Le préfet donne cinq mois supplémentaires à Alteo pour régulariser ses rejets en mer

Actualité
le 3 Jan 2020
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Sommée par la justice administrative de se mettre en conformité environnementale au 31 décembre 2019 pour ses rejets en mer, l'usine d'alumine Alteo à Gardanne vient d'obtenir une nouvelle dérogation de l’État jusqu'en juin.

Le préfet donne cinq mois supplémentaires à Alteo pour régulariser ses rejets en mer
Le préfet donne cinq mois supplémentaires à Alteo pour régulariser ses rejets en mer

Le préfet donne cinq mois supplémentaires à Alteo pour régulariser ses rejets en mer

Sur l’épineux dossier dit des boues rouges, le préfet vient d’accorder une nouvelle dérogation. Par un arrêté pris le 30 décembre 2019, la société Alteo dispose d’un délai supplémentaire d’un peu plus de cinq mois pour se mettre aux normes sur ses rejets en mer.

Durant 50 ans, l’usine d’alumine de Gardanne a déversé en mer des dizaines de millions de tonnes de résidus du traitement du minerai de bauxite pour en faire de l’alumine, via une conduite d’une cinquantaine de kilomètres. Depuis janvier 2016, la partie solide des fameuses boues rouges est séparée des liquides par des filtres-presses et entreposée au site de Mange-Garri, sur la commune de Bouc-Bel-Air. Seule la partie liquide est désormais rejetée en mer, au cœur même du parc des Calanques.

“Une adaptation temporaire et d’ampleur limitée”

Dans un jugement du 20 juillet 2018, le tribunal administratif de Marseille avait imposé à l’industriel de Gardanne, de devoir se conformer aux normes environnementales pour les rejets de ses effluents au large de Cassis, au plus tard au 31 janvier 2019. Soit deux ans plus tôt que ce que prévoyait un arrêté préfectoral de fin 2015, interdisant le rejet des solides, l’autre composant des boues rouges. Ce 31 décembre, Alteo ne remplissait toujours pas deux des six critères de limitation des rejets. Sollicitée par Marsactu, la préfecture informe néanmoins que “l’État a accordé à la société Alteo une adaptation temporaire [de l’arrêté du 28 décembre 2015] et d’ampleur limitée, jusqu’au 9 juin 2020”, comme l’a indiqué France inter.

Si Alteo a su conformer aux seuils réglementaires demandés pour le fer, l’aluminium, l’arsenic et le pH (ce qui ne signifie pas qu’il n’y a plus aucun rejet, voir notre encadré ci-dessous), elle n’est à ce jour pas aux normes concernant les valeurs de DB05 (demande biochimique en oxygène sur 5 jours) et DCO (demande chimique en oxygène). L’indicateur de DBO5 mesure le niveau de consommation potentielle d’oxygène dans l’eau par processus biologique. La DCO concerne quant à elle les oxydants chimiques à même de provoquer une pénurie d’oxygène dans l’eau. “Ce sont des normes qui ne sont pas spécifiques au milieu marin. Elle ont été conçues pour les rivières et le milieu lagunaire, là où il y a de forts risques d’anoxie [manque d’oxygène dissout dans l’eau, ndlr], nous explique Nicolas Roche, professeur à l’université Aix-Marseille, spécialiste dans le traitement des eaux et des déchets et membre du conseil scientifique du parc des Calanques.

Le respect des normes ne signifie pas l’absence de rejet
Selon Alteo, ce qu’elle rejette en mer s’apparente à de l’eau. Or, le respect des normes, ne signifie pas qu’il n’y a plus aucun rejet de polluants. Le débit maximal de liquides qui prennent la conduite à la mer est de 270 mètres cubes à l’heure, comme précisé dans l’arrêté du 28 décembre 2015. Si les produits sont présents en milligrammes par litres, sur un tel volume de liquides, on peut aboutir à des quantités annuelles importantes. Ainsi, il peut être rejeté jusqu’à 120 kg d’arsenic, 31 tonnes de fer, 11 tonnes d’aluminium, mais aussi 26 tonnes de vanadium, 9 tonnes de titanes ou encore 382 tonnes de chlorures.

“Ces valeurs n’induisent pas d’impact au point de rejet, en pleine mer, à 320 m de fond”, estime le scientifique (pour aller plus loin, relire son interview ici). Il reconnaît des progrès de l’industriel sur le traitement de ces effluents, grâce à la mise en route d’une nouvelle station de traitement pour capter les métaux dissouts. Même son de cloche du côté du président du parc national des Calanques. “On a voté en conseil d’administration du parc pour un délai sur 6 an [jusqu’au 1er janvier 2021]. Sur les rejets en mer, Alteo a fait le job dans les 6 ans”, se satisfait Didier Réault (LR).

L’industriel est en train de construire une station d’épuration, pour solutionner les niveaux de DBO5 et DCO, qui devrait entrer en fonction d’ici la fin du nouveau délai donné par les services de l’État. A ce propos, l’arrêté du 30 décembre mentionne deux inspections constatant le démarrage de la construction de l’installation en septembre et l’avancement des travaux début décembre. En outre, les services de l’État abaissent les seuils d’émission de la DCO par rapport à la dérogation donnée fin 2015 : de 800 mg par litre à 200 mg/l, la réglementation nationale étant de 125 mg/l.

