Le Mail, une copropriété de plus au bord du péril

Reportage
le 22 Sep 2022
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Les copropriétaires de la cité du Mail s'alarment du manque d'entretien de la résidence par leur syndic. Ils craignent que ce groupe de six immeubles soit prochainement mis en péril, en plus d'un plan de sauvegarde. La maire-adjointe Samia Ghali les reçoit ce jeudi.

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L'entrée du bâtiment A du Mail, copropriété dégradée du 14e arrondissement. (Photo C.By.)

L'entrée du bâtiment A du Mail, copropriété dégradée du 14e arrondissement. (Photo C.By.)

Ils se tiennent à l’entrée de la résidence, comme l’on se tient au bord d’un gouffre. “C’est dommage, c’est une belle copropriété ici”, lâche Nadia (*) d’une voix où le fatalisme le dispute à la lassitude. À l’image de plusieurs copropriétaires du Mail (14e arrondissement), cette trentenaire veut autant communiquer son désarroi que dénoncer “une situation catastrophique”.

Ce mercredi matin, à quelques mètres de l’entrée de la cité – plus de 400 logements répartis en trois immeubles de 15 étages et trois barres – quelques copropriétaires se sont réunis non loin du portail du collège Pythéas. L’établissement scolaire fait face à la résidence et à une fresque murale colorée qui annonce la présence d’un point de deal. Le Mail n’est peut-être pas la résidence la plus insalubre de la ville, ni la plus connue pour les problématiques liées au trafic de stupéfiants, mais certains propriétaires craignent, disent-ils, de la voir irrémédiablement “s’enfoncer dans le chaos”.

Fin juin 2022, le préfet a donné son feu vert au lancement d’un plan de sauvegarde pour la résidence. “Cet arrêté  marque le lancement pour deux ans de la phase d’élaboration du plan.  Elle doit permettre de définir les actions nécessaires au redressement de la copropriété. La prise de cet arrêté permet aussi aux partenaires de lancer, des actions, comme des travaux dits d’urgence, avec des taux de financement ANAH (agence nationale de l’habitat, ndlr) majorés pouvant aller jusqu’à 100 % si un arrêté de péril ou d’insalubrité devait être pris”, précisent les services préfectoraux. Orchestré par la métropole, il devra permettre, au fil des prochains mois, de remettre de l’ordre dans le bâti comme dans les problèmes juridiques et financiers de la copropriété. Une procédure identique avait déjà été mise en place pour le Mail dans les années 2000, sans réel effet.

“Où passe l’argent ?”

En attendant de voir les procédures avancer, les propriétaires crient à l’abandon. Ils pointent notamment la gestion du syndic Foncia Méditerranée (anciennement Cogefim Fouque) qui a pris les manettes de la copropriété au printemps 2021. Dans un courrier aux copropriétaires du 6 avril 2021, le syndic s’engage à “améliorer considérablement la qualité de service”. “Mais dans les faits, depuis qu’ils sont là, c’est de pire en pire”, s’irrite Mohammed Hammou, membre du conseil syndical qui vit dans le bâtiment A. À ses côtés, Nordine (*), un grand gaillard propriétaire dans le bâtiment B, pose une équation à la fois simple et insoluble : “Les copropriétaires doivent payer de plus en plus de charges, mais les services rendus sont soit défaillants, soit absents. Donc, où passe l’argent ?” Il s’acquitte, assure-t-il, de 200 à 250 euros de charges chaque mois.

“Dans l’immeuble B, il faut monter au 3e pour pouvoir prendre l’ascenseur”

Nadia, une propriétaire

Un constat d’huissiers réalisé en avril dernier que Marsactu a pu consulter relève le manque d’entretien des bâtiments et des parties communes. Depuis sa rédaction, les encombrants ont été enlevés dans les espaces extérieurs. En revanche, dans chaque hall, les deux ascenseurs – l’un desservant les étages pairs, l’autre, impairs – ne fonctionnent pas toujours. Voire plus du tout. “Dans l’immeuble B, il faut monter au 3e pour pouvoir le prendre”, soupire Nadia.

En réponse, le service presse de Foncia, sollicité par Marsactu, précise que “l’entreprise s’est engagée à rembourser les charges d’ascenseurs du bâtiment A sur les deux années écoulées lors de l’assemblée générale du 5 juillet. “ Foncia plaide aussi la difficulté d’intervention dans la copropriété : “au regard des actes récurrents de vandalisme sur les ascenseurs, les sociétés de maintenance font valoir leur droit de retrait et de ce fait n’interviennent plus pour effectuer les réparations nécessaires.” Les résidents signalent la présence d’habitants âgés ou handicapés qui, de ce fait, ne sortent plus de chez eux. Des conditions de vie souvent extrêmement difficiles que l’association des habitants du Mail dénonçait déjà en juin dernier.

