Le meurtre de Marie-Bélen Pisano devant la Timone était-il un féminicide ?
Le meurtrier présumé de Marie-Bélen Pisano est jugé cette semaine devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence. Les proches de la victime veulent faire reconnaître le meurtre de la jeune femme, poignardée en pleine rue par un inconnu, comme un féminicide.
Une proche de Marie-Bélen durant une marche féministe en sa mémoire. (Photo : Yasmine Sellami)
Peut-on être tuée par un inconnu dans la rue pour le simple fait d’être une femme ? Cette semaine, la cour d’assises des mineurs d’Aix-en-Provence juge le meurtre de Marie-Bélen, tuée d’un coup de couteau par un homme qu’elle ne connaissait pas devant le métro de la Timone en 2019. La famille et les proches de la victime militent depuis quatre ans pour que ce crime atroce soit reconnu comme féminicide.
Le 17 mars 2019, Marie-Bélen Pisano se dirige vers le métro pour rejoindre ses proches en centre-ville. Elle leur laisse le souvenir d’une jeune femme courageuse, créative et “mature pour son âge”. En chemin, l’étudiante en anthropologie croise la route d’un jeune Marseillais dont l’univers ne lui ressemble en rien. Nassim*, 17 ans, ne va plus en cours. Il a été renvoyé de son collège du 3e arrondissement et vit placé sous contrôle judiciaire, après deux condamnations. Il ne traîne pas souvent à la Timone, préfère l’alimentation de son quartier ou “le charbon”.
À 21 h 08, la vidéosurveillance montre les deux jeunes l’un en face de l’autre, juste devant la bouche de métro du boulevard Sakakini. Marie-Bélen cherche quelque chose dans son sac et Nassim tend la main. Les caméras de la ville s’arrêtent là. Dix secondes plus tard, la vidéosurveillance de la RTM capte le déplacement de Marie-Bélen. Elle s’engouffre dans l’escalator du métro, son agresseur la rattrape. Face à elle, il lui assène un coup de couteau et touche un poumon. Elle décèdera une heure plus tard.
Nassim est aperçu par plusieurs témoins en train de dérober le téléphone de sa victime, au sol, puis il disparaît. Il comparaît jusqu’à vendredi devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence pour “vol précédé de violences ayant entraîné la mort”.
Un féminicide “commis au hasard”
Un mois après le meurtre de Marie-Bélen Pisano, les proches de la victime sont déjà convaincus que l’histoire n’est pas qu’un fait-divers. L’instruction débute à peine, Nassim n’a pas encore été identifié. Sa famille organise une “marche colorée”. Pour la mémoire, mais aussi pour la reconnaissance. Dès cette marche du 15 avril 2019, c’est le mot de féminicide qui s’impose à eux. Dans cette France de 2019, ce terme n’a pas d’existence juridique, mais il est répandu dans les milieux féministes et entre peu à peu dans le langage courant. Il désigne d’abord le meurtre d’une femme par son compagnon ou ex-compagnon. “C’est le féminicide conjugal et en France, on ne parle que de celui-ci“, note Rosa Muriel Mestanza, amie de Marie-Bélen et doctorante en sociologie du genre.
Mais si l’on se réfère à l’Organisation mondiale de la santé, la définition de féminicide est plus large. L’agence internationale retient par exemple le terme de “féminicide non intime”, caractérisé par un meurtre “commis par une personne qui n’est pas en relation intime avec la victime”. Il peut s’agir de “meurtres systématiques de femmes, en particulier en Amérique Latine”, mais aussi de crime isolé “commis au hasard”.
Comme celui de Marie-Bélen, soutiennent ses proches. “En Amérique latine, la notion de féminicide englobe les féminicides non intimes sans même avoir besoin de le préciser. Là-bas, des mouvements féministes massifs ont permis cette prise de conscience. En tant que Péruvienne, c’est un sujet qui me touche. Cela touchait aussi énormément Marie-Bélen, qui avait des origines argentines et qui était très engagée”, déroule Rosa Muriel Mestanza.
Qu’est-ce qui ferait qu’un homme va poignarder une femme au hasard dans la rue, en plein thorax ?
Beryl Brown, avocate de la famille
Mais ce combat féministe peut-il trouver un écho auprès d’une cour d’assises ? Côté parties civiles, la question sera en tout cas plaidée. “Je ne suis pas une avocate de cause. Je m’appuie sur la réalité matérielle du dossier et c’est cela qui nous oriente vers la piste d’un féminicide”, avance Beryl Brown, l’avocate de la famille de la victime. “On ne peut pas réduire ce crime à un vol de portable puisque les images montrent que le vol a eu lieu après. Et si on évacue le mobile, qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui ferait qu’un homme va poignarder une femme au hasard dans la rue, en plein thorax ?”
Des magistrats qui hésitent
Cette inconnue devrait animer les débats devant la cour d’assises. Durant l’instruction déjà, elle a longuement occupé, et même divisé les magistrats. Car un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, daté du 29 septembre 2021 et consulté par Marsactu, révèle que les qualifications retenues à l’encontre de Nassim ont évolué plusieurs fois. Au cœur des débats juridiques, une question : l’intentionnalité, ou non, du meurtre. Le 25 mars 2019, soit huit jours après les faits, une information judiciaire est d’abord ouverte pour “vol précédé de violences ayant entrainé la mort”. Puis le 3 avril 2019, les magistrats instructeurs montent d’un cran pour qualifier les faits d’“homicide volontaire”. Deux ans plus tard, la chambre de l’instruction revient à la formulation initiale.
