Les très chers kits de campagne électorale d’un cadre marseillais du Rassemblement national

Enquête
le 21 Nov 2023
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Lors des législatives, Enzo Alias-Blanes, ancien candidat et ex-membre de la direction nationale de la branche jeunesse du RN, a proposé des kits de communication aux candidats de son camp. La commission des comptes de campagne les a jugés bien trop chers et refuse pour partie de les rembourser. Plusieurs élus, dont la députée Gisèle Lelouis, y avaient souscrit.

José Gonzalez, Gisèle Lelouis, Emmanuel Taché et Éléonore Bez lors de la campagne de 2022. (Photo : Marie Lagache)
José Gonzalez, Gisèle Lelouis, Emmanuel Taché et Éléonore Bez lors de la campagne de 2022. (Photo : Marie Lagache)

José Gonzalez, Gisèle Lelouis, Emmanuel Taché et Éléonore Bez lors de la campagne de 2022. (Photo : Marie Lagache)

Le Rassemblement national a encore des problèmes avec ses kits de campagne. En mars dernier, le parti était condamné pour des surfacturations concernant les élections de 2012. C’est désormais un de ses cadres marseillais qui est très fortement soupçonné d’avoir proposé des prestations de communication numérique à un prix démesuré. Celles-ci étaient ensuite remboursées par l’État dans le cadre du financement public des campagnes électorales.

Selon nos informations, la commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a déjà recalé plusieurs des factures présentées par la société Primis communication qui a travaillé pour plusieurs candidats du RN aux législatives 2022, dont quatre Marseillais. Cette entreprise est la propriété d’un cadre local du RN, ancien délégué national du Rassemblement national de la jeunesse avant d’être touché par la limite d’âge en 2022, Enzo Alias-Blanes.

8900 euros le kit de campagne

Très actif dans la campagne de Gisèle Lelouis, candidate victorieuse dans les quartiers Nord, Enzo Alias-Blanes en était aussi un des prestataires. Une facture de 8900 euros porte sur des frais de déplacement, un mois de gestion des réseaux sociaux, une vidéo de présentation, un site Internet et un clip de campagne. Le tout est résumé en 89 heures de travail rémunérées 100 euros chacune, selon la CNCCFP, et en poste de dépenses dans un devis que nous nous sommes procuré.

Exemple de devis de Primis communication, biffé par nos soins. (Document Marsactu)

“La facture n’est pas appuyée d’éléments démontrant la quantité et la réalité des prestations facturées. Elle est de surcroît irrégulière, étant établie hors taxes et sans mention de TVA. Il sera fait une juste appréciation en retranchant du compte 4900 euros”, conclut la commission des comptes de campagne qui a été mise sur la piste par une dénonciation anonyme. Traduction : Primis communication aurait surfacturé à hauteur de 8900 euros une prestation qui en réalité en coûtait 4000.

En pleine campagne des législatives, deux cadres du Rassemblement national, le directeur de campagne Gilles Pennelle et le trésorier Kevin Pfeffer, avaient pourtant alerté sur ce genre de pratique. Dans un mail du 30 mai 2022 que Marsactu s’est procuré, ils visaient notamment les “kits de campagne numériques” :

“Nous apprenons via certains candidats et délégués départementaux que des sociétés vous proposent des “kits de campagne” numériques mais aussi imprimés. Nous tenions à vous mettre en garde contre cela. Les kits que nous avons pu analyser présentent des tarifs parfois au-dessus de la moyenne du marché. Ces dépenses présentent un fort risque de rejet par la commission des comptes de campagne. […] Nous vous invitons à la plus grande prudence face à ces propositions parfois financées par les prestataires mais qui pourraient avoir des conséquences malheureuses. Le RN ne prendra en aucun cas en charge des réformations de la CNCCFP liées à ces dépenses.”

Plusieurs candidats RN aux dernières législatives s’y sont néanmoins fait prendre. À chaque fois, la même facture et le même travail avec d’évidentes économies d’échelle pour le prestataire. Les sites de campagne proposaient les mêmes architectures, seuls les noms et les lieux étant changés. Ils étaient, selon des documents que Marsactu s’est procuré, facturés 2500 euros chacun. “Il a été vérifié que votre site internet ne figurait pas sur vos documents de campagne, qu’il était des plus simples et peu évolutif quant à l’actualité de votre campagne. Le montant facturé apparaît donc surévalué”, a écrit la commission à Gisèle Lelouis. Une bonne partie des réalisations, comme les sites Internet ou des vidéos Tiktok ne sont plus disponibles en ligne.

