“Difficile de séparer l’impact du nouveau rejet en mer d’Alteo et celui des boues rouges”

Interview
le 14 Juin 2019
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Le comité de suivi et d'information des rejets en mer de l'usine d'Alteo, vient de transmettre au préfet un rapport. S'il reconnait "l'effort" fait par l'industriel, le comité pointe également la difficulté d'interprétation de certains résultats. Nicolas Roche, membre du comité, détaille ces conclusions.

“Difficile de séparer l’impact du nouveau rejet en mer d’Alteo et celui des boues rouges”
“Difficile de séparer l’impact du nouveau rejet en mer d’Alteo et celui des boues rouges”

“Difficile de séparer l’impact du nouveau rejet en mer d’Alteo et celui des boues rouges”

La semaine dernière, le CSIRM, le comité de surveillance et d’information sur les rejets en mer d’Alteo, a transmis au préfet un rapport de synthèse concernant la pollution marine de l’usine. Constitué d’une quinzaine d’experts scientifiques bénévoles nommés par le préfet, ce comité a été constitué par l’État suite à l’autorisation accordée à Alteo de poursuivre ses rejets en mer non plus sous une forme solide – communément appelée les “boues rouges” – mais sous une forme d’effluent liquide. Dans un contexte de forte polémique autour de la poursuite de cette pollution marine il s’agissait de “garantir une expertise scientifique ciblée et indépendante”.

Fin 2017, le CSIRM a reçu d’Alteo des données issues du suivi du rejet et du milieu marin. Après des mois d’allers-retours entre Alteo et le comité, les scientifiques ont finalement bouclé leur travail, dont la synthèse tient désormais en neuf pages. Nicolas Roche, professeur à l’université Aix-Marseille et spécialiste dans le traitement des eaux et des déchets, revient sur les conclusions de ce rapport.

Marsactu : Quelles est la méthode de travail du CSIRM ?

Nicolas Roche, professeur à l’université Aix-Marseille. Photo DR.

Nicolas Roche : Après les prescriptions du conseil scientifique du parc national des calanques reprises dans l’arrêté, Alteo a proposé un protocole de suivi pour mesurer et suivre les impacts. Les premiers travaux du CSIRM ont reposé sur l’analyse et la critique de ce protocole. Un certain nombre d’observations et recommandations ont été faites. Ce suivi porte sur quatre points : le devenir de l’effluent liquide dans le milieu marin, son impact sur la colonne d’eau, l’évolution de la contamination métallique des poissons et l’évolution spatiale et temporelle des dépôts des résidus solides.

Nous avons suivi les modifications du protocole, en redemandant à Alteo de remettre en place certains suivis qui avaient été arrêtés. Il y a eu en permanence une discussion sur le suivi des rejets. Ensuite, nous avons analysé le rapport final d’Alteo. L’avis que nous émettons aujourd’hui concerne donc le suivi fait par Alteo et ses partenaires de l’impact des rejets depuis l’autorisation de 2016 jusqu’à aujourd’hui.

Quelles sont les principales conclusions de votre travail ?

Tout d’abord il y a un réel suivi des rejets qui n’a jamais été fait auparavant. L’effort qui a été fait est absolument nouveau, en tout cas à un tel niveau. Le CSIRM a donc souligné l’effort qui a été fait, sur une demande de l’État certes, de mettre en place ce suivi et d’accepter nos préconisations. On a donc maintenant une masse de données, qui n’est pas complètement exploitée mais qui d’un point de vue scientifique présente un réel intérêt.

On a ensuite évalué les conclusions d’Alteo et on a porté un avis sur celles-ci. Globalement, on s’aperçoit que l’effluent actuel a des impacts qui sont sûrement inférieurs à l’effluent ancien qui comprenait des boues rouges. Mais aussi qu’il est difficile de dissocier l’impact du nouvel effluent par rapport à l’ancien. Il est aussi difficile de dissocier l’impact du rejet d’Alteo, notamment sur les poissons, par rapport à la qualité du milieu qui est impacté par d’autres rejets en Méditerranée. Par contre, nous pensons que le suivi mérite d’être poursuivi sur un certains nombres de métaux, hydrotalcites [métaux dont le nom provient de leur ressemblance avec le talc, ndlr], dissolutions, microfaune…

Vous avez constaté, dans le fond de la fosse de Cassidaigne, une recolonisation par la faune marine. S’agit-il d’une bonne nouvelle ?

