la franche poignée de mains actuelle :

La faculté de ne lire que la nouvelle page était partagée par Marzouki ce jeudi après avoir fustigé le comportement d'une "fraction de la France officielle" la veille. Et la partie de questions-réponses avec les journalistes ayant été réduite au plus strict minimum, on n'a pas vraiment pu en savoir plus. Mais Esther a tout de même essayé d'y voir plus clair.

L'air du renouveau flotte aussi au conseil général où l'on affirme plancher sur une nouvelle relation de coopération, plus poussée, avec le pays quand celle-ci se cantonnait pour le moment à des aides à des associations d'aide au développement travaillant, entres autres questions, sur l'eau. Le bateau bleu est le seul lieu de pouvoir (institutionnel) marseillais que Marzouki n'ait pas pris le temps de visiter alors que tout était prévu, à la nuance de rouge du tapis près, pour l'accueillir. Raison parfois avancée en interne, le gouvernement, sous l'impulsion de Marie-Arlette Carlotti, serait intervenu pour ne pas offrir de tribune médiatique à Jean-Noël Guérini.

Visite annulée chez Guérini

Cette version est toutefois contestée dans l'entourage de la ministre marseillaise qui évoque "un déplacement piloté par le ministère des affaires étrangères pour lequel il n'a jamais été question d'une visite au conseil général ". Pourtant, encore mardi, le CG informait la presse de la rencontre. "C'était calé ici avec le consul mais ça n'a pas pu se tenir. Cela arrive souvent que ce qui est décidé localement soit infirmé plus haut", commente-t-on sobrement dans l'équipe du président Guérini.

Une chose est sûre, les liens, encore plus ténus que ceux entretenus par ses collègues, unissant Guérini au régime de Ben Ali ne plaidaient en faveur d'un tel rendez-vous. Bredoux et Magnaudeix détaillent "des liaisons dangereuses mais potentiellement juteuses". Reçu en grandes pompes en Tunisie, le président du CG avait rencontré, selon les journalistes, un autre membre de la sulfureuse famille Trabelsi, Moncef. Ce dernier venait de se lancer dans le transport maritime. Sa société allait ensuite conclure des marchés avec la Socoma, l'entreprise coopérative dont Guérini est président. Mais, là encore, ne parlons pas du passé, surtout s'il fâche.

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