“Il a profité d’une faiblesse de ma part”

La députée Gisèle Lelouis mais aussi la conseillère régionale Éléonore Bez, qui est aussi l’une des assistantes parlementaire de la première, ont accepté la décision de la commission. Contactée, Eléonore Bez se présente “tête haute et mains propres” selon une formule habituelle de son parti. L’ancienne candidate aux législatives, qui siège à la Ville, à la métropole et à la région, évoque “quelqu’un qui a abusé de moi à un moment de ma vie personnelle difficile, qui a profité d’une faiblesse de ma part”. Sollicitée, la députée Gisèle Lelouis n’a pas répondu.

 

Extrait du compte X (ex-Twitter) d’Éleonore Bez présentant son clip de campagne, avec une réponse d’Enzo Alias-Blanes.

D’autres en revanche ont préféré contester la décision de la commission devant la justice. “Cela représente une somme considérable”, note l’un d’entre eux, Rémi Berthoux, ancien candidat dans le Rhône. Directeur d’école, l’ancien patron du RN dans la région lyonnaise a, lui aussi, dû renoncer au remboursement public de 4900 euros. Au moins quatre autres candidats que nous avons pu identifier ont choisi de contester devant la justice l’avis de la commission. Arezki Selloum, candidat dans les quartiers Nord de Marseille, en fait partie. Le conseiller municipal explique avoir eu recours au kit proposé par Enzo Alias-Blanes dans le contexte d’une campagne lancée à la va-vite après le départ de la candidate naturelle, Sophie Grech, pour le camp d’Eric Zemmour : “J’ai été candidat au pied levé, je n’étais pas préparé à tous points de vue, il fallait organiser tout ça dans un temps très restreint. Le kit, on en a toujours besoin, ça peut vous soulager et participer à améliorer votre notoriété.”

“C’était le bon tarif”

Interrogé par Marsactu, Enzo Alias-Blanes dément toute surfacturation : “On verra ce que dira le tribunal administratif, la chose n’est pas encore jugée, mais je constate que la commission des comptes de campagne n’a pas expliqué comment elle a fait son calcul. Je vois aussi que certains candidats qui ont utilisé le kit ont été remboursés intégralement : pourquoi ce deux poids, deux mesures ? 8900 euros, c’était le bon tarif. On peut trouver moins cher ou trouver plus cher : sur le marché de la communication, on a tous les prix.” Il refuse de répondre sur le nombre de ses clients candidats.

Encore en procédure devant le tribunal administratif de Paris, une candidate qu’il n’a eu aucun mal à trouver : sa compagne, Sandrine Lambert, candidate dans la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, le centre-ville de Marseille. Enzo Alias-Blanes a ainsi pu toucher, via les remboursements de frais, des fonds publics sur décision de celle qui partage sa vie. “Ce n’est pas illégal, et je ne vois pas vraiment de problème”, rétorque-t-il.

Site de campagne d’Alexia Fayol et Enzo Alias-Blanes aux départementales 2021 réalisé selon un modèle de Primis communication.

Enzo Alias-Blanes n’en était pas à son coup d’essai avec sa société. Lui-même candidat dans la région arlésienne lors des élections départementales 2021, il prospectait auprès des autres candidats du parti à la flamme. Dépourvue de la moindre référence antérieure, Primis communication avait été créée seulement deux mois avant ce scrutin. Il opérait alors en duo avec un élu de la région lyonnaise. Leur prospection dépassait largement les frontières de leurs départements respectifs puisque des candidats de Metz, de la Loire ou encore de la région toulousaine ont eu recours à ses services. “L’ensemble de nos clients avaient alors été remboursés intégralement”, rapporte Enzo Alias-Blanes.

Il proposait une solution clef en main, il amenait lui-même l’argent.