Nous avons observé que le fait d’arrêter les rejets de boues rouges a permis un développement d’une microfaune aquatique. Mais celle-ci crée par son activité une remobilisation des polluants. Ces polluants ne sont peut-être pas liés au nouveau rejet mais sont plutôt du fait de la présence de l’ancien. A l’heure actuelle, en tant que scientifique, on n’arrive pas à dissocier formellement cela…

Vous avez aussi constaté des traces métalliques dans le foie des poissons, mais le problème de l’origine de la source de la pollution subsiste…

Le problématique là dessus est effectivement de trouver un produit qui soit réellement un traceur de l’activité du rejet, qui soit indépendant des autres rejets en Méditerranée. Si on le trouve, ça vaut le coup de le suivre. Mais si on ne trouve pas, ça va être compliqué. Il faut donc le chercher, travailler avec les laboratoires de recherche pour voir ce qui se fait, c’est une vraie question scientifique. On attend une proposition d’Alteo. Jusqu’à présent il n’y a pas eu de proposition de traceur spécifique mais on a demandé que ce soit toujours évalué pour tenter de trouver. En sachant que si les membres du CSIRM trouvent un traceur spécifique ils en feront part.

Une partie de votre rapport concerne l’incertitude par rapport au devenir du panache créé par l’effluent et plus précisément des hydrotalcites. De quoi s’agit-il ?

Jusqu’à présent l’effluent était encore réactif. C’est-à-dire qu’il précipitait, à son arrivée dans la mer et provoquait un panache blanc. Il s’agit en fait d’hydrotalcites. Une étude menée à la demande d’Alteo par l’institut méditerranéen d’océanographie de Marseille a montré que ces hydrotalcites piègent de manière plus ou moins stable un certains nombres de métaux, et qu’ils ont vocation à relarguer [ces métaux] dans le milieu naturel sur un espace de temps à moyen et long terme. À partir de maintenant, cette précipitation n’aura plus lieu à l’émissaire. Alteo a mis au point un nouveau système de traitement, mis en place le mois dernier il me semble, qui fera que la précipitation aura lieu directement sur le site de l’industriel. Mais le CSIRM a émis une recommandation de suivre la dissolution de ces hydrotalcites. Car il y aura un relarguage dans le temps des produits piégés [entre 2016 et maintenant].

Cette recommandation a-t-elle été acceptée ?

Elles fait partie des conclusions que le CSIRM vient de transmettre au préfet. Nous attendons le retour d’Alteo sur le nouveau programme de suivi avant la fin de l’année.

N’y a-t-il pas tout de même une certaine forme d’opacité dans la mesure où c’est Alteo qui vous transmet les données, définit ses propres protocoles de suivi, paie les bureaux d’études ?

Au contraire c’est très ouvert. Nous sommes indépendants d’Alteo. Et ce n’est pas a nous de payer les études mais au pollueur. Tous les résultats nous sont transmis. A priori, quand ces résultats sont transmis à un laboratoire comme l’institut méditerranéenne d’océanographie de Marseille on n’imagine à aucun moment que ce laboratoire modifie ou falsifie les résultats. Nous avons assez confiance là dessus. Les préconisations ne sont elles pas définies par Alteo mais par le CSIRM, c’est ça qui est important.

Au sujet du périmètre, vous vous concentrez sur les rejets en mer, mais pourquoi ne pas prendre en compte aussi le stockage sur le site de Mange-Garri ?

Mange-Garri n’est pas dans le périmètre du parc des Calanques et donc en dehors du périmètre du CSIRM. Il n’empêche que le conseil scientifique du parc a dans sa décision de juillet précisé que le fait d’arrêter les rejets en mer ne fait que transposer le problème au sol et qu’il fallait mettre en place un processus d’étude et de suivi sur l’entreposage à terre des déchets. Mais ce n’est pas dans l’objet de la saisine du CSIRM bien que l’on soit conscient de tout cela. Une demande a été faite au niveau du comité de suivi de site [qui réunit industriel, État, élus locaux et associations, ndlr], donc l’État devrait mettre en place un suivi. Sachant que l’observatoire interdisciplinaire homme-milieu du bassin minier de Gardanne a déjà mené des études indépendantes. Mais pour l’instant, le “CSIRM” de Mange-Garri n’a toujours pas été mis en place…

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Commentaires

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  1. petitvelo petitvelo

    Après l’optimisation fiscale, l’optimisation environnementale: on répartit sa pollution comme on réparti ses bénéfices pour diminuer la contrainte réglementaire ?
    Il faut cependant saluer les efforts par les équipes d’Alteo faits pour contrôler leur pollution au lieu de l’exiler dans un pays moins efficace en conservation de l’environnement.

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