Entre-temps, l’identification de Nassim permet de mieux appréhender la scène. Il “était présent sur les lieux depuis une heure” lorsqu’il croise Marie-Bélen. Le tout, en détenant une “arme blanche” qui n’a jamais été retrouvée, mais dont le caractère “tranchant et piquant” est établi. Pour l’avocate de la partie civile, la présence et la détention d’une arme “permet même de caractériser la préméditation”, c’est-à-dire l’assassinat. La chambre de l’instruction se borne, elle, à constater que l’arme n’ayant jamais été “identifiée”, on ne peut pas affirmer son “caractère létal”.
Une nouvelle lecture sur un fait d’actualité
Ce choix a “choqué” les proches de la victime. Pour Alice Margaillan, journaliste et amie de Marie-Bélen, le “combat essentiel est de retenir que c’est une affaire de meurtre, et pas une affaire de vol de portable.” Quant à élargir la définition de féminicide au meurtre de Marie-Bélen, cela lui paraît “tout à fait normal dans la mesure où les mentalités évoluent. Des choses qui étaient impunies hier sont aujourd’hui jugées sexistes. Pour Marie-Bélen, c’est la même chose : apporter une nouvelle lecture sur un fait d’actualité.” Ce vendredi à 17 h, Alice Margaillan participera à un “rassemblement féministe” devant le tribunal d’Aix-en-Provence en hommage à la jeune femme. L’occasion de porter le débat dans la sphère publique, là où les débats devant les assises pourraient se faire à huis-clos, car l’accusé était mineur lors des faits.
Entendu plusieurs fois durant l’enquête et confronté aux vidéos de la scène, l’accusé semble loin de ces débats. Il a toujours nié sa responsabilité : “Les filles, je ne les touche pas.” Il encourt vingt ans de prison, voire la perpétuité si l’excuse de minorité est levée.
*Mise à jour le 8/02/2023 : le prénom de l’accusé a été modifié afin de respecter l’obligation légale de préserver l’anonymat des mis en cause mineurs.
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Les femmes ont peur la nuit, y compris les femmes internes des hôpitaux qui travaillent à la Timone , les infirmières, aide-soignantes, le soir tard sur Sakakini. Pourtant c’est en ville, boulevard bien dégagé. Elles sont des proies faciles.
Tout s’est passé suivant les caméras de surveillance, comme si ce “jeune” de 17 ans, qui se prétend homosexuel ?(“je ne touche pas aux femmes”) ou non violent envers les femmes par principe, lui demande de l’argent ou du feu, elle essaie de répondre à la demande, peut être elle n’a pas de monnaie. Il la poursuit dans le metro et la poignarde. Il l’aurait fait avec un homme grand et musclé? Est ce que la caméra peut montrer s’il a fait des demandes à des gens avant Marie-Bélen? à des hommes?
Peut être que si les juges acceptent la possibilité de féminicide, on fera en sorte de poster un policier à cet endroit et protéger les femmes sortant la nuit des environs de la Timone. Peut etre des environs stratégiques de la ville où les femmes sortent nombreux des écoles ou lieux de travail tard le soir. Au moins ça prouvera que Fayçal avait vraiment une intention de meurtre, en allant armé d’un couteau adapté trainer autour de la bouche du métro. Il avait l’intention d’attaquer si la personne résistait à sa demande.
On espère juste que l’individu ne sera pas relâché dans la nature au bout de quelques années, alors qu’il a bien gouté au meurtre facile. Ras le bol des agresseurs de femmes.
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Oui, dans la rue, en voiture, sur la route, c’est fréquent et détestable, dès qu’il y a altercation ou possible embrouille avec une femme, certains ont des comportements, des expressions, que jamais jamais ils auraient avec des hommes baraqués, ou pas baraqués
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j’ai un peu du mal à accepter ces hésitations et tergiversations des magistrats instructeurs.
féminicide est le meurtre d’une femme. la nuance peut venir de l’intention. aurait-il tué de la même façon un homme ? cela deviendrait alors, un “homicide” – terme générique-
le vocabulaire est-il politique ?
ce qui est certain et partagé c’est que dans certains endroits et peut être aussi à certaines heures, les femmes sont passablement en danger.
on parle des stations de la timone, mais on peut parler de la station blancarde aussi, peut être saint just et d’autres. on l’on voit, la nuit, des petites bandes d’individus relativement jeunes qui rodent, et interpellent uniquement les femmes pour une cigarette, un ticket de metro, ou un euro.
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Il y a eu de nombreux travaux qui montrent que l’espace public est très “masculin” : les hommes s’en croient propriétaires, jugent normal de “draguer” les femmes et de leur faire sentir qu’ils les dominent, et celles-ci doivent en permanence y être sur le qui-vive.
Poser la question de savoir si le prévenu aurait agi de la même façon avec un homme, c’est y répondre.
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