Un membre du RN local

Pour convaincre ses clients, outre son CV de militant, Enzo Alias-Blanes disposait d’un argument de poids. Selon plusieurs témoignages recueillis par Marsactu, il proposait d’apporter le financeur de l’opération pour que le candidat n’ait pas à avancer les frais dans l’attente du remboursement public. “Tout à fait, il y avait cette possibilité, mais je n’y ai pas eu recours”, assure Rémi Berthoux. Un candidat aux départementales 2021, qui a depuis quitté le parti, corrobore cette facilité de financement : “Il m’avait dit qu’il n’y avait pas besoin de faire l’avance. Cela ne m’intéressait pas parce que j’avais le cash”.

Un membre marseillais important du parti confirme : “Il proposait une solution clef en main, il n’y avait pas d’argent, il amenait lui-même l’argent. Il prenait les intérêts et la facturation des prestations”. Sur ce sujet, l’intéressé admet l’avoir fait “seulement si la personne en avait besoin. Il y a plein de personnes qui sont intéressées de prêter aux candidats.” Le prêt ou le don d’argent à un candidat par une entreprise non bancaire est formellement proscrit.

Un avertissement des dirigeants du RN

Interrogé sur l’ensemble de ces pratiques, le député et délégué départemental du parti, Franck Allisio, tient à d’abord à souligner “l’avertissement” envoyé par son parti en mai 2022 et mentionné plus haut. Il ajoute : “Si j’avais pensé que c’était une bonne idée, je l’aurais pris pour ma propre campagne. Moi, j’ai considéré que je n’en avais pas besoin et que le prestataire était un peu cher. On m’aurait demandé conseil, j’aurais dit la même chose. Si la conclusion, c’est qu’une candidate s’est faite avoir en sur-achetant quelque chose, il n’y a pas d’impact sur l’argent public, car le contribuable n’a remboursé que ce que valait la chose et la candidate a assumé la différence.”

Quant à Enzo Alias-Blanes, le parlementaire assure qu’il ne l’a “plus vu depuis les législatives”. À cette même époque, une photo diffusée par des groupes antifascistes montrait Enzo Alias-Blanes le bras tendu façon salut nazi, sur une plage, une image qualifiée de “photomontage” par l’intéressé, quand bien même une analyse fine de France 3 ne trouvait pas trace d’une modification.

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Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    On peut juger étonnante pour des professionnels cette facture où les éléments de la description des prestations semble avoir été recopiés par quelqu’un qui n’y connait rien : rendu « calorimétrique » au lieu de colorimétrique, conformation « du sol » au lieu du son. Peut-être des fautes de frappes mais cela ne fait pas très sérieux.

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    • Félix WEYGAND Félix WEYGAND

      Il manque des informations dans cet article, non ? C’est un petit malin qui a monté l’arnaque nationalement et qui s’est trouvé des relais locaux, dont le dit Enzo à Marseille, pour escroquer les pigeons ?
      C’est plutôt ça qui est une information intéressante.

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  2. Assedix Assedix

    J’adore la photo!
    Comme on dit dans le foot: “le groupe vit bien” (et Eléonore Bez a l’air ravie d’être là 😀 )

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  3. Zumbi Zumbi

    Madame Bez “qui siège à la Ville, à la métropole et à la région”… il est loin le temps des campagnes contre les cumulards !
    “Le cumul en toutes choses est dangereux” s’exclamait Gilbert Collard, alors figure en vue du FN, aujourd’hui passé chez Z, comme sa collègue Marion Maréchal-Le Pen qui fustigeait les sénateurs qui s’étaient exclus des règles de non-cumul “Je regrette qu’une réforme aussi soutenue par l’opinion soit confrontée à une opposition de caste”

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      La principale ligne politique de la PME familiale Le Pen, c’est “à nous l’argent”. Nonobstant le slogan démagogique “rendre aux Français leur argent”.

      Tous les moyens sont bons pour cela : cumul des mandats (bien loin des discours de vertu), détournement de fonds publics (un rendez-vous au tribunal est prévu à l’automne 2024 à ce sujet), surfacturations…

      Ce qui est inquiétant, c’est qu’une proportion croissante de l’électorat trouve ce parti crédible, alors qu’il est incapable d’articuler une proposition qui tienne debout, et qu’il est plus connu par les dérapages de ses élus que par leur hauteur de vue.

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