Joint par téléphone, Éric Duchenne le directeur des opérations d’Alteo ne fait “pas de commentaires. On travaille sur d’autres sujets”, nous dit-il, sans vouloir nous préciser lesquels, probablement occupé par l’avenir économique de l’entreprise, en situation de redressement judiciaire. “L’entreprise a fait d’énormes efforts sur les cinq dernières années. Et à l’entrée de la dernière ligne droite l’absence de cette mise au norme devrait nous faire abandonner tous les efforts ? C’est impossible, les salariés ne laisseraient pas faire ça !”, affirmait pour sa part le délégué CGT du site Harold Périllous, rencontré quelques jours avant Noël. Nous n’avons pas réussi à le joindre ce 2 janvier.

Une dérogation sans sanctions

Ce scénario souple était anticipé de longue date. Le 11 janvier 2019, Alteo a demandé à la cour d’appel administrative d’appel un sursis à exécution de la décision de juillet 2018 en faveur des associations environnementales, motivée par la mise en péril des emplois sur le site de Gardanne. La juridiction avait rejeté la demande, considérant en réponse aux alarmes que rien ne prévoit que “la société serait conduite à cette même date à cesser toute activité et à licencier ses 471 salariés comme elle le soutient”. Elle rappelait cependant que, selon le code de l’environnement, le préfet dispose d’un éventail de sanctions à sa disposition, après une première mise en demeure. Les sanctions financières prévoient une amende de 15 000 euros maximum et une astreinte journalière pouvant aller jusqu’à 1500 euros “applicable à partir de la notification de la décision” et “jusqu’à satisfaction de la mise en demeure”. Dans ce cas précis, la préfecture n’envisage pas de mise en demeure.

Parmi les écologistes, certains s’étranglent, d’autres saluent les efforts de l’industriel. Hélène Bras, avocate de la prud’homie de pêche de La Ciotat et les associations ZEA et Bouc-Bel-Air Environnement qualifie la décision de la préfecture de “monstruosité supplémentaire. Maintenant les services de l’État contournent la loi. Avant ils contournaient les conventions internationales. C’est un très mauvais signe pour le droit de l’environnement”, s’agace-t-elle. Au nom de ses clients, Hélène Bras porte une action au pénal pour “mise en danger de la vie d’autrui” pour laquelle un juge d’instruction a été désigné. “On peut considérer que le préfet permet à l’industriel de rester hors la loi au détriment de l’environnement. La justice ne passe jamais, le préfet passe derrière”, déplore Jean-Ronan Le Pen de l’association ZEA.

“Normalement, il aurait fallu que la décision de justice soit respectée”, regrette Pierre Aplincourt de France Nature Environnement (FNE). Même s’il se veut avant tout positif. “On est sur la dernière ligne droite d’une dynamique positive. On prend acte que l’industriel a fait des progrès considérables. Notre position reste inchangée, l’industriel doit respecter les normes environnementales, que ce soit sur l’eau ou sur l’air à Mange-Garri”, dit-il.

Le jugement du tribunal administratif de Marseille, du 20 juillet 2018, avait été considéré en son temps comme “une victoire d’étape” par les associations environnementales requérantes. L’appel sur cette décision, demandé par Alteo, est toujours en attente d’audience. La saga autour de l’usine de Gardanne promet de s’étirer encore sur 2020. L’exploitation du site de Mange-Garri est source d’une mobilisation de riverains et d’écologistes, à cause d’inquiétudes sur la toxicité des poussières rouges et des eaux venues du site de stockage. Alteo doit introduire une nouvelle demande auprès des services de l’État, qui sera soumise à enquête publique, pour exploiter ce site au-delà du 8 juin 2021. Bien avant cela, le tribunal de commerce se penchera une nouvelle fois sur la situation financière de l’entreprise le 23 janvier prochain.

Article actualisé le 30 janvier à 10h30 avec des précisions issues de l’arrêté préfectoral.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Et dire que l’on nous a gonflé tout le mois se décembre avec une photo de bagnole dans les calanques. D’ailleurs quelle est la réaction du fameux directeur du dit parc qui a une capacité à couiner ettonante face à ces shadocks qui pompent et polluent.

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  2. Alceste. Alceste.

    Deuxième réaction attendue avec impatience de ma part au travers des échanges entre communistes et ecolos.

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  3. Gabriel OLMETA Gabriel OLMETA

    J’ai l’impression qu’a La suite de diverses ventes d’entreprises depuis pechiney jusqu’a Alteo .on a organisé l’insolvabilité de la dernière entreprise .Car en cas d’obligation de dépolluer à Gardanne ou en mer le coût serait très élevé.
    Les diverses entreprises qui se sont succédés à Gardanne ,curieusement n’ont pas l’obligation de dépolluer et ont transmis ce gros problème à une entreprisse organisée pour être insolvable.
    Pour arriver à un possible règlement même partiel il faudrai rechercher les entreprises précédentes.

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