Les ascenseurs ne fonctionnent pas tous. Certains pas du tout. Pour d’autres, il faut grimper dans les étages pour pouvoir le prendre. (Photo C.By.)

Mohammed égraine aussi “les VMC dont on paye l’entretien à Foncia mais qui ne marchent pas. Les porte coupe-feu et les interphones inopérants dans plusieurs bâtiments. Ou encore les traitements contre les nuisibles, alors que personne ne passe pour les réaliser”. Là encore, le service de presse du syndic renvoie aux “faits délictueux” qui entravent son action. Mais outre le “manque d’entretien”, les bailleurs s’alarment aussi d’une “forme d’opacité”. Mohammed affirme : “Lors de l’AG, on a fait une pétition pour avoir accès à des documents. Les comptes que l’on nous montre, c’est que des chiffres. Moi j’aimerais voir les factures payées par le syndic pour EDF, l’entretien des ascenseurs, etc. Mais on ne nous fournit rien.”

Face à l’état de dégradation qui va s’intensifiant, les membres du conseil syndical montrent du doigt d’autres propriétaires. Ceux qui, au fil des années, ne payent plus leurs charges. “Comme ils sont de plus en plus nombreux, les charges deviennent toujours plus élevées pour ceux qui continuent de payer”, regrette Nordine. S’enclenche alors une spirale bien connue dans les copropriétés dégradées ou en voie de l’être : si les charges deviennent trop lourdes, le nombre de propriétaires défaillants augmente inexorablement. Leurs appartements peuvent être saisis, acquis par la copropriété elle-même ou par un bailleur social pour le remettre en location. “Mais le plus souvent, ils sont squattés”, se désole Nadia. Comme aux Flamants, tout proches, à Kalliste, aux Rosiers ou Parc Corot, c’est le cas de plusieurs dizaines d’habitations au Mail.

Visite du préfet Carrié et de Samia Ghali

Ce que craignent les propriétaires, c’est une mise en péril prochaine de la résidence. Elle n’est pas exclue. Mardi matin, Samia Ghali s’est rendue sur place, accompagnée du préfet à l’égalité des chances Laurent Carrié et d’entreprises missionnées pour réaliser les diagnostics de la copropriété dans le cadre du plan de sauvegarde. “Depuis juin dernier – et l’arrêté préfectoral créant la commission chargée de l’élaboration du plan de sauvegarde – la Ville peut désormais intervenir dans les copros dégradées et c’est ce que nous faisons, cadre la maire-adjointe chargée notamment de la relation avec lʼagence nationale de rénovation urbaine (ANRU). La première étape au Mail est donc de vérifier l’état des bâtiments avec ces diagnostics. Ils nous diront quelles sont les priorités dans les travaux à mener”.

La copropriété du Mail compte 400 logements. (Photo : C.By.)

Quand il y a péril, les loyers ne sont pas payés et la CAF ne verse plus les allocations. Il ne s’agit pas d’appauvrir les propriétaires. Parce que du coup, ils ne payent plus leurs charges non-plus et c’est un serpent qui se mord la queue…

Samia Ghali

Une mise en péril permettrait de débloquer plus de financements pour réaliser des travaux d’urgence, comme la réparation des ascenseurs, cruciale pour les habitants. Mais elle a aussi ses effets pervers, l’élue le sait. “Quand il y a péril, les loyers ne sont pas payés et la CAF ne verse plus les allocations. Il ne s’agit pas d’appauvrir les propriétaires. Parce que du coup, ils ne payent plus leurs charges non plus et c’est un serpent qui se mord la queue…”, résume Samia Ghali.

Si la maire-adjointe promet d’être “vigilante” à la saine utilisation des charges perçues par le syndic, elle n’exonère pas non-plus les copropriétaires de leurs responsabilités. “Il y en a qui sont de bonne foi et d’autres non. Ceux qui ont plusieurs appartements dans plusieurs copros et ne payent pas leurs charges, je ne peux pas le laisser passer”, pique Samia Ghali.

Ce jeudi après-midi, l’élue recevra les propriétaires du Mail. Il s’agit à la fois “de leur expliquer toutes les étapes du plan de sauvegarde et de les rassurer”, explique-t-elle. Les diagnostics dressés dans la résidence sont attendus pour la semaine prochaine. Ils seront rendus publics. De leurs préconisations dépendra la mise en péril – ou non – de la résidence. Une décision aux airs de saut dans le gouffre.

