Les gestionnaires du Dock des Suds craignent de ne plus pouvoir payer le loyer
Par manque de moyens, l'association Latinissimo envisage désormais un départ du Dock des Suds en 2019, notamment si un accord de longue durée n'est pas signé avec Euroméditerranée. C'est encore et toujours l'avenir du lieu qui est posé.
L'ancien site du Dock des Suds accueillera la cité régionale du cinéma. (Photo : Jean de Pena)
Des confettis tricolores volent dans le ciel d’Arenc et retombent sur tous ce que Marseille compte de notables. Les yeux ébahis, la foule applaudit la consécration d’une tour “emblème d’une mutation sans précédent qui attirera les investisseurs internationaux”, promet Jean-Claude Gaudin, aux côtés notamment de la présidente d’Euroméditerranée Laure-Agnès Caradec. À quelques mètres de là et au même moment, dans l’un des lieux festifs mythiques de la ville, l’ambiance est, paradoxalement, loin d’être à la fête. Les membres de l’association culturelle Latinissimo sont assis face à la presse avec des mines défaites et un message : si rien ne bouge, les organisateurs emblématiques de la Fiesta des Suds devront quitter leur QG historique, le Dock des suds, après avoir déjà été contraint de déménager le festival au J4 au début du mois d’octobre.
“Jusqu’à présent, le Dock supportait les frais fixes induits par les festivals notamment, nous avions jusqu’alors un équilibre fragile mais un équilibre tout de même, entame, grise mine, le président de Latinissimo Marc Aubergy. Mais aujourd’hui, comme nombre de nos collègues [du milieu culturel et associatif, ndlr], nous vivons une crise. Ce n’est pas parce qu’on a 5 ou 7 000 m² que l’on s’en sort mieux.” Et l’association ne pourra pas continuer longtemps ainsi, précise-t-il : “À ce rythme, nous n’irons pas plus loin que le 31 décembre”, lâche, presque résigné, Marc Aubergy.
“Le problème, c’est le lieu”
Ce n’est pas la première fois que Latinissimo, qui porte la Fiesta et Babel Med Music, alerte sur sa situation financière. Le dernier cri poussé remonte à la fin de l’année dernière, lorsque la région annonçait se désengager du festival et marché de musique du monde Babel Med, qui ne s’est donc pas tenu cette année. En 2017, le conseil régional a baissé sa subvention de 79 % par rapport à l’année précédente (soit 70 000 euros). Une décision conforme à la position exprimée maintes fois par Renaud Muselier “La région tiroir-caisse, c’est fini”.
Durant presque 20 ans, Latinissimo a développé ses projets avec le soutien de la région présidé par Michel Vauzelle, pour les cafés méditerranéens puis Babel Med, et celui du département de Jean-Noël Guerini pour la Fiesta. Ces deux collectivités alors dirigées par la gauche ont basculé à droite lors des dernières élections. Si Martine Vassal continue de soutenir la Fiesta, La région s’est pour l’heure désengagée.
Pour les responsables de l’association rassemblés ce jeudi 25 octobre devant les journalistes, le constat est indéniable : si les subventions restent les mêmes cette année, le loyer de 180 000 euros par an du Dock n’est plus supportable. “Latinissimo a des dettes mais elles restent ridicules [25 000 euros, ndlr], la Fiesta fêtera dignement ses 30 ans, le problème, c’est le lieu”, insiste même Marc Aubergy. L’association est aujourd’hui en période d’observation et le 11 décembre prochain, une audience au tribunal de grande instance devra trancher si une procédure de sauvegarde est nécessaire.
Autorisation d’occupation temporaire
Avec le spectre du départ de Latinissimo, c’est l’avenir du Dock des Suds qui est posé. Le lieu propose aujourd’hui 130 soirées par an, avec une moyenne de 100 000 personnes, des artistes phares tels que Massilia Sound System, Alpha Blondy, Emir Kusturica, Akhenaton… En 20 ans, le Dock est devenu un lieu mythique du monde de la nuit marseillaise. “Quand nous sommes arrivés, le Dock était dans un no man’s land”, rappellent ses fondateurs. Mais, entre temps, des tours et un nouveau quartier, le parc habité, ont poussé autour. L’ancien dock où était notamment stocké du sucre était propriété du port voisin jusqu’en 2008. Avec l’avancée du projet d’aménagement, Euroméditerranée l’a racheté avec le reste du quartier.
“La relation avec Euroméditerranée est permanente et courtoise, débute par politesse Marc Aubergy avant de s’emporter. Mais pourquoi avoir nommé l’arrêt de tram Silo et pas Dock des Suds ? Pourquoi ne pas l’avoir représenté sur la maquette ? Il y a des signes comme ça qui ne trompent pas. On veut nous tuer. Je ne sais pas qui, mais on veut nous tuer.” Latinissimo occupe actuellement le Dock via une autorisation temporaire d’occupation (AOT). Cela bloque toute prévision à moyen et long terme selon les membres de l’association. “On nous refuse systématiquement le bail! Il y a plein de gens qui sont intéressés par ce lieu, on pourrait imaginer que des investisseurs privés l’achètent pour nous le louer ensuite. Mais nous sommes bloqués, nous n’avons pas de réponse sur notre avenir dans ce lieu”, s’agace le président de l’association.
“Qu’on me présente un projet sérieux”
Voilà des années que la question du devenir du Dock reste sans réponse, ou que cette dernière change au gré des idées de l’aménageur public. Le raser pour construire des logements ou des bureaux, en faire une piscine… Aujourd’hui, ces projets ont été abandonnés et l’incertitude plane toujours. Seule condition posée : les gros festivals ne pourront plus s’y tenir, pour des raisons de gêne sonore pour les voisins du parc habité. “À part ça, tout peut être envisagé et rien n’est arrêté, concède Laure-Agnès Caradec, la présidente du conseil d’administration d’Euroméditerranée. Je suis ouverte aux discussions. Que l’on nous propose un projet sérieux avec des investisseurs et nous pourrons imaginer quelque chose ensemble pour ce lieu. Mais aujourd’hui, nous sommes tous dans l’expectative car on ne peut se baser sur rien.”
Mais pas question pour la présidente d’Euroméditerranée de fournir un bail ou de réévaluer le loyer. “Nous sommes tenus par des contraintes et surveillés par la Cour des comptes. On ne peut pas faire ce que l’on veut. Et cela fait des années que Latinissimo fonctionne avec des autorisations d’occupation temporaire et ça n’a jamais été un frein.” En tout cas jusqu’à présent.
Un avenir au J1 ?
“Nous sommes très attachés à ce lieu, mais s’il faut déménager, on le fera. Si on veut y mettre une piscine, qu’on le fasse. Mais nous, avec ce loyer et moins du subventions, ce n’est pas possible. On ne veut pas quitter le Dock, mais alerter sur le fait que ce modèle va dans le mur”, poursuit Jacques Lantelme, trésorier de l’association. Alors, Latinissimo, à contre-cœur, regarde vers d’autres cieux. Vers le J1 par exemple, où le port a lancé un appel à projets dont il doit rendre sous peu les résultats.
Parmi les quatre candidats encore en lice, le groupement qui comprend notamment l’architecte Norman Foster a intégré l’association culturelle. “La réponse doit être donnée fin novembre. Même si c’est eux qui l’emportent, ça ne se fera pas avant fin 2019, début 2020, se projette Marc Aubergy. Donc, même dans l’hypothèse d’un départ vers d’autres cieux, nous devons tenir.”
Autre piste évoquée, les puces voisines du quartier des Crottes (15e). “Nous serions partant pour défricher l’histoire culturelle de ce quartier comme nous l’avons fait ici, mais pas tout de suite, poursuit au lieu Bernard Aubert, le directeur artistique, attaché au lieu, après avoir déjà vécu un incendie qui en avait détruit la majeure partie. Pour l’instant, l’offre correspond à la demande ici. Le problème, c’est qu’on nous tolère mais que nous ne faisons plus partie du projet.” Pourtant, Euroméditerranée est loin de regorger d’espaces de culture et de rencontre. Avec une déjà longue histoire avec la ville.