(*) À sa demande, le prénom a été modifié

Actualisation à 10h : ajout d’une citation des services préfectoraux

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Encore une fois, le syndic Foncia est en cause. De nombreuses copropriétés, y compris petits immeubles de centre-ville, autrefois gérées correctement par de petits syndics, une fois tombées dans l’escarcelle de Foncia qui a “racheté” (?) des petits et moyens syndics, et bien ces copropriétés voient les choses traîner, les réunions de copropriété ne sont pas convoquées quand il faut, les sujets debattus en AG ne sont pas reportées dans les PV, les travaux non réalisés…

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    • MarsKaa MarsKaa

      Et comme évoqué dans l’article, les documents difficiles à obtenir, notamment quand vous decidez de changer de syndic !
      Et le personnel de Foncia évoque systématiquement comme “explications” les coproprietaires mauvais payeurs, les pbs de délinquance, “Marseille”… y compris dans des copropriétés non concernées !
      Une enquête est à faire.

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    • Avicenne Avicenne

      Tout copropriétaire a le droit de consulter ce qui l’a copro. auprès du syndic.
      Toutes les années ( avant notre AG ), je passe une a-m dans locaux du syndic pour contrôler les comptes, mais auparavant j’avais disséqué les lignes comptables et chaque fois, je détecte des anomalies, je dois aussi lutter pour m’opposer aux augmentations diverses et variées ( honoraires, facture postes, pourcentage sur d’éventuels travaux …).
      Mon immeuble a un RDC, 4 étages, une chambre de bonne au 5 éme, je me suis chargée bénévolement du syndic durant qq années, puis nous en avons chargé un petit syndic dont le patron avait été mon condisciple en lycée privé et malgré cela, je suis obligée de demeurer vigilante.
      Je forme une de mes jeunes voisines car à 70 ans, je veux passer la main.

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  2. Forza Forza

    Je rebondis sur la remarque précédente. Nous avons eu Foncia Méditerranée (qui n’est pas que l’ancien syndic Cogefim Fouque mais aussi l’ancien syndic Immobilière Patrimoine et Finances dont le patron a été mis à la tête de Foncia Méditerranée puis est parti cet été) pendant un an dans notre immeuble “mixte” neuf, après 18 mois de gestion catastrophique du syndic du promoteur (et ouais, on a cumulé :p) C’était à un tel point de mauvaise gestion avec la complicité des bailleurs (dont un des deux les avait fait élire) que j’en suis venue à me demander si l’objectif final n’était pas de finir par foutre les propriétaires privés dehors pour que les bailleurs puissent récupérer les apparts à bas prix et finir par posséder l’immeuble tout entier. A part ça je vous rassure, tout va bien chez Foncia/Emeria… https://www.journaldelagence.com/1255924-prendre-la-place-de-numero-1-mondial-philippe-salle-president-du-groupe-foncia

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  3. L.D. L.D.

    Une question anecdotique pourquoi nomme Mme Samia Ghali maire adjointe? A ma connaissance il y a un Maire, une première adjointe et des adjoints au Maire.

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    • ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

      C’est ainsi qu’elle a “négocié” son ralliement au Printemps marseillais : fallait la nommer maire-adjointe et pas adjoint au maire. Comme quoi, la fierté ne tient qu’à un inversion de mots…

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  4. carabosse carabosse

    Je rebondis aussi sur les commentaires, gestion aussi catastrophique de Foncia dans l’énorme copro”Résidence Château St Jacques ” au 56 bd de la Valbarelle 13011.
    Même topo:rachat de Cogefim Fouque depuis environ un an,encore des travaux votés qui augmentent les charges,les appels de fonds pleuvent.Augmentation des charges(déjà environ 200€/mois pour un T2) avec comme prétexte la flambée du prix du gaz.
    +140€ en juillet
    +160€ en août
    Miracle seulement +80€ en septembre,ils disent qu’ils ont touché de l’argent avec le bouclier tarifaire…
    Mais aucun justificatif,aucune facture,et il s’agit de provisions,la saison de chauffe n’ayant pas démarrée!!
    Je me pose la même question que Forza..
    Une enquête doit être menée sur ce syndic,il doit rendre des comptes!

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  5. ruedelapaixmarcelpaul ruedelapaixmarcelpaul

    Etonnamment pour certains petites co propriétés Foncia s’est fait débouter par les assemblées de copro et passe au tribunal, avec un administrateur judiciaire nommé pour épurer les comptes.

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  6. Maxvalmax Maxvalmax

    Contactez l’Ahama (asso des habitants du mail) si voulez avoir des infos sur ce que vivent les habitants et notamment les locataires. De la survie pure et simple. Ces gens payent des loyers délirants (autour de 1000e pour un T4) pour vivre dans un bidonville vertical

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