Commentaires
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Le Dock des Suds est emblématique de la gestion de l’urbanisme par la ville.
Plutôt que d’intégrer les dynamiques de lieux ou de structures existantes aux nouveaux projets, les élus bien conseillés par les promoteurs misent tout sur des projets qui font table rase de l’existant en espérant une montée en gamme soudaine qui ne se produit pas, ou faiblement au vu des investissements engagés.
Quel dommage qu’ils aient réussi à imposer leur vision de l’urbanisme à Euromed: absence d’exigence architecturale, disparition des espaces verts prévus initialement, surdensification des parcelles, faible mixité des usages…
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On est typiquement là dans la confusion que je relevais en commentaire d’un autre article de Marsactu (https://marsactu.fr/la-marseillaise-tour-attractivite-locale/) : une stratégie de développement urbain, ce n’est pas seulement vendre des parcelles à des promoteurs et couler du béton.
Or c’est malheureusement l’impression que donne la ville, dont la politique d’urbanisme – qui, si elle existait, supposerait vision d’ensemble et à long terme – est remplacée par une juxtaposition d’opérations immobilières. Et parfois, oups !, il y a des dégâts collatéraux : personne ne s’est aperçu que le Dock des Sud était là (de même qu’à La Plaine, on s’est aperçu qu’il fallait “reloger” les forains quinze jours avant le début du chantier…).
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quelle connerie d’avoir voulu créer du logement juste à côté de cet équipement… On faisait du bureau et le dock auraient pu rester indentiques…
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Tout a été rasé en peu de temps dans ce quartier, à part quelques bâtiments miraculeusement épargnés comme celui de Richardson.Il y avait à côté une construction de style Art déco et d’autres vestiges de ce quartier industriel qui ont disparu pour laisser la place à une série d’immeubles sans style, posés les uns à côté des autres comme un jeu de construction sans plan d’ensemble.
Vu de la passerelle de la Joliette c’est plutôt flippant comme effet… La “skyline” ne semble pas très réussie sur le plan esthétique, quant à la vie culturelle du quartier, à part le théâtre de la Joliette qui a son public, si le Dock des suds disparaît il ne restera que les spectacles du Silo pas accessibles à toutes les bourses.
Un quartier sans vie où les habitants sont relégués en arrière-plan, derrière les tours de bureaux.
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L’essentiel a été dit (et bien dit) par @Reuze et Electeur du 8è concernant les pratiques compradores de la nullicipalité, et partant des pouvoirs publics associés, toujours au service des promoteurs et de leurs taux de profits, l’absence de toute vision urbanistique quelque peu cohérente qui en résulte…. Il convient tout de même de relever la gravité des conséquences; combien ce quartier de logements et bureaux, densifié/entassé, non végétalisé/minéralisé, dont tout le potentiel de diversité aura été systématiquement éradiqué, a toute ses chances de vieillir vite et fort mal, loin d’une multiplicité des usages pas déviants et déviants (comme ils disent). Son “attractivité” sera d’emblée “en amorce de dépérissement, voire de mortalité” (comme ils disent) . Une amorce plus sinistre encore que celle dont les arbres de la Pleine semblait affectés! Pour rattraper son retard, cette ville conçoit les mêmes quartiers que l’on concevait ailleurs il y a 30 à 4O années! Même les caméras vont sérieusement s’y emmrder en dehors des 3 ou 4 heures de pointe…
Concernant les docks, Latinissimo a bien raison (et Marsactu avec) de faire un point de ses difficultés, de ses perspectives fort aléatoires, et du risque de disparition de ses manifestations. Une remarque toutefois, les informations sur les acteurs culturels, au sens large, gagnerait en clarté en prenant l’habitude de rappeler à chaque fois, en face des surfaces des locaux, des manifestations et des publics, le montant des fonds publics alloués par l’ensemble des financeurs. Le secteur culturel qui ploie sous les coups (bas) des décideurs politiques, est très divers et très clivé, et ne pourra résister utilement à la chose, que si toutes les données sont sur la table; c’est en tout cas mon